Rapports philosophiques
Peinture "absolue"
Cabalistiques
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La Tate Modern propose une rétrospective en treize salles, consacrée à l'artiste américain Barnett Newman (1905-1970), cet intellectuel et citoyen qui a fait de sa peinture et de son écriture des actes politiques.
L'esprit de la simplicité apparente des peintures de Newman a suscité nombre de critiques et débats : "en 10 minutes, je fais pareil et pour bien moins cher" peut-on lire dans la presse de l'époque ou, a contrario, "les peintres de la génération de Newman réduisent les moyens au minimum mais la restriction n'exclut pas la compétence technique". En ce sens, ses œuvres sont parmi les plus provocantes du XXe siècle, considérées avant tout comme des rapports philosophiques.
Du Surréalisme au Zips
L'exposition débute par des toiles de petit format des années 40, aux formes cellulaires qui évoquent les processus de vie et de mort, et témoignent de la portée métaphysique que Barnett Newman entend donner à l'art, un art capable de répondre à la question : "Qu'est-ce que c'est ?", dont il pressent la quête chez les populations primitives : "La première parole de l'homme a été une invocation à l'inconnaissable". Newman cherche dans le surréalisme les procédés les plus économiques : le biomorphisme et l'automatisme, qui permettent de "créer des mondes" dans un geste rapide et de mettre en scène les archétypes primordiaux, formes et organismes vivants, spermatozoïdes (Genetic Moment, 1947).
En 1948, l'artiste invente les fameux "Zips" : des coupures verticales de peinture qui séparent ou unissent des plans de couleurs lumineuses jusqu'au bord de la toile. A travers le contraste des couleurs (appliquées en aplats), la sévérité des formes (raies et bandes verticales) et la monumentalité dépouillée de ses toiles, il atteint, vers 1949 (Ornement III, tableau clé dans son œuvre), une peinture "absolue" qui est à elle-même sa propre réalité. Les formes de Newman vont progressivement s'épurer, jusqu'à se fondre en une simple verticale : ligne rayonnante aux bords tremblés traversant un champ de couleur sombre, suscitant une réaction dynamique du regard.
Des formats de plus en plus grands
La quête de l'inconnaissable porte l'artiste à s'intéresser au mystère de la création du monde, plus particulièrement dans la tradition juive et les textes cabalistiques. Adam (1951), Eve (1950) aux titres évocateurs, expriment l'acte absolu de création, qui semble requérir, pour se révéler, un espace pictural toujours plus vaste. Ainsi viennent les grands formats, propres à rendre le sublime, comme Vir Heroicus Sublimis (1951) qui, sur plus de deux mètres sur cinq, tout en horizontalité, absorbe le regard du spectateur en étirant sa perception au maximum. Il faut pourtant le contempler de près, pour en garder un impact frontal, qui ne soit pas travesti par "les lunettes nostalgiques de l'histoire".
Les quatorze "Stations de la croix" sont réunies dans une même salle, elles procurent une émotion sans pareil qui s'exprime dans le lent déplacement latéral du spectateur. Les dernières toiles sont d'une extrême pureté chromatique, monochromes aux couleurs saturées et aux marges très étroites : "Ils disent que j'ai été au bout de la peinture abstraite, quand il est évident pour moi que je n'en suis qu'au début" !
Murel Carbonnet-Caumes Paris, décembre 2002
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