Journiac pousse le travestissement jusqu'à son paroxysme en amenant son modèle à la théâtralisation |
Hommage à Freud - Constat critique d'une mythologie travestie (mars 1972)
Œuvre photographique constituée de quatre portraits des parents de l'artiste (Robert et Renée Journiac) et de Michel Journiac travesti en ses parents.
Considérant que le corps est le donné fondamental, l'artiste français Michel Journiac (1935-1995) prend celui-ci comme terrain d'investigation artistique. Il est son outil central, sa matière première, son support, l'objet même de son travail. En effet, à partir de 1968/69, rejetant la tradition artistique esthétisante au profit d'une création ancrée dans la réalité quotidienne, il réalise des actions où il se met en scène et fait de son corps un instrument d'expression et de connaissance. Mais, selon Journiac, "il n'y a pas de corps existant de façon absolue. Celui-ci est lié à toute une série de contextes, d'objets, vêtements, etc. A partir de là, je pense toute la question de mon travail". [2] Et si "le corps est premier, il apparaît avec le sang et les vêtements. Le vêtement est sa forme dans le sens où c'est le moyen et en même temps une certaine définition de lui-même, ce par quoi l'on rencontre quelqu'un indépendamment du visage ou des membres" [3]. Par ces déclarations faites en 1973/74, Journiac nous informe sur la place centrale qu'il accorde au vêtement dans son œuvre, dans la mesure où celui-ci est le médium, "ce par quoi le corps peut être approché" [4]. Plus qu'une simple superficialité sans conséquence, la parure s'inscrit dans un vaste jeu symbolique et exprime une manière d'être en rapport avec l'autre, en bref de faire société. La mise en valeur du corps propre fonde le corps social. On peut à cet égard rappeler l'importance d'une œuvre majeure, comme la "notion de technique du corps" [5] de Marcel Mauss, où celui-ci établit une corrélation entre la société et la manière dont les hommes "savent se servir de leur corps." Il en est de même, plus récemment, pour Michel Foucault, qui insiste sur le rôle tout à la fois du "souci de soi" [6] et de "l'usage des plaisirs" [7]. Dans chacun de ces cas, la culture, qu'il faut comprendre comme ce qui fonde la vie sociale, est inexplicable sans la compréhension du corps. On peut même dire que Marcel Mauss et Michel Foucault montrent qu'il ne peut y avoir de "corps social" si l'on fait abstraction du corps individuel. Ce dernier étant à la base de la construction de la réalité sociale. Paul Schilder souligne également le caractère social, sexuel et postural du vêtement : "Dès que nous mettons un vêtement quelconque, il s'intègre immédiatement dans l'image du corps et se remplit de libido narcissique. Dans la mesure où les vêtements font partie du schéma corporel, ils deviennent tout aussi signifiants que les autres parties du corps et peuvent avoir les mêmes significations symboliques." [8] Mais comme le dit Michel Maffesoli : "La parure est tout à la fois ambivalente, l'authentique et l'inauthentique s'y mélangent à souhait, la parure permet à la fois d'être tout à fait désindividualisé et de rester pour autant soi-même. On pourrait multiplier les qualités de cette modulation de l'apparence" [9]. Le vêtement qui semble a priori mettre le corps en valeur, le révéler (statut que l'on a tendance à lui accorder) ne le dissimule-t-il pas pour autant ? Ces frontières étroites s'imbriquent à tel point qu'on ne sait plus très bien si le vêtement est conçu pour montrer ou bien camoufler? Autant de questions qui préoccupent Michel Journiac, tout au long de son travail. Ainsi, l'artiste fait apparaître le caractère fortement ambivalent, voire contradictoire de la pratique vestimentaire. Considérant que l'habillement n'est pas le simple reflet de l'identité, Journiac se joue de l'incertitude concernant l'apparence, par le biais du travestissement [10]. Celui-ci est un indice quant à la réversibilité de l'espace identitaire. Ainsi, simplement vêtu, le corps disparaît sous le revêtement alors que travesti, déguisé, paré de différentes strates de vêtements ou de maquillage, ce dernier affirme son caractère aux contours aléatoires. L'artiste pose ainsi, les problèmes de l'être et du paraître, de la vérité et du mensonge, de l'intérieur et de l'extérieur, nous mettant en garde contre les fausses simplicités de l'apparence [11].
A l'heure où cette question constitue une des problématiques fondamentales dans la création contemporaine [12], voyons comment l'utilisation que Michel Journiac fait du vêtement lui sert de jalons successifs dans sa quête identitaire. Son travail sur la mise en scène de l'habit évolue inexorablement de l'imitation vers la déformation des personnages mis en scène. D'Hommage à Freud (mars 1972) à Piège pour un travesti (juin 1972) en passant par L'inceste (mars 1975) et 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974), l'artiste manie l'hyperbole, à partir de détails (maquillage, parure, déguisement, geste, scénographie) selon différentes graduations qui vont d'une imitation discrète qui témoigne d'une retenue, d'une sobriété, à une exagération parodique. Journiac oscille entre le pastiche et la caricature. Son style parodique évolue en fonction du degré de transformation de son référent. La ressemblance tend à devenir de moins en moins prééminente, alors que la distance conçue par la satire dans l'appréhension ludique de la réalité augmente. Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974)
La réalité : le raccord
La famille, première sphère sociale
