Happy Victims, Kyoichi Tsuzuki

Happy Victims, Kyoichi Tsuzuki

un regard



ébahi



devant des



situations



bizarres et



stupéfiantes

A l'occasion du 20ème anniversaire du Centre National de la Photographie, Kyoichi Tsuzuki présente son exposition Happy Victims : une série de portraits très colorés de jeunes japonais victimes de la mode obsédés par un créateur de mode particulier et par la collection de vêtements. Dans une démarche volontairement plus médiatrice qu'artistique, cet ancien éditeur-rédacteur en chef photographie les appartements de ses heureuses victimes et dit vouloir exposer leur pouvoir créateur. Ainsi, les photos des appartements présentées frappent l'œil tant par la densité de couleurs qui y sont déployées que par ce qu'elles représentent : des lieux exigus et étroits, pièces uniques pour la plupart du temps transformées en véritables cavernes d'Ali baba… La collection de vêtements est étalée dans toute la surface de l'appartement et l'espace est saturé de chemises, de robes, d'accessoires ou de chaussures déployées par terre, autour de murs, accrochés sur des cintres ou sur les meubles.

Images insolites et étranges, ces portraits de jeunes de Tokyo agissent comme des témoignages sur la vie de ces fashion victims atteintes au plus haut degré. S'intéressant aux sujets habituellement délaissés par le monde de l'art et des magazines branchés, Kyoichi Tsuzuki réunit pour cette exposition le texte et l'image et raconte leurs histoire. Ainsi, chaque photo est accompagnée d'une légende anecdotique qui retrace leur parcours et qui situe l'image dans son contexte. D'ailleurs, leur histoire se ressemble souvent. Ils vivent à Tokyo ou dans les environs, sont vendeurs, décorateurs, secrétaires, rédacteurs, étudiants ou moines, seuls ou en couples et ont eu un jour le coup de foudre qui