bloc de
Sensations
Lumière
Métamorphose
Renaissance
Durée
L'épaisseur
du réel
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La Pieta, Eglise Saint-Martin, Etain, Photographie de J.L. Tartarin
Gare de l'Est, Paris, vendredi 16 juin 2000...
"Vous me reconnaîtrez, je suis habillé tout en noir et je porte un sac noir", a indiqué quelques jours plus tôt Jean-Luc Tartarin, de téléphone portable à téléphone portable. Entre le vernissage de l'exposition collective, sur le thème des étoiles, dans laquelle il figure, au musée d'Orsay, et le départ du train qu'il doit prendre pour rentrer à Metz, rendez-vous est donc pris au bar de l'Arrivée.
Un Perrier, une rondelle de citron, un glaçon, et voilà le photographe qui parvient à expliquer, en quelques mots, la nature des apparitions qu'il immortalise. "Le pouvoir de ma photographie, de la photographie en général, dit-il, à peine assis, c'est de faire en sorte que le temps soit chargé. Un véritable bloc de sensations, voilà ce en quoi je le transforme".
Des arbres qu'il photographie dans une forêt lorraine depuis presque vingt ans, l'artiste parle peu, dit qu'il s'agit d'un travail intime et inachevé. Il faut se référer au catalogue d'une exposition de 1995, au musée d'Épinal, afin d'apprendre que pour Jean-Luc Tartarin, avancer dans la forêt signifie "entrer dans un espace fermé, qui se referme sur vous, derrière vous". Il en va ainsi de chacun des sujets qu'il aborde, qu'il s'agisse d'un palais vénitien (1989) ou de Ligier Richier (1999). Une "même volonté d'entrer à l'intérieur, d'aller à l'essentiel de l'uvre", convient-il, guide chacun de ses choix, conditionne chacun de ses cadrages.
En forêt comme à Venise
A Venise, comme dans la forêt, l'artiste dit s'être rendu "en ayant l'intuition que là-bas je pourrais faire quelque chose. Je connaissais Venise à travers des photographies du XIXe siècle surtout et je redoutais son évolution touristique. J'y suis allé volontairement en automne. Mon travail en forêt, je le fais aussi, souvent, en automne et en hiver. J'ai reçu Venise de plein fouet, avec tout ce qu'elle est, toute sa charge. Spontanément je suis entré dans les églises et les palais. Là où les choses sont dans leur épaisseur. J'y suis retourné plusieurs fois. J'avais à l'évidence un point commun avec ces uvres là. Elles rejoignaient mon travail en forêt. J'ai d'abord travaillé sur l'idée de l'inscription du temps dans la ville. Il y règne le pressentiment d'une grande nostalgie".
Lumière
Ainsi, Jean-Luc Tartarin capte certains aspects de la lumière lorsqu'elle rebondit sur les volumes, indépendamment du fait qu'ils soient naturels ou architecturés. Il la transforme en réseaux graphiques, quasiment picturaux. Il leur donne du grain, du flou, se joue des transparences et provoque des apparitions, dilate et sublime les formes, souvent avec l'aide d'un téléobjectif 300 millimètres et le soutien d'un papier chlorobromure d'argent. "J'aime l'élan", aime-t-il répéter.
Il métamorphose l'espace en une aventure en deux dimensions. Un dialogue. Un jeu d'oppositions et de complémentarité : noir et blanc, présence et absence, vide et plein, cur et écorce, plat et rond, microcosme et macrocosme... "Toutes les échelles m'intéressent, confirme-t-il. Ce qui m'intéresse, en fait, c'est ce que peut la photographie". "Attirer dans son espace l'espace créé par un autre", tel est son but, selon Jean-Claude Lemagny, conservateur du département des photographies du XXe siècle, à la Bibliothèque Nationale. "Si ce que je photographie est baroque, complète Tartarin, mon travail ne l'est pas du tout. Il possède une énorme rigueur".
Révélation et renaissance
Toujours, il s'agit d'une "approche assez radicale de l'expressivité, de l'intensité intérieure". D'une révélation. D'une renaissance. Dans la forêt, comme à Venise, comme à Bar-le-Duc, face au Transi. Ce n'est pas la sculpture de Ligier Richier préférée du photographe. "Il ne constitue pas la part la plus importante de la commande que m'a passé le Conseil Général, explique-t-il. D'ailleurs, dans l'exposition, je n'en présente que deux images.
Certains personnages, des femmes, de la Mise au Tombeau de Saint-Mihiel notamment, me touchent plus. Le Transi est tellement particulier, puissant, que je n'ai fait que rendre l'intensité que Ligier Richier a voulu donner à son élan. A ses orbites sans yeux où toute l'humanité demeure. A la présence de son regard absent. Le Transi possède une telle force d'évidence que je n'ai fait que la traduire, sans la trahir. Je n'ai fait que capter son geste, à la fois désespéré et grandiose. A l'image du fait de mourir. A l'image de celui de vivre".
"de véritables blocs d'intensité"
"Je travaille dans la durée et je suis très tenace", conclut Jean-Luc Tartarin. Dix minutes avant le départ de son train, il enfile d'impeccables gants blancs, ouvre une enveloppe de cristal, en sort quelques uns de ses clichés les plus récents, en répétant que pour lui les photographies sont de "véritables blocs d'intensité". Il s'agit de paysages. D'arbres roux, de chemins creux, de toutes sortes de choses rustiques indescriptibles, tant elles paraissent simultanément et radieuses. "Une série qui fait rimer netteté avec présence", dit-il. "Je travaille dans l'épaisseur du réel", dit-il encore, avant de tout ranger et de disparaître doucement. "Et sur l'instant ultime, à la limite entre le tout et le rien, simplement pour répondre à l'exigence des choses".
Propos recueillis par Françoise Monnin
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