Dans Hommage à Freud - Constat critique d'une mythologie travestie (mars 1972), Michel Journiac fait pour la première fois appel à ses parents Robert et Renée Journiac [13]. Il leur demande de s'habiller avec leurs vêtements habituels et de poser le plus naturellement possible. Puis, il leur emprunte leurs vêtements (le gilet de son père et le pull de sa mère) et leurs accessoires (les lunettes, le foulard de soie de son père, et les boucles d'oreille, le collier de perles ainsi que le pendentif de sa mère). Il se fait aussi maquiller et coiffer afin de leur ressembler successivement. Cette ressemblance est d'ailleurs, à chaque fois frappante. Journiac arbore une certaine neutralité qui se défend de toute exubérance par une expression mimétique cohérente et convaincante. On distingue non sans mal quel est le travesti. Les personnages à l'allure figée, statique regardent l'objectif droit dans les yeux, toisant légèrement le spectateur. L'artiste a éliminé tout décor en optant pour un arrière-plan neutre, un fond blanc uni. Et choisissant la sobriété de la photographie d'identité, il a préféré une lumière diffuse qui éclaire uniformément le modèle, coupé au niveau du buste. Journiac a sélectionné quatre photographies qu'il a réunies sur un même support [14]. En mettant en jeu l'image de ses propres parents, travestis en eux-mêmes, en les définissant comme incarnant le travestissement de leur propre personnage (Robert Journiac travesti en Robert Journiac, Renée Journiac travestie en Renée Journiac), l'artiste insiste sur l'antagonisme qui existe entre le jeu des apparences et le personnage, induisant que tout le monde joue un rôle et se proposant de réfléchir sur les modes constitutifs du faux semblant. Chacun se crée son propre personnage. Michel Journiac met en valeur l'écart qui existe entre le corps et son vêtement, non à l'aide d'un procédé rhétorique de surcharge, mais en usant de ce trop plein de subordination qui fait du costume un servile exécutant. A ce sujet, Michel Maffesoli rappelle cette maxime, motif universaliste pour l'image de soi, qui renvoie depuis toujours à une pratique générale du groupe : "Dans la théâtralité générale, chacun, à des degrés divers, et en fonction des situations particulières, joue un rôle (des rôles) qui l'intègre(nt) à l'ensemble sociétal" [15]. En posant ainsi les questions de l'être et du paraître, de la vérité et du mensonge, Journiac nous met en garde contre l'apparence : "Il y a dans cette tentative de piéger le corps par l'objet et l'objet par le corps (…) une contestation de l'image telle que la ‘‘Culture'' l'impose; l'image ne doit jouer un rôle qu'en tant que substitut, faux se reconnaissant comme faux, qu'elle ne se donne pas, qu'elle n'apparaisse pas comme une pseudo-vérité, mais qu'elle s'accepte comme une fausse vérité" [16]. C'est à partir du costume que nous nous formons une première impression de nos semblables. Les vêtements d'un inconnu nous fournissent immédiatement des informations quant à son sexe, ses occupations, sa nationalité ou son milieu social, de sorte que nous pouvons au préalable ajuster notre comportement à son égard. L'habit est donc soumis au regard des autres, à leur jugement. "Que je sorte à Paris, vêtu d'une robe et j'encours une réprobation écrasante. Le vêtement et son histoire [17] ressortissent d'un fantastique nourri de métaphysique mais aussi de vigilance sociale" [18]. Ainsi "le vêtement n'échappe pas à l'ennuyeuse mission de dénoncer les situations sociales" [19], de "poursuivre son emploi de flic social" [20]. En effet, selon Michel Journiac, le vêtement est indiscutablement lié au corps, l'enchaînant ou le délivrant, l'asservissant ou l'utilisant tout en le secondant. Exister, vivre, travailler, équivaut à porter sur soi l'habit indispensable qui fait reconnaître d'autrui, signe un état, un métier ou bien même marque l'infortune. Si les vêtements sont constitutifs de notre propre corps et nous définissent socialement - "Ici et maintenant est la société de l'objet. Nous en sommes environnés, ils nous donnent l'existence, nous font vivre, nous définissent socialement, du vêtement à la nourriture" - ils constituent également des pièges, selon Journiac. La parure, "zèle dénonciateur" [21] n'est qu'un moyen de donner une image de soi à partir de laquelle nous sommes définis et jugés, sans refléter totalement notre personnalité. Et plus grave encore, elle peut être une entrave à la communication car elle détermine des attitudes, des situations et finalement des rapports. Par exemple, la chemise blanche n'est pas seulement un signe de netteté mais aussi un symbole social. Elle affirme une efficacité propre au pouvoir de la classe supérieure, celui des cols blancs qui détiennent les ficelles du monde, tandis que le travailleur manuel reste inscrit dans le bleu. L'artiste considère le vêtement comme un instrument d'une efficacité redoutable dans notre société normalisatrice. Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974)
La réalité : le retour du mari
C'est pourquoi, Michel Journiac a recours au travestissement comme moyen de subversion des codes moraux et sociaux, comme irrespect, rébellion, face à l'uniformisation des produits, des vêtements et du corps. L'artiste trouve dans la mascarade une dimension critique de la société et du pouvoir qui s'exerce sur les corps, constituant sa réponse socio-politique à la conformité. En effet, le déguisement, opération essentiellement ambiguë ne cache que partiellement la vraie nature de l'individu dont elle déforme quelques traits mais dont elle laisse libres et intacts d'autres. L'apparence devient troublante, suscite de la curiosité à cause de l'incertitude où elle plonge le spectateur qui se trouve alors en face de phénomènes naturels contrariés. Le travestissement révélateur de l'ambiguïté, la disparition du dimorphisme sexuel sont destinés à provoquer chez les spectateurs un malaise analogue à celui que la société fait subir à ses minorités. Ce qui est en cause dans le travestissement de Michel Journiac, c'est la question même de l'identité [22].
