Avec humour
mais pédagogie…
…elle en fait
un héros
intestinal !
|
Ils sont révolutionnaires comme leur nom l'indique : La Guardia. Ils sont deux à sévir à La Villette : Cyril Cabirol et Fulvia Di Pietrantonio… trois serait plus juste … n'oublions pas leur tænia géant de 7 m de haut et d'environ 50 cm de diamètre qui s'élève hystériquement non loin de leur stand. Appuyez sur l'interrupteur au sol, oui osez ! Et fiez-vous au brouhaha et la bête surgira peut-être derrière vous… La contamination est proche !
Manche à air immaculée en toile de spi, mise en mouvement par une soufflerie intégrée, ce ver solitaire au corps annelé est orné d'une tête à l'expression impassible et au regard fixe. On est bien loin de la représentation peu sympathique de ce parasite.
Pourquoi donc une telle bestiole ? Ce "vrai rongeur, le ver irréfutable, N'est point pour vous qui dormez sous la table, Il vit de vie, il ne me quitte pas" ! citait Paul Valéry. Pourquoi une telle intrusion dans un espace d'exposition ? Parce qu'on se trouve sur les anciennes halles de La Villette et que l'art a remplacé la viande !
Petit raccourci d'histoire : c'est Napoléon qui organisa les abattoirs de Montmartre, de Grenelle, de Villejuif et de Ménilmontant. En 1859, un marché aux bestiaux fut créé à La Villette ainsi qu'un nouvel abattoir destiné à remplacer les autres, trop exigus. Une très pittoresque population s'établit en ces lieux : bouviers aux bas rouges, tueurs en blanc, dépouilleurs, pansiers, boyaudiers, ramasseurs de glandes thérapeutiques ou de cuir et de suif, vétérinaires… D'autres visiteurs, assez singuliers, hantaient les abattoirs. Coffignac parle des "buveurs de sang" qui, sous la troisième République, venaient faire une cure à La Villette, comme d'autres à Vichy, pour soigner leur anémie. Et même certaines danseuses de l'Opéra ne craignaient pas de soulager leurs entorses en trempant "le membre blessé dans les entrailles chaudes d'un veau qu'on vient juste d'égorger".
Un tel passé ne pouvait laisser insensible Cyril Cabirol et Fulvia Di Pietrantonio. Un tænia pouvait alors bien avoir sa place dans cette ancienne halle peuplée de légendes et fantômes en tout genre. Il fallait qu'il soit spectaculaire, "bruyantissime". Ce prédateur se déploie au-dessus de tous les autres stands. Il occupe l'espace comme il "occupe" ses victimes de manière insidieuse, grâce à chacun de ses anneaux. Un curieux ver que ce ver-là, un hermaphrodite peu banal qui possède des organes reproducteurs mâles et femelles.
"Souffler le Doute, songe d'un siècle d'été.
Suis-je à jamais un solitaire Hermaphrodite,
Comme le Ver Solitaire, ô ma Sulamite" ?
La Guardia s'est documentée sur ce phénomène bien étrange. Avec humour mais pédagogie, sur les murs de leur stand, elle présente le fruit de ses recherches pseudo-scientifiques. Sur des panneaux très graphiques en vinyle (2,50x0,50m), elle identifie nom latin, caractéristiques, pathogénicité, épidémiologie, mode de transmission, période d'incubation, aspects médicamenteux, sensibilité aux médicaments… Elle en fait un héros… intestinal !
L'humour de Cyril Cabirol et Fulvia Di Pietrantonio fournit ici un ressort essentiel à leur création anthropomorphe. Les associations en "images-valises" des motifs évoquent les jeux de sens et de non-sens à la Lewis Caroll. Les deux artistes subtils ne reculent pas devant l'exhibition incongrue de la scatologie. Eh oui ! après tout, il s'agit quand même d'un tænia (soit le taenia saginata ingéré par un bœuf ou le tænia solium ingéré par un porc), ce long ver plat mesurant plusieurs mètres qui vit dans l'intestin grêle de l'être humain. Et comment évacue-t-on la vilaine bête ? Tout simplement dans les déjections fécales…
Un univers tout blanc pour une destinée bien noire ! Équivoque pour le moins… À la manière de démiurges, La Guardia définit les êtres et les lois dans un univers poético-humoristique, "un peu plus proche du cœur de la création qu'il est habituel, et encore loin d'en être assez proche". Plus qu'une "art attitude", les deux artistes cherchent une esthétique de la confrontation directe. Alors levez les yeux vers les hauteurs de la Villette… vers ce monstre vorace !
Muriel Carbonnet-Caumes Paris, février 2003
|