La foire de Bâle est le "pouvoir de référence" de l'art moderne et contemporain.
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Art Basel devient chaque année à la même période le centre artistique du monde, l'équivalent du Festival de Cannes pour le cinéma. C'est en effet le plus grand et le plus important salon d'art au monde.
Art 35 Basel comporte plusieurs secteurs : au rez-de-chaussée , "Art Galleries" le bastion des maîtres de l'art moderne et leurs galeries "poids lourds" et au premier étage de nouvelles promesses (l'essentiel de l'art plus contemporain) ; "Art Unlimited" permet de découvrir 60 œuvres de grand format, "Art Statements" présente les expositions personnelles peu enthousiasmantes de 17 jeunes artistes sélectionnés parmi 215 candidatures, "Art Edition" et "Art Magazines" sont consacrés à l'imprimerie et "Swiss Award" aux artistes suisses. "Public Art Projects" consacre des œuvres en extérieur entre les différents espaces d'expositions. Enfin un nouveau forum prend place dans la manifestation cette année "Art Basel Conversation" : des personnalités du monde de l'art participent à des tables rondes ayant pour thèmes la collection et l'exposition d'œuvres d'art.
Art 35 Basel regroupe plus de 270 galeries (parmi 850 candidatures) dont 58 venant des Etats Unis, 54 d'Allemagne, 37 de Suisse, 22 de France, 20 d'Angleterre, et 18 d'Italie. L'Asie est représentée par neuf galeries, l'Amérique du Sud par six et l'Afrique par une seule. Plus de 1500 artistes sont présents cette année à la Foire de Bâle.
Avant d'accéder aux espaces marchands, le visiteur est attiré par une énorme créature femelle callipyge et menaçante comme les deux trous qui traversent son torse gonflé d'air. Ce superbe être hybride entre enfance et trivialité, ne peut être que l'œuvre de l'artiste Paul Mc Carthy. On retient l'œuvre de Monica Bonvicini, cabine de verre et d'acier reliée aux égouts, qui est un WC public composé de glaces sans tain. Enfin le pavillon de verre et de bois de Dan Graham et la tour de Chris Burden de onze mètres de haut sont aussi à remarquer dans la section "Public Art Projects".
Dans les stands des galeries, le visiteur peut osciller entre deux attitudes soit le passage rapide de stand en stand, de toutes façons peu d'artistes sont des inconnus surtout au rez-de-chaussée. Soit il opte pour l'examen minutieux des stands,et certaines galeries sortent du lot sans pour autant afficher les talents de demain. Pour cela, il faudra aller à Liste 04, le off de la foire officielle. Parmi les galeries qui se montrent particulièrement dynamiques en présentant des valeurs sûres ou des œuvres inédites, on trouve la White Cube de Londres qui réunit les stars comme les frères Chapman, Gilbert et George (les deux artistes qui représenteront l'Angleterre à Venise l'année prochaine), Damien Hirst et Tracey Emin entre autres. La galerie Art+Public de Genève présente plusieurs Fat Cars d'Erwin Wurm. Le stand de Richard Gray est le centre de toutes les louanges grâce notamment à un petit Picasso noir et blanc (Minotaure et femme, 1937) "le plus beau tableau de la foire" selon Antoinette Leonardi, conseiller Art de BNP Paribas, d'ailleurs vendu aussitôt à M$1,8) et sa réunion de Williem de Kooning des meilleures années et séries (Woman Green), huiles de 1953-55 annoncées à M$12,5. On remarque aussi le travail d'Eva Hesse et Paul Mc Carthy chez Hauser & Wirth ou Eyes, deux gros seins de granit noir de Louise Bourgeois et les Concetto spaziale de Fontana chez l'Allemand Karsten Greve. Chez Mitchell-Innes & Nash, un grand triptyque de l'américain Michael Bevilacqua est parti pour un musée d'Europe du Nord (Highly Evolved 2004) et chez Zwirner de New York ses deux grands Neo Rauch de 2004 font sensation (170 000 €). Au niveau des ventes aussi, la foire s'anime plus au niveau de l'art contemporain que de l'art moderne d'ailleurs, même si les pièces les plus onéreuses ne partent que le second jour (réflexion oblige). Tous les exposants avouent avoir renouvelé au moins deux à trois fois leur accrochage. Le seul jour du vernissage, l'autrichien de Paris Thaddeus Ropac a vendu plus de dix pièces à des Nord-Américains (son Baselitz historique de 1968 à une fondation canadienne 500 000 €), 16 pièces à des Européens (l'homme de métal d'Antony Gormely pour £110.000) et 2 à des japonais. Le Parisien Daniel Templon a vendu son Gregory Crewdson (Mother Complex 2, 2001-2, édition de 10, $25.000), la vanité de bronze de Jonathan Messe, ainsi que plusieurs Garouste (50euros000 € pour le Portrait de Corinne 2003-4). Pierre Huber annonce avoir battu un record pour une photographie de la série des images pornographiques de Thomas Ruff ($90.000) et Emmanuel Perrotin avoue avoir fait la meilleure foire de sa vie. Cette situation peut rappeler la folie spéculative de la fin des années 1980, à la différence notable cependant que les galeries ne sont pas endettées (Daniel Templon).
Tandis que les marchands et les galeristes s'affairent, les visiteurs prennent toute la force et la mesure de la foire de Bâle dans la section "Art Unlimited". Les vidéos les plus intéressantes sont celles de Miguel Angel Rios : sur trois écrans des toupies s'entrechoquent jusqu'à disparaître pour mieux revenir. La vidéo fascinante de Rodney Graham, où un prisonnier menotté joue du piano sous le joug de son geôlier provoque l'émotion du cinéma muet tout comme celle de l'Espagnol Sergio Prego où un dormeur voyage à toute vitesse le long d'un parapet (elle a été achetée par le collectionneur Marty Margulies de Miami, chez Lorenzo). Au milieu de ce dédale d'installations, les "classiques" prennent toute leur place : une magnifique lame d'acier de Richard Serra déchire l'espace, Olivier Mosset présente une superbe maison de glace fondue dès le deuxième jour ou encore l'espace à vivre en forme d'organes humains de l'atelier Van Lieshout amuse le visiteur. La palme d'or, cette année revient aux installations d'Hans Op de Beeck et à celle de Job Koelewijn. Dans l'installation d'Hans Op de Beeck, le visiteur perçoit une route infinie éclairée depuis l'intérieur d'un fast-food. Les sons et l'ambiance de l'installation font penser à une fin du monde ou à un monde sans vie. La seconde installation, celle de Job Koelewijn joue aussi sur le mensonge. Le spectateur rentre dans un salle de cinéma, attiré par la musique de film. Une fois installé, il ne voit pas le film, car il n'y en a pas, mais simplement la foire de Bâle à travers une simple plaque de verre. La supercherie dans les deux installations ne se comprend pas immédiatement, le public attend, attend quoi ? Mais rien n'arrive car tout est déjà là.
La foire de Bâle est le "pouvoir de référence" de l'art moderne et contemporain. Cette année la foire est intéressante mais pas exceptionnelle. Art 35 Basel ne réserve que peu de surprises (hormis "Art Unlimited"), les grandes galeries sont présentes ainsi que les artistes du XXe et XXIe siècle. Après l'opération réussie de mai dernier au USA, Bâle semble être un succès certain. En France, il faudra attendre la Fiac de début d'automne pour en juger, mais la nouvelle foire de Londres, Freeze qui ouvre aux mêmes dates que la foire parisienne sèment déjà le doute chez les spécialistes du monde de l'art.
Clément Nouet Bâle, juin 2004
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