En effet, dans les années soixante-dix, prenant exemple sur les féministes qui contestent les rôles traditionnels qu'on leur assigne, les hommes commencent à s'interroger sur leur identité. Dans cette période d'incertitude, la question de l'homme devient un problème à résoudre plutôt qu'une donnée. Les limites du masculin et du féminin sont devenues floues. Et chaque homme, désormais, de s'interroger sur son identité profonde. "L'ordre si souvent entendu : ‘‘Sois un homme'' implique que cela ne va pas de soi et que la virilité n'est peut-être pas si naturelle qu'on veut bien le dire. (…) L'homme lui-même et ceux qui l'entourent sont si peu sûrs de son identité sexuelle, qu'on exige des preuves de sa virilité. ‘‘Prouve que tu es un homme'', tel est le défi permanent auquel est confronté un être masculin. (…) La confusion est à son comble lorsque le langage courant parle volontiers d'un homme, un vrai pour désigner l'homme viril. Cela signifie-t-il que certains êtres humains n'ont que l'apparence de l'homme; sont de faux hommes ?" [23]. Par ailleurs, en se travestissant en ses parents, Journiac leur rend hommage [24], reconnaît qu'il en est la substance. Mais, lui qui a l'art de brouiller les pistes, suggère également, que la ressemblance physique à ses parents n'est due qu'au travestissement. Il joue sur la notion d'identification, différenciation et relève le défi de l'imitation en proposant sur un mode ludique une comparaison entre l'original et la copie. Par extension, en s'amusant de cette ambivalence, il questionne le fait que l'identification au patrimoine familial soit susceptible de déterminer le cours d'une vie. Enfin, Michel Journiac exprime son ambiguïté par rapport à la théorie freudienne. Cette œuvre est à la fois un "hommage à Freud" : "Je n'ai pas été insensible au travail de Freud" [25], mais, c'est également le "constat critique d'une mythologie travestie". D'une part, l'artiste suggère une certaine fascination pour la psychanalyse qui est selon lui, "une construction" [26], "une élaboration de concepts" [27], une histoire subjective "assez fascinante parce que mythologique. Et qui, en tant que telle, peut-être efficace" [28]. Et il ajoute : "cet hommage est un coup de chapeau aux psychanalystes car, une fois travesti en ma mère, mon père m'a mis la main sur l'épaule en me disant : ta mère jeune" [29]. D'autre part, l'artiste qui était homosexuel, refuse l'explication psychanalytique qui énonce que l'homosexualité découle d'un complexe d'Œdipe non résolu [30]. Il reproche à certains psychanalystes d'interpréter ce complexe dans le rapport au père et à la mère, "sans tenir compte du contexte social" [31]. Il ainsi dresse "le constat d'échec du rituel magique de la psychanalyse" [32] car il la considère comme une "pseudo-libération" [33], "devenue une méthode, une mythologie exégétique permettant de mieux culpabiliser l'individu" [34], et comme un mode d'emploi pouvant rendre compte de tous les problèmes [35]. Enfin, l'artiste accuse la psychanalyse de se fonder uniquement sur la parole, de faire l'économie du corps et d'être en cela, dictatoriale [36]. En définitive, de par sa position équivoque, Michel Journiac oppose Freud à Freud lui-même. La défense de l'artiste face à la psychanalyse, découle du vécu homosexuel particulièrement aigu et douloureux dans le contexte homophobe des années soixante-dix. Journiac amalgame le discours social qui traite l'homosexualité comme une maladie au discours psychanalytique, selon lui également culpabilisant et normalisant. Pourtant Freud développa l'argument de l'essentielle bisexualité comme une pulsion universelle mais qui n'en est pas moins une étape à dépasser [37]. Et loin d'être dictatoriale, le but de la psychanalyse est de donner aux analysants les moyens de mieux se connaître et de s'accepter avec ses différences et ses limites. De l'Œdipe à l'inceste Poursuivant la mise en scène de la quête d'identité au sein de la famille, Michel Journiac multiplie les travestissements dans L'inceste (mars 1975). Cette action photographique s'inscrit dans la continuité d'Hommage à Freud en aborde un autre problème régulièrement évoqué en psychanalyse : l'inceste. L'artiste bénéficie une fois encore de la complicité de ses propres parents qui interprètent leur propre rôle, tandis que lui poursuit sa volonté d'embrasser tous les rôles, en se travestissant grâce à tous les artifices nécessaires (perruque, bijoux, vêtements). Il joue le fils qui se travestit aussi parfois en femme afin d'interpréter la fille-amante ou la mère-amante. Une scénarisation s'ébauche à travers un travail d'animation par la mise en situation des personnages ; ce qui augmente le caractère fictif de l'œuvre. Les personnages aux attitudes figées, forcées, crispées, maladroites, à la gestuelle emphatique et démonstrative frôlent presque le ridicule. Journiac accentue davantage le côté parodique en adoptant des attitudes grotesques, maniérées (mimiques, moues, déhanchements, inclination de la tête.) Par le biais du travestissement et du photomontage, il étudie les multiples "possibilités mathématiques de l'inceste" [38]. Il joue sur les différentes variations de rapports incestueux possibles, en posant la question de la séduction. Qui m'attire ? Qu'est-ce qui me séduit chez l'autre ? Qu'est qui dans l'autre fait écho en moi, et de façon inconsciente, à ma relation parents-enfants ? Journiac utilise la théorie freudienne stipulant qu'il est dans la nature de l'être humain (mâle ou femelle) de commencer sa vie dans une relation amoureuse passive afin de révéler ce qui dans les années soixante-dix était totalement refoulé dans le discours social. En complexifiant ses tenues d'une scène à l'autre (manteau de cuir, salopette, costume…), Journiac suggère que l'inceste touche toutes les catégories sociales. L'inceste (action photographique), 1975
Le montage photographique permet également à l'artiste de dévoiler la relation homosexuelle lorsqu'il associe deux hommes ou deux femmes.
Grâce à ces jeux de rôles, l'artiste pose alors les questions : Comment être soi-même ? Avons-nous une personnalité bien définie, une identité originelle ? Ne sommes-nous qu'une somme d'identifications différentes ? Travesti de lui-même en incarnant tous les rôles (le père, la mère, le fils, la fille), Journiac personnifie peut-être physiquement la crise et la recherche d'identité. Le recours au photomontage lui permet de montrer dans un même instant trois images différentes de lui-même et de suggérer ainsi les différentes facettes d'une même personnalité, de révéler sa complexité, dans cette société qui nous fige "sexuellement, socialement, économiquement" [39]. Nous nous sentons parfois forts, fragiles, gais, mélancoliques, dépendants ou au contraire autonomes. Tel un caméléon, nous nous affublons d'une nouvelle peau. C'est ce que Journiac ne cesse de nous montrer, nous invitant à composer avec tout ce potentiel. Dans ce même état d'esprit ludique, Michel Foucault nous suggère de faire preuve de plus d'imagination : "Les rapports que nous devons entretenir avec nous-mêmes ne sont pas des rapports d'identité ; ils doivent être plutôt des rapports de différenciation, de création, d'innovation. C'est très fastidieux d'être toujours le même" [40]. "L'égalité à soi est impossible puisque rien n'échappe à la réversibilité" [41]. La position de fils-voyeur qu'occupe Journiac accuse sa distanciation ironique par rapport aux problèmes qu'il