Bien sûr
les artistes locaux
"sortis du rang"
sont convenablement
représentés…
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Bacynoir et Tricorouge, moyen mnémotechnique marin pour savoir où passer : à babord les cylindres noirs et tribord les cônes rouges. Ce système, tel un jeu de piste, nous mène de l'océan à la ville de Nantes où là un autre jeu de piste balisé par Daniel Buren guide nos pas d'une manifestation à l'autre pour les 20 ans du Frac. Jeu de piste balisé par d'autres formes et d'autres couleurs qui nous aide à découvrir les berges de la petite histoire de l'Art Contemporain. Bien sûr les artistes locaux "sortis du rang" sont convenablement représentés, mais aucune odeur de fond d'art contemporain régional. Il s'agit bien d'un regroupement organisé de pièces acquises dans les différents Frac de l'hexagone. Un aperçu de la création plastique de ces vingt dernières années y est remarquablement mis en valeur : de quoi déclencher d'autres aventures du même type comme le suggère dans sa lettre le maire de la ville.
Commençons par le château. Le titre de l'exposition Un tableau dans le décor laisse une ambiguïté sur le sens de "dans le décor". L'architecture intérieure du lieu se prête tout à fait bien à l'exposition d'un choix le plus varié possible de ce qu'a pu représenter la peinture ces vingt dernières années. Je reprendrai la classification du dossier de presse :
- 1er chapitre – une mise à distance de l'image : François Morellet, Pierre Soulages, Franck Stella, Martin Barré, Dan Flavin…
- 2ème chapitre : les iconoclastes historiques : Claude Rutault, Daniel Buren, Olivier Mosset, et Niel Toroni.
- 3ème chapitre : les grandes remises en cause de la picturalité : Gérard Richter, Art et Langage, Bernard Frieze, John Ammleder…
Et tous ceux qui ont tenté l'association peinture-objet, murs-sol-plafond, homo erectus-environnement : nous pouvons citer Albert Oehlen, Bernard Piffaretti, etc…
Toutes ces collections permettent d'improviser une quantité d'arrangements et de classifications, de reconnaissances des genres infinies car toutes ces recherches remettent en cause non seulement le support mais aussi l'univers de ce qui peut se poser sur ce support et c'est, à mon avis, une source intarissable.
Nous quittons le château où les drapeaux de Buren dans la cour nous rappellent qu'il y a encore une autre conversation à entretenir avec la toile et le vent transporteur de messages.
Au sortir du château, les douves nous laissent apprécier avec Lascaux III une ode à la fragilité, à la temporalité de la beauté, et à la relativisation du beau : construction éphémère, présentation ambiguë d'une forme de bois de récupération, de bouts d'aluminium, de photos de magazines sans âge (sculpture de Thomas Hirschorn, 1997).
En se dirigeant vers le Musée des Beaux-Arts, nous passons par la chapelle de l'Oratoire où la vénérable et non moins excellente vidéo de Peter Fischli et David Weiss Der Lauf der Dinge (Le Cours des choses), 1986-87, nous renvoie sur les traces de la spirale de la fragilité, voire des séries de catastrophes avec le vieux rêve de la chute qui n'en finit pas matérialisé par glissement puis chute d'objets vers le bas, le tout en cascade et n'en finissant pas, et cette sensation prégnante de descendre au fond de la forteresse appelée "self" sans pouvoir toucher le fond.
"Chemin faisant", nous sortons de la chapelle pour rentrer au musée où là un superbe accrochage dans le patio nous fait penser à une vision surréaliste avec le même bol rose avec lequel on a pris son petit déjeuner le matin mais sept cents fois plus grand, la même Ford T que votre grand-père et puis on se rend vite compte que c'est une exposition et là on se promène au milieu d'un excellent choix de sculptures et d'installations avec bien sûr de grands classiques, mais aussi quelques découvertes moins médiatisées : Georges Brecht du groupe Fluxus, Bill Woodrow, Richard Fauguet, Didier Marcel, Christian Marclay, et d'autres, dont le travail sur la construction-recontruction des concepts "sculpture" et "installation", d'interrogation sur l'artisanat, les objets industrialisés, le statut de la statue, de l'œuvre d'art ou de l'art lui-même…
La notion d'artiste en effet remonte au début du XVIIIème siècle et, avant la création de l'Académie Royale par Colbert, les artistes étaient des artisans, travaillant en guilde et n'étaient pas autorisés à exercer à titre libéral. Le Sieur Dürer était orfèvre de son état.
Le fondement de ces interrogations n'est donc pas nouveau. Les questions continuent d'affluer et spécialement pour la sculpture des cinquante dernières années.
Nous continuerons "chemin faisant" par la galerie de l'école des beaux-arts avec une pièce de Pieter Kogler et Frantz West, tous deux viennois.
Sculpture ? Décor intérieur ? Un long et épais rideau imprimé d'un motif cérébral, rideau qui se lève sur le divan… de Freud, allusion viennoise au père de la psychanalyse.
Une autre pièce de Pieter Kogler (1998) : intestin géant, organum envahissant la pièce de ses péristaltismes recouvert de motifs sériels organiques, le tout très SF (science fiction et non pas sado-foecal).
Je terminerai la visite par le Lieu Unique, locomotive artistique nantaise et régionale :
Dans la salle de réunion du premier, un igloo à douze étage pamphlète la Très Grande Administration Démocratique dont le dernier mot comporte douze lettres (étage anarchique, étage mystique, etc).
Au rez-de-chaussée, échange entre public et œuvres avec les vidéos des collection du Frac. La rencontre est à l'ordre du jour : Bartoloméo, Pippilotti Rist et d'autres induiront grâce à ces nouveaux médiums et l'installation du premier étage un jeu sur l'interactivité qui favorise les échanges et transforme le simple spectateur en acteur.
Jacques-Robert de la Meilleraye Nantes, septembre 2003
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