Mais, à côté
de ce japon
traumatisé
et occupé
par un devoir
de mémoire…
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Jusqu'au 15 juin 2003, l'hôtel Sully réunit les grands maîtres de la photographie japonaise dans une rétrospective allant de 1945 à 1975. Offrant un panorama sur 30 ans de photographie, l'exposition survole des travaux aussi divers que ceux de Shomei Tomatsu et de Eikoh Hosoe et va des lendemains de la seconde guerre mondiale jusqu'au dynamisme économique et à la société de consommation des années 1970.
La destruction de Nagasaki et de Hiroshima sont les points de départ de cette rétrospective : les photos de Yosuke Yamahata et de Yoshito Matsushige prises juste après l'explosion constatent le désastre, l'horreur et la désolation, marquant une rupture dans la relation des artistes japonais à leur pratique. Quinze ans plus tard, le choc initial a laissé place à un travail plus personnel sur la mémoire de cet événement.
La démarche artistique de Shomei Tomatsu revisite les rescapés, les victimes et les oubliés, et l'outil esthétique dévoile alors une horreur restée intacte sur les peaux brûlées et sur les visages défigurés.
A travers une démarche à la fois documentaire et individuelle, il nous présente des objets auxquels nous avons peine à croire, témoins symboliques de l'horreur passée : une montre marquant 11:02, heure à laquelle la bombe atomique frappait le sol de Nagasaki, déterrée à 700m de l'épicentre, ou une bouteille en verre fondue par la chaleur. D'autres images de Hiromi Tsuchida explorent des vies brisées par l'événement en présentant des portraits d'adultes encore enfants à l'époque, devenus orphelins ; ces photos recueillent les images de vies métamorphosées par le choc, telles une mère montrant la photo de son jeune garçon, mort 25 ans plus tôt ou d'un adulte racontant avec son regard d'enfant blessé et apeuré la mort de ses parents.
Mais, à côté de ce japon traumatisé et occupé par un devoir de mémoire, les travaux de Ikko Narahara et de Haruo Tomiyama agissent comme des témoignages sur la société japonaise moderne. Portraits d'une reconstruction accélérée et d'une occidentalisation intensive, les séries japanesque zen et gendai gokan dévoilent une ambiguïté restée fondamentale : celle des coutumes ancestrales qui perdurent à travers cette industrialisation à outrance, des contrastes de l'éternité figée des temples zen et du rythme effréné de la vie citadine. En laissant cohabiter ces deux vitesses du Japon moderne, les œuvres de Kishin Shinoyama relèvent d'avantage de l'esthétisme pur.
Dans la pure tradition du nô, les photos de Issei Suda s'attachent à cerner une certaine beauté éternelle, rendant à l'art sa volonté de saisir la dimension intemporelle de la vie et un ordre immuable des choses. D'autres œuvres de Eikoh Hosoe jouent de cette même conception plastique de la photo : jeux de lumière, de symétrie et de sensualité, leurs explorations de la beauté du corps humain et de la nudité nous plongent dans l'univers métaphysique de la beauté pure, créant un lien avec le monde poétique de l'écrivain Yukio Mishima.
Assia Kettani Paris, Juin 2003
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