développe. Cette œuvre est animée d'un "phénomène dramatique originel", qui correspond au fait "d'assister soi-même à sa propre métamorphose et d'agir dès lors comme si l'on était effectivement entré dans un autre corps, dans un autre personnage." [42] De la sphère familiale à la sphère sociale Avec les 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974), Michel Journiac passe littéralement dans la sphère de la mise en scène, au sein du couple, qui est de plus en plus perfectionnée et parodique. En plus du costume et des poses affectées, l'artiste est soucieux du décor sans oublier les accessoires. Les scènes sont réalisées dans l'appartement de ses parents [43] ou dans la rue. Tous ces détails réalistes qui confèrent au travail de Journiac un caractère plus vivant, indiquent que l'artiste se prend au jeu du travestissement. Cette série comprend quarante-huit photographies en noir et blanc qui se succèdent selon l'ordre chronologique créant ainsi une suite narrative relative aux tâches quotidiennes d'une femme ordinaire. Elle se subdivise en deux parties : vingt-huit clichés pour la réalité, et vingt pour les fantasmes [44]. Dans les images de la réalité, Michel Journiac travesti en femme "petite-bourgeoise" (collier de perles, ongles vernis, coiffure apprêtée) reproduit sur un mode réaliste la quotidienneté banale et rituelle des gestes féminins. L'artiste mime ses actes depuis le réveil du mari en passant par l'exécution des tâches ménagères, le départ pour le travail, le déjeuner, les courses, jusqu'au retour de l'époux. Puis, se déroule la soirée avec entre autres le dîner, puis dans le lit conjugal l'entreprise de séduction du mari plongé dans la lecture de son journal. Enfin, cette femme rêve de l'arrivée d'un amant qu'elle attend. Cet éloge du quotidien dans ce qu'il a de plus trivial, quelconque et insignifiant constitue la forme parodique par excellence. En laissant apparaître la musculature de ses bras, son système pileux, Journiac crée une discordance avec ses attitudes maniérées, appliqués, suggérant ainsi une distanciation par rapport au modèle. Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974)
Les fantasmes : la maternité
Dans la seconde série, l'artiste met en scène, non sans ironie les fantasmes les plus contradictoires. Ceux-ci vont de la mariée à la veuve, de la mère allaitant son enfant à la prostituée, de la communiante à la strip-teaseuse en passant par la féministe. Il décline aussi un certain nombre de rêves de midinettes (être dans les bras d'un play-boy, devenir une cover-girl, une reine…) et ayant l'art de brouiller les pistes, il se travestit en lesbienne, en femme travestie en homme, incarnant toujours les divers fantasmes. L'artiste s'en donne à cœur joie : le violeur par exemple ne viole rien du tout, il semble davantage retenir un malade qui tourne de l'œil. Michel Journiac est habillé en femme mais il offre un sein désespérément poilu au bébé qu'il berce. Son travestissement reste grossier, visible et distancié. L'artiste théâtralise volontairement ses gestes qui deviennent grotesques, excentriques, extravagants (bras et jambes exagérément écartés). Désormais, Journiac privilégie la démesure par la surabondance des effets, des tiraillements entre une chose et son contraire. "Il est si doux de changer de sexe, si délicieux de contrefaire la putain, de se livrer à un homme qui nous traite comme une femme, d'appeler cet homme son amant, de s'avouer sa maîtresse. Ah ! Mes amies, quelle volupté !" [45]
Dans cette œuvre, Journiac dénonce la vie dominée par la routine et la médiocrité vécue par la femme et des milliers de gens. Il souligne le caractère sclérosant de cette vie conformiste où on s'enferme dans des gestes répétitifs et insiste sur le caractère asservissant du rituel stéréotypé vécu par la femme. L'artiste révèle ainsi la dimension aliénante, subalterne et soumise des actions domestiques effectuées par la femme, induisant ainsi une misogynie encore prégnante dans cette société. En dénonçant une certaine oppression de la femme, cet artiste homosexuel exprime en miroir, le rejet de l'homosexualité qui à l'époque, ne sort qu'exceptionnellement de la clandestinité, ou est traitée comme une maladie [46]. Incarnant la douleur des exclus, il revendique la liberté pour tous d'exister dans une réelle complexité. En remettant en cause les rôles et les conditionnements sociaux, sexuels dictés par un système normatif, où les hommes doivent avoir l'air viril et les femmes féminines, Michel Journiac nous rappelle le geste de Marcel Duchamp qui dès 1920, se constitua un alter ego féminin : Rose Sélavy. Ce dernier exprimait ainsi son choix délibéré de changer d'identité sexuelle, à défaut de trouver un nom juif satisfaisant [47]. Au-delà de la référence explicite à l'érotisme (Eros c'est la vie), ce nouveau patronyme garde cependant la trace de sa première décision (Rosa est un prénom féminin fréquemment porté par les Juifs ; Sélavy est sur le plan de sa consonance, proche de Lévy). En revendiquant une féminité et une judaïté, fusse-t-elle simulée ou jouée, Duchamp opérait un geste idéologique important. En condensant, dans une même figure, la femme et le Juif et en s'identifiant à elle, il fournissait à sa manière une forme d'antidote à l'antiféminisme et à l'antisémitisme régnants [48]. De l'ordinaire à l'extraordinaire C'est à présent, le travestissement en femme fatale que Michel Journiac met en scène dans Piège pour un travesti (juin 1972), en convoquant un travesti professionnel (Gérard Castex). L'artiste exprime ici sa fascination pour le processus de transformation [49], plus que son besoin d'appartenir à un sexe ou à un autre. Ce qui lui importe ce n'est pas de revêtir tels ou tels attributs, mais bien de pouvoir passer d'une identité à l'autre, qui résume cette volonté d'être entre deux excessivement. Cette action photographique se compose de quatre séquences comprenant chacune trois clichés noir et blanc [50] et un miroir. La première photographie représente un homme vêtu en civil dont le visage est assez inexpressif. Puis le même modèle qui apparaît entièrement nu, dissimule sa poitrine ou son sexe, faisant allusion à l'androgynie [51]. Dans le troisième cliché, maquillé, coiffé, habillé en femme et doté d'accessoires féminins stéréotypés (bracelets, fleurs…), il se présente travesti en stars telles que Gene Harlow, Arletty, Greta Garbo et Rita Hayworth [52]. Michel Journiac, Piège pour un travesti (juin 1972)
Série de trois photographies d'un homme se travestissant en Greta Garbo, plus un miroir.
En synthétisant en l'espace de trois images, le travestissement progressif, le passage de l'homme à la femme par la médiation du vêtement, l'artiste souligne l'ambiguïté sexuelle inhérente, selon lui à l'être humain [53]. Il révèle ce qui se dissimule sous le "naturel" socioculturel, en restituant la personnalité plurielle, et notamment hermaphrodite, bisexuelle, latente sous l'identité d'emprunt [54]. Bref, Journiac affirme son "refus des agencements des sexes, des paroles et des corps" [55]. Il tente de faire "accepter la réversibilité des sens, détruire le principe d'identité au profit de l'ambiguïté, en proposition de vie" [56]. En déplorant le "corps châtré, ou sexué, arbitrairement, selon le temps, par la société" [57], l'artiste remet en question cette dernière qui s'obstine à attribuer de façon arbitraire un sexe aux choses, à tout identifier sur fond de différence [58].
