Carte blanche
Les propositions
ici rassemblées
déroutent
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Un lourd cube de béton au milieu de l'espace urbain. L'Espace des arts de Chalon-sur-Saône appartient à cette catégorie d'architecture que les années soixante affectionnaient particulièrement, à ce type de construction aux formes brutes que les élus bâtissaient pour accueillir les nouvelles maisons de la jeunesse et de la culture, pluridisciplinaire comme il se doit. L'utopie d'une culture de masse était encore vivante et l'on croyait volontiers que l'audace de ces espaces nus attirerait naturellement une population en quête de savoir et de distraction. Aujourd'hui, ces carcasses désertées constituent l'un des cauchemars des municipalités. Des frais d'entretien élevés, un vieillissement prématuré des matériaux et surtout l'absence de tout public contraignent chaque ville à s'interroger sérieusement sur le devenir de ces bâtiments. Parfois, afin de cautériser ce que l'on considère comme une balafre urbaine, on l'habille d'un nouveau parement, sorte de bricolage post-moderne dont nos villes sont si friandes. Dans d'autres cas, on rase l'ensemble. Enfin, plus rarement, on inverse le problème pour s'intéresser aux missions et à la programmation du bâtiment. C'est ce que vient de faire avec grande intelligence la ville de Chalon-sur-Saône. Depuis 1991, son maire Dominique Perben organise régulièrement les Janviers en Bourgogne, sorte de carte blanche laissée à un créateur français.
Cette année, c'est au tour d'une jeune équipe de commissaires indépendants de créer l'événement. Composé de cinq membres (Lionel Bovier, Elisabeth Lebovici, Jean-Charles Masséra, Hans Ulbrich Obrist et Stéphanie Moisdon Tembley) le Xn team s'était donné pour ambition de constituer un programme d'exposition sur cinq ans. Pour cette première édition, le commissariat général a été pris en charge par Stéphanie Moisdon Tembley - critique d'art et co-fondatrice de bdv, cette agence de production et de distribution de vidéo contemporaine.
Dès l'entrée, on demeure saisi par l'organisation structurelle de l'architecture, avec ses espaces imposants, son escalier monumental. Afin de ne pas être piégée par cet espace, la commissaire a opté pour un parti pris salutaire : exposer des structures artistiques qui géreront elles-mêmes leur espace. Plus loin, quelques salles sont consacrées à la vidéo. Plusieurs jours seraient nécessaires pour voir l'ensemble des uvres projetées. Certaines étonnent (Rita Ackermann, Pierre Huyghe, Martha Rosler, Michael Smith) et d'autres paraissent déjà étrangement dater, ressassent encore et encore les mêmes tics sur l'intime, les mêmes déambulations dans la vie si monotone de quelques artistes. Eux aussi font la vaisselle, mangent, rangent, se disputent, s'aiment. Eux aussi ont une sexualité. Aucune ironie dans ces travaux, rien de plaisant et drôle, tout juste des personnes qui s'appliquent très sérieusement à produire du réel. Cela suffit-il à notre bonheur ? Non, l'intime, nouvelle vache à lait du jeune artiste défaillant, lasse. Nul besoin de ce type de vidéo pour s'en apercevoir.
Dans l'espace de la rotonde, un vidéo store propose les choix effectués par 60 artistes et critiques. Laissés à la libre disposition des visiteurs qui peuvent ainsi découvrir quelques joyaux cinématographiques, plusieurs vidéos passionnantes faites par des artistes. Plus loin, les installations photographiques et sonore de Marina Faust dénotent par leur capacité à ouvrir un véritable espace où l'on se perd : ramifications multiples d'un espace où le rêve déstabilise le réel.
L'exercice du commentaire savant et critique nécessiterait plusieurs pages tant les propositions ici rassemblées déroutent et correspondent effectivement au projet initial. Xn n'est pas une exposition thématique, mais une série de séquences, un montage non linéaire de formes de propositions, d'images, de sons, de concepts, rien qui n'ait à voir avec la démonstration ou l'illustration d'une idée précise, juste une autre façon de s'adresser aux uvres, aux artistes, à tous ceux qui traverseront cette expérience. Prenons donc acte de ces bonnes paroles. Déambuler dans ce labyrinthe permet incontestablement quelques heureuses découvertes, quelques déconvenues aussi.
L'ensemble est complété d'une sélection d'uvres cinématographiques dont le génial Gummo d'Harmory Korine réalisé en 1997. Cet ancien scénariste de Larry Clark pour Kids réalise ici un long métrage bouleversant sur la vie d'un groupe de jeunes adolescents à Xénia, ville maudite au fin fond du Middle West Américain. A ne manquer sous aucun prétexte.
Damien Sausset mars 1999
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