… méditer
longuement
sur un unique
tableau
accroché
dans une petite
salle.
Mark Rothko
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"Ce serait bien qu'on puisse construire partout dans le pays des lieux, des sortes de petites chapelles, dans lesquelles un voyageur ou un promeneur puisse méditer longuement sur un unique tableau accroché dans une petite salle", déclarait Mark Rothko en 1954. Chose faite avec la Fondation Beyeler qui abrite depuis novembre 2001 les Mark Rothko Rooms. Cette installation, réalisée en étroite collaboration avec les enfants de l'artiste, Kate Rothko-Prizel et Christopher Rothko, propose aux visiteurs un important corpus d'œuvres couvrant toutes les périodes de cet artiste. Sa forme permanente en fait un événement sans précédent en Europe. Après le succès de l'exposition temporaire "Mark Rothko, A consummated experience between picture and onlooker", Ernst Beyeler et le commissaire invité de l'exposition, Oliver Wick, ont en effet éprouvé le désir de donner un prolongement à cet événement. D'autant plus qu'en raison du déménagement d'anciennes collections privées et de plusieurs ensembles d'œuvres, peu de musées disposent encore de tableaux isolés de l'artiste.
Comme l'a clairement établi l'exposition temporaire, Mark Rothko a formulé dès le début des années 1950 "au moment de la réalisation de ses premières créations caractéristiques" le vœu d'exposer ses œuvres, en petit groupe ou isolément, dans un espace qui leur fût réservé. Ce n'était qu'ainsi, disait-il, qu'elles pouvaient révéler au spectateur toute leur beauté et leur intimité. Toute la vie du peintre aura été marquée par cette inquiétude touchant le sort de ses tableaux. Il s'efforçait de conserver à ses œuvres toute leur éloquence et leur force d'expression en s'opposant à leur dispersion et en refusant de participer à des expositions collectives. Même en des temps où il fut obligé de vendre pour des raisons alimentaires, il eut toujours beaucoup de mal à se séparer de ses toiles, préférant se constituer un petit trésor pictural.
Les travaux de commande de la fin des années 1950 et du début des années 1960, qui ont permis la naissance d'une série intégrale de Murals destinés à un lieu spécifique, ont défini le concept des "Rothko Rooms", dont la Rothko Chapel de Houston constitue, dans sa permanence, le modèle exemplaire. C'est cette même idée d'unité, de globalité de son œuvre qui a incité l'artiste, peu avant son suicide, à créer la Mark Rothko Foundation. Sa vocation majeure devait être, grâce à des dons et à des prêts de longue durée, de permettre l'aménagement de salles en lieux appropriés et de préserver ainsi l'héritage artistique de Mark Rothko. En 1969, au terme de plusieurs années de négociations, l'artiste signa à cet effet un contrat de donation avec la Tate Gallery de Londres. Les neuf grands formats de la série des Seagram Murals qui y sont exposés constituent la dernière des Rothko Rooms.
Le troisième accrochage à la Fondation Beyeler, avec douze toiles, se veut fidèle aux vœux que l'artiste avait exprimés dans sa correspondance avec la Tate Gallery (devenue depuis la Tate Britain et la Tate Modern) de Londres. Il aurait été disposé, parallèlement aux sombres Seagram Murals, à réunir dans une deuxième salle un groupe de "more brilliantly coloured paintings", pourvu que ces œuvres y fussent installées de manière permanente. C'est en s'inspirant de cette volonté qu'on a constitué à Riehen, avec des tableaux des années 1950, une salle aux couleurs éclatantes S'oppose à elle une seconde salle comprenant des pièces des années 1960 dans une harmonie assombrie, parfois incandescente. Grâce aux prêts généreux des héritiers de Rothko, du musée Guggenheim de Bilbao et du Carnegie Museum of Art de Pittsburgh, ainsi que de collections particulières, la Fondation a aménagé à Riehen un lieu de méditation ouvert au "voyageur ou au promeneur", une véritable "la chapelle européenne de Rothko", a expliqué Ernst Beyeler. Les Mark Rothko Rooms doivent dans un premier temps rester en place jusqu'à la fin de 2003. D'autres rotations, des prêts supplémentaires et une présentation particulière à l'occasion du centenaire de la naissance de l'artiste sont prévus pendant cette durée.
Muriel Carbonnet-Caumes Bâle, juin 2003
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