Dorénavant, Journiac pousse le travestissement jusqu'à son paroxysme, en amenant son modèle à la théâtralisation. Les poses (jambes découvertes exagérément croisées, main sur la hanche) et les expressions (sourire figé ou au contraire mine pathétique) volontairement outrées caricaturent la prestance et le maintient de la femme fatale. L'artiste accentue les composantes visibles du déguisement en choisissant des chaussures à talon très haut, des robes au drapé excessif, des décolletés provocants, des perruques abondamment bouclées et une surcharge de fard qui vient rehausser le teint pâle des stars. L'artiste montre comment le travesti masculin fait partie du spectacle social, en en constituant la caution ludique, parodique et carnavalesque ; et qu'il se conforme le plus souvent aux imageries féminines fabriquées par l'imaginaire masculin [59]. C'est pourquoi le travesti en rajoute toujours, il est plus femme que les femmes. Par cette mascarade, Journiac évoque la fragilité de la masculinité qui ne peut sortir de la fatalité symbolique de son anatomie, illustrant ainsi la thèse classique de l'idéologie du manque et de la castration [60]. Ce que dissimule le travesti sous les oripeaux de son identification féminine, c'est l'absence du phallus [61]. Michel Journiac, Piège pour un travesti (juin 1972)
Série de trois photographies d'un homme se travestissant en Arletty, plus un miroir.
En dernière instance, le miroir sur lequel figure le nom de chaque star, placé en fin de chaque série est un piège qui contraint le visiteur à un face-à-face avec lui-même, à sa propre remise en question. Le reflet lui renvoie l'image de son propre travestissement, exhibe ses simulacres et dénonce ainsi l'hypocrisie sur laquelle est construite la société. L'artiste soulève le problème du narcissisme humain en reprochant aux individus de rester des hommes-objets prisonniers de leur image. Journiac exprime au contraire l'indéfini, l'ambivalence, le trouble identitaire en mettant en scène toutes les personnalités contradictoires qui habitent l'individu. A travers son œuvre, l'artiste explore la métamorphose autant que l'opacité de toute image.
En réaction au contexte socio-politique conformiste des années soixante-dix, le travail de Michel Journiac adopte un caractère contestataire qui vise à une échappatoire subversive aux valeurs sociales et culturelles conventionnelles et dominantes. Le vêtement y est un instrument normalisateur redoutable. S'il est constitutif de notre propre corps, il nous définit socialement et sexuellement. C'est un moyen de donner une image de soi à partir de laquelle nous sommes définis et jugés sans refléter totalement notre personnalité. Conscient du pouvoir suggestif du costume, l'artiste fait usage du travestissement pour débusquer, chaque fois, une face cachée ou refoulée de l'être. Le déguisement propice à l'exaspération, à l'exhibition, permet de souligner l'hermaphrodisme de la nature humaine, l'ambiguïté sexuelle, l'incertitude de l'identité. Il opère comme une catharsis en dénonçant le corps-objet impassible créé par notre monde conventionnel. A travers sa démarche parodique et distanciée, Journiac s'accomplit dans la mise en scène de lui-même comme un autre, en répondant à la prise de conscience de la malléabilité de l'être entre convenances et fantaisies. Il nous invite à mieux nous pénétrer de nous-mêmes sans hypocrisie et sans faux-semblants ; nous pousse à analyser notre participation au monde et en cela à modifier les conditionnements idéologiques de tous bords et les aliénations de toutes natures. Le corps travesti devient ainsi un modèle, une manière de concevoir le monde et une organisation plastique idéale pour l'artiste. "L'artiste est une exception : son oisiveté est un travail, et son travail est un repos ; il est élégant et négligé tour à tour; il revêt à son gré la blouse du laboureur, et décide du frac porté par l'homme à la mode ; il ne subit pas de lois : il les impose" [62].
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974)
Les fantasmes : la cover-girl |
Lire aussi Gina Pane, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire et Pour Michel Journiac, le corps est comme "une viande consciente socialisée"
[1] "Ce qu'il y a de plus indécent dans ce que tu fais, ce serait un peu comme quand Flaubert disait : "Madame Bovary, c'est moi." Jonas est toi, Job aussi d'une certaine manière. Tu es chacun des êtres qui sont là, et ce travestissement te révèle." ("Un supplément d'indécence - Entretien entre Jean Demélier et Michel Journiac", Artitudes International, n° 21/23, avril/juin 1975, p. 47.)
[2] "Dix questions sur l’art corporel et l’art sociologique - débat entre Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thénot - Paris - le 18 novembre 1973", Artitudes International, n° 6/8, décembre 1973 - mars 1974, p. 5.
[3] Michel Journiac, "De l’objection du corps", 24 heures de la vie d’une femme ordinaire, Paris, Arthur Hubschmid, 1974, n. p.
[4] Ibid., n. p.
[5] Marcel Mauss, "Sixième partie : Les techniques du corps", Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 482, p. 365-386.
[6] Michel Foucault, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984.
[7] Michel Foucault, L'Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984.
[8] Paul Schilder, L'image du corps. Etudes des forces constructives de la psyché (1938), Paris, Gallimard, 1968, p.°220.
[9] Michel Maffesoli, "Une symbolique du corps", Le corps tabou, Arles, Babel, 1998, p. 159.
Voir aussi : Roland Barthes, Système de la mode, Paris, Le Seuil, 1967. Marc-Alain Descamps, Psychosociologie de la mode, Paris, PUF, 1979. J. C. Flügel, Le rêveur nu - De la parure vestimentaire, Paris, Aubier Montaigne, Coll. La psychanalyse prise au mot, 1982. E. Lemoine-Luccioni : La Robe. Essai psychanalytique sur le vêtement, Paris, Le Seuil, "Le Champ freudien", 1983. France Borel, Le vêtement incarné. Les métamorphoses du corps, Paris, Calmann-Lévy, 1992.
[10] Le premier chapitre du livre d'Agnès Masson, Le Travestissement. Essai de psychopathologie sexuelle, (Paris, Hippocrate, 1935) traite des vieilles origines culturelles de ce comportement : "Le travesti dans l'histoire, la littérature, l'ethnographie". Elle y propose un résumé brillant de tous ceux qui, par leurs mots ou leurs actes ont immortalisé le travestissement : Platon, Xénophon, Lucien, Théocrite, Virgile, Horace, Catulle, Néron, Héliogabale, pour aboutir à la France, pays de la papesse Jeanne, de l'abbé de Choisy, de Mlle de Maupin (Mademoiselle de Maupin de Théophile Gauthier, 1835), d'Henri II et du chevalier d'Eon (agent secret Louis XV à la cour russe), sans oublier George Sand ou Sarah Bernhardt. Elle anticipe également sur Foucault en considérant la nature culturelle de la sexualité : l'homosexualité dans la Grèce antique, le tropisme du travestissement et du déguisement au cœur de la littérature de la Renaissance (Shakespeare). Elle passe "des pages demoiselles" de Rabelais à Balzac (Sarrazine, 1830) et à Rachilde (Monsieur Vénus, 1884).
[11] Daniel Roche, La culture des apparences - Une histoire du vêtement XVIIè - XVIIIè siècle, Paris, Fayard, 1989.
[12] De diverses manières, d'autres artistes travaillent sur la différence sexuelle, sur son possible effacement, sur son renversement ou son travestissement. Depuis 1966, Pierre Molinier a joué avec des montages de photographies pour se transformer en androgyne manipulant différents objets fétiches (talons aiguilles, bas résilles, godemichés). Dans les années soixante-dix, Jurgen Klauke fait du travestissement le thème essentiel de son travail, insistant sur la notion d'ambivalence ou déclinant toutes sortes de rôles familiaux et sociaux. Dans ses autoportraits photographiques, Urs Lüthi met en scène l'ambiguïté sexuelle et la multiplicité de ses aspects possibles (divers âges et sentiments…) suggérant la superficialité, voire la fragilité de l'identité sociale liée à la sexualité, à l'âge. Un film de Vito Acconci le montre dans une pièce noire, nu, son sexe tiré en arrière et invisible, s'efforçant de vivre son corps comme un corps féminin (Conversions, 1971). Déguisé et maquillé entre homme et femme, Luciano Castelli se met en scène et se photographie, nous renvoyant à la vie nocturne des cabarets. Fasciné par les plumes, les paillettes, le strass, son travestissement est avant tout éloge du maquillage. Chez Chuck Nanney, le déguisement prend des formes grotesques, humoristiques lorsqu'il revêt des habits de jeune fille tout en conservant ses jambes poilues et sa barbe. Si le travestissement se fait le plus souvent de l'homme vers la femme, on remarque le mouvement contraire. Plusieurs artistes féminines se déguisent en homme : Katharina Sieverding, Cindy Sherman, Maria Lassnig, Alix Lambert, Catherine Opie revendiquent le droit au travestissement. A travers leurs photographies qui montrent, entre autres, des transsexuel(le)s, Zoé Léonard ou Nan Goldin soulèvent toute l'ambiguïté du corps, de ses différentes métamorphoses, transformations. Enfin, on se souvient bien sûr comment Marcel Duchamp a anticipé cette réflexion artistique sur la bisexualité de chaque individu. En 1920, il se crée un alter-ego féminin en se travestissant en femme du monde, Rrose Sélavy dont le portrait exécuté par Man Ray apparaît pour la première fois sur un flacon d'Eau de voilette. Belle Haleine en 1921. (Cf. Marie-Louise Schumacher, Identité, réalité, fiction, Belgique, Ad Hoc, 1976. Identité / Identifications, Bordeaux, Centre d'Arts Plastiques Contemporains, 1976. Eux, qui sont-elles ? Art du travestissement et travestissement de l'Art, France, Paul Vermont, 1978. Masculin - féminin, Graz, Dreiländerbiennale Trigon, 1979. Androgyn, Sehnsucht, nach Vollkommenheit, Berlin, Dieter Reimer Verlag, 1986. Fémininmasculin, Le sexe de l'art, sous la direction de Marie-Laure Bernadac, Bernard Marcadé, Centre Georges Pompidou, Paris, 24 octobre 1995 - 12 février 1996 ; Paris, Centre Georges Pompidou, 1995. Rrose is a Rrose is a Rrose - Gender performance in photography, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 17 janvier - 27 avril 1997, New York, Guggenheim Museum, 1997.).
[13] Les parents de Michel Journiac ont toujours soutenu le travail de leur fils.
Janine Antoni a également fait appel à ses parents qu'elle a directement travestis, pour réaliser Mom and Dad, 1993-1994 (triptyque).
[14] Cette œuvre pliée en deux dans le sens de la largeur a finalement été diffusée au public sous forme d'envoi postal, en avril 1972. Ce mode de divulgation suggère la dimension sociale du travail de l'artiste.
[15] Michel Maffesoli, Au creux des apparences. Pour une éthique de l'esthétique, Paris, Plon, 1990, p. 142.
[16] Michel Journiac, 24 h de la vie d'une femme ordinaire, op. cit., n. p.
[17] Par exemple, en Egypte, le vêtement prit aussitôt une valeur significative. Il y eut identification entre le rang, le pouvoir, la compétence d'un homme tels que la société les lui reconnaissait et la physionomie de son vêtement.
Au Moyen-Âge, chaque classe, chaque métier, l'âge même était désigné par un uniforme particulier, bref tout le monde était en uniforme sauf les militaires.
Par ailleurs, il n'est pas anodin de savoir que l'invention du vêtement fut une invention parallèle à l'invention de la religion.
[18] Jacques Laurent, Le nu vêtu et dévêtu, Paris, Gallimard, 1979, p. 17-18.
[19] Ibid., p. 33.
[20] Ibid., p. 40.
[21] Ibid., p. 40-41.
[22] "Toute une partie de mon travail tourne autour de l'identité dans laquelle on est figé, socialement piégé. L'ouvrier reste ouvrier sexuellement, socialement, économiquement. C'est un piège qui est à détruire." ("Entretien entre Michel Journiac et Jacques Donguy, Paris, mars 1985", L'art au corps - Le corps exposé de Man Ray à nos jours, Mac, Galeries contemporaines des Musées de Marseille, 6 juillet - 15 octobre 1996; Paris, Réunion des Musées Nationaux, p. 193.)
[23] Elisabeth Badinter, XY, de l'identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 13-15.
[24] "Je suis lié à tous les êtres qui sont autour de moi. Mes parents ont joué un rôle important par leur présence. Donc, c'était un moyen de leur dire : Je ne crée pas tout seul, vous êtes participants de ce que je fais. Comme si, dans le fond, j'avais à assumer - mais, c'est le problème de la famille -, d'une autre manière, leur vécu, de les mettre dans le bain et de leur dire : Allez, on fonctionne ensemble !" (Entretien entre Michel Journiac et Jean-Luc Monteroso à la Maison Européenne de la Photographie, Paris Audiovisuel, 1992.)
[25] "Entretien entre Michel Journiac et Sylvie Gouirand, 5 février 1995", L'art au corps…, op. cit., p. 204.
[26] "Entretien entre Michel Journiac et Jacques Donguy, Paris, mars 1985", L'art au corps…, op. cit., p. 194.
[27] Entretien entre Michel Journiac et Sylvie Gouirand, 5 février 1995 ”, L'art au corps…, op. cit., p. 204.
[28] "Entretien entre Michel Journiac et Jacques Donguy, Paris, mars 1985", L'art au corps…, op. cit., p. 194.
[29] Entretien entre Michel Journiac et Jean-Luc Monteroso à la Maison Européenne de la Photographie, Paris Audiovisuel, 1992.
[30] Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1962.
- La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969.
- Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
- Essais de psychanalyse, Payot, 1981.
[31] "Entretien entre Michel Journiac et Sylvie Gouirand, 5 février 1995", L'art au corps…, op. cit., p. 204.
[32] Dominique Pilliart, "Entretien avec Michel Journiac", Artitudes, n° 8/9, juillet 1972, p. 28.
[33] Claude Bouyeure, "Demain est un autre Journiac", Gulliver, n° 10, octobre 1973, p. 50.
[34] Ibidem, p. 50.
[35] "Il y a eu aussi cette divulgation, cette pénétration dans le discours commun où ça devenait une possibilité d'interprétation et de réponse à tout." ("Entretien entre Michel Journiac et Sylvie Gouirand, 5 février 1995", L'art au corps…, op. cit., p. 204.)
[36] "Nous vivons à l'heure actuelle sur une idéologie, même si tout le monde ne se fait pas analyser (la psychanalyse), et l'important, c'est d'arriver à échapper à une espèce de dictature du langage, (…) à une interprétation qui en définitive est toujours une interprétation de l'idéologie dominante." ("Entretien entre Michel Journiac et Jacques Donguy, Paris, mars 1985", op. cit., p. 192.)
[37] Lorsque Freud cherche à rendre compte de la "bisexualité originaire", il se réfère au mythe d'Aristophane, rapporté par Platon dans Le Banquet : l'humanité était constituée d'être à quatre bras et quatre jambes, en forme de boule, qui se révoltèrent contre Zeus et qui furent châtiés par leur séparation en deux, effectuée par le maître des dieux et achevée par Hermès.
[38] Avec l'aide de ses parents, Michel Journiac met en situation quatre relations incestueuses différentes. Michel Journiac et son père s'enlacent pour représenter la relation : 1) Père-amant et Fils-garçon-amant, 2) Père-amant et Fils-fille-amante. Puis, dans les bras de sa mère, il met en scène la relation : 3) Mère-amante et Fils-garçon-amant, 4) Mère-amante et Fils-fille-amante. Michel Journiac rassemble trois images de lui-même dans une seule scène, qu'il légende en fonction des rôles interprétés. Ceci lui permet de mettre en situations les relations : 5) Fils-Père-amant et Fils-Mère-amante, 6) Fils-fille-amante et Fils-garçon-amant, 7) Fils-fille-amante et Fils-fille-amante, et enfin 8) Fils-garçon-amant et fils-garçon-amant. Cette œuvre se compose de huit séquences comprenant chacune deux ou trois clichés toujours présentés sur le même principe : un couple observé par une tierce personne (le Fils voyeur). Le sens de lecture se fait selon un ordre chronologique indiqué par des chiffres allant de 1 à 8.
[39] "Entretien entre Michel Journiac et Jacques Donguy, Paris, mars 1985", op. cit., p. 194.
[40] Michel Foucault, "Une interview : sexe, pouvoir et la politique de l'identité (1982-84), Dits et Ecrits, IV, Paris, Gallimard, 1994, p. 739.
[41] Stéphane Breton, La mascarade des sexes, Paris, Calmann-Lévy, 1989, p. 18.
[42] Frédéric Nietzsche, La naissance de la tragédie (1869-72), Paris, Gallimard, trad. par M. Haar, Ph. Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, 1977, p. 59-60.
[43] Les parents de Michel Journiac étaient d'ailleurs présents lors des prises de vue.
[44] Marcelle Fantel et Marie-Armelle Dussour, des amies de l'artiste ont pris les clichés. Cette œuvre photographique a été pensée, conçue et réalisée en vue de l'édition du livre intitulé 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, publié à Paris, aux éditions Arthur Hubschmid, en 1974. Les photographies (tirées au format 40 x 50 cm) ont été présentées sur les murs de la galerie Rodolphe Stadler, du 7 novembre au 7 décembre 1974. Elles se succédaient selon l'ordre chronologique, respectant ainsi la suite narrative.
[45] Sade, (Donatien Alphonse François, marquis de), Œuvres. La philosophie dans le boudoir, t. III, Paris, Gallimard, 1998.
[46] "Au bout du compte le mouvement homosexuel et l'idéologie qui l'accompagne ont connu la même évolution que les autres minorités qui se sont exprimées depuis la fin des années 60. Après une période nécessaire de reconnaissance par la majorité - les minorités ont vite compris le danger de persévérer dans une voie qui mène si souvent à la stigmatisation et à la ghettoïsation. Dès lors, la différence n'est plus un choix personnel, mais une contrainte imposée par l'extérieur. Les homosexuels ne réclament plus le droit à la différence, mais le droit à l'indifférence. Ils souhaitent qu'on les regarde enfin comme des êtres humains et des citoyens parmi d'autres, sans handicaps ni privilèges particuliers. Mais le drame de la minorité homosexuel est que son destin dépend du regard que pose sur elle la majorité hétérosexuelle. Or, de même que certaines minorités jouent le rôle social et politique peu enviable de bouc émissaire, les homosexuels servent de repoussoirs psychologiques aux mâles hétérosexuels prisonniers de l'idéologie patriarcale. Leur sort, autant que celui des femmes, dépend étroitement de la mort du patriarcat. Mais alors que les féministes peuvent mener une guerre sans merci à la misogynie avec l'assentiment officiel de la société globale, les homosexuels n'ont ni la même force de mobilisation contre l'homophobie, ni la même légitimité au regard de ce dernier bastion du patriarcat." (Elisabeth Badinter, XY…, op. cit., Paris, Odile Jacob, 1992, p. 173-174.)
[47] "J'ai voulu en effet changer d'identité et la première idée qui m'est venue c'est de prendre un nom juif. J'étais catholique et c'était déjà un changement que de passer d'une religion à une autre ! Je n'ai pas trouvé de nom juif qui me plaise ou qui me tente, et tout d'un coup j'ai eu une idée : pourquoi ne pas changer de sexe." (Pierre Cabanne, Entretiens avec Marcel Duchamp, Paris, Pierre Belfond, 1967, p. 118
[48] Otto Weininger, dans Sexe et Caractère, avait en son temps, rendu solidaires la figure de la femme avec celle du Juif, préfigurant les thèses racistes et sexistes du futurisme italien et des totalitarismes fascistes du XXème siècle. (Cf. Jacques Le Rider, Le cas Otto Weininger, Racines de l'antiféminisme et de l'antisémitisme, Paris, P.U.F., 1982.)
[49] D'où le terme transformer. Voir sur ce thème, le catalogue de l'exposition Transformer - Aspects of Travesty, organisée en 1974 au Kunstmuseum de Lucerne, par Jean-Christophe Ammann. Ce thème fut particulièrement suivi dans des revues d'art alternatives à l'époque, comme Der Löwe, Salon ou Artitudes, et eut une influence directe sur une génération de jeunes artistes-performers qui allaient créer, au début des années 80, le mouvement de la peinture néo-figurative (notamment pour Luciano Castelli ou Salomé). Voir également le disque de Lou Reed, Transformer, 1972.
[50] Ces photographies de 120 x 60 cm. marouflées sur des panneaux ont été exposées à la galerie Rodolphe Stadler (Paris VIème) du mardi 20 juin au mardi 4 juillet 1972. Le jour du vernissage (mardi 20 juin 1972, à partir de 19 h 30) le travesti apparaissait vêtu de toilettes de stars.
[51] "Androgyne", Encyclopaedia Universalis, Thesaurus Index * (A - Friedlander), p. 127-128.
[52] "Les travestis sont le rappel que certaines stars ne sont toujours pas comme vous et moi." (Andy Warhol, Ma philosophie de A à B, Paris, Flammarion, 1977.) (Cf. Polaroïds d'Andy Warhol travesti : Self-Portrait in Drag, 1981.)
[53] Des œuvres telles que Des Femmes de Schopenhauer (1851), La Femme de Michelet (1859), A Rebours de Huysmans (1884), Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, ou encore La Gynandre de Joséphin Péladan (1891) évoquent un monde d'indétermination sexuelle auquel répondent entre autres Marcel Duchamp, Virginia Woolf, Barthes avec S/Z, 1970 ou Foucault avec Herculine Babin (1978), mais des films aussi populaires que Tootsie (1982), Victor, Victoria (1983).
[54] "Si différents que soient les sexes, pourtant ils se combinent. Tout être humain oscille ainsi d'un pôle à l'autre et, bien souvent, tandis que les habits conservent seuls leur apparence mâle ou femelle, au-dessous le sexe caché est le contraire du sexe apparent." (Virginia Woolf, Orlando, Paris, Stock, 1974.)
[55] Michel Journiac, "Six propositions interrogatives", Opus International, avril 1975, n° 55, p. 47.
[56] Ibidem, p. 47.
[57] Michel Journiac, 24 h de la vie d'une femme ordinaire, 1974, n. p.
[58] Malgré quelques vagues tendances ponctuelles à l'uniformisation vestimentaire peu patentes à vrai dire sauf dans les années 1965/1980 lors de la mode dite ‘‘unisexe'', les sociétés occidentales ont depuis le haut Moyen Âge au moins, distingué le masculin du féminin essentiellement par le costume.
[59] "Entre autres choses, les travestis sont le témoignage vivant de ce que les femmes voulaient être, de ce que certaines gens veulent encore qu'elles soient et de ce que certaines femmes veulent encore être. Les travestis sont les archives ambulantes de la féminité idéale de star de cinéma. Ils remplissent une fonction documentaire, en consacrant généralement leur vie entière à maintenir vivante et disponible pour l'inspection (pas de trop près) la chatoyante alternative". (Andy Warhol, Ma philosophie… op. cit., p. 52.)
[60] "Cette affirmation d'une sexualité opposée à la sienne propre est parfois tellement évidente qu'elle devient l'exhibition de facteurs sexuels primaires ou secondaires artificiels, du seul fait du goût éprouvé par un exhibitionnisme de signe contraire. Exhibition de l'absence des caractères sexuels, au lieu de l'exhibition de leur présence, ou même (fait plus rare) exhibition d'un sexe fictif qui est la magnification de sa propre sexualité défaillante. C'est le cas du travesti très connu, Pierre Molinier (…) qui exhibait avec aplomb un faux sexe (…) en même temps que des caractères sexuels féminins constitués par des seins (vrais ou faux, peu importe). Bien plus, c'est justement le côté incertain et ambigu du phénomène ostentatoire qui est la vraie raison de telles actions. Ici et dans d'autres cas analogues, comme celui, bien connu des Cockettes (des hommes habillés en femme, qui exhibent leur sexe), nous sommes face à des êtres qui, d'après leurs vêtements, leur comportement, la présence de seins, nous paraissent agréablement féminins alors que, concomitamment, leur exubérance phallique (vraie ou fausse) est rendue visible et présente. Très souvent la tête fait contraste car elle reste, exprès, masculine, la coiffure n'ayant rien de féminin : ceci, évidemment pour souligner la ‘‘masculinité'' du sujet". (Gillo Dorflès, "Transvestisme et art", Eux, qui sont-elles ? Art du travestissement et travestissement de l'Art (ouvrage collectif : Gillo Dorflès, Giovanni Buttafava, Gionni Romoli, Peppo Delconte, Carlo Romano), France, Paul Vermont, 1978, p. 5-19 ; p. 9.)
[61] "Dans le transvestisme, le sujet s'identifie à ce qui est derrière le voile, à cet objet auquel il manque quelque chose. Les auteurs l'ont bien vu à l'analyse et ils le disent dans leur langage - le transvestisme s'identifie à la mère phallique, en tant que, d'autre part, elle voile le manque de phallus". (Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre IV, La Relation d'objet, Paris, Le Seuil, 1994, p. 166.)
[62] Honoré de Balzac, La Comédie humaine. Etudes analytiques. Traité de la vie élégante (1830), Paris, Gallimard, 1981, p. 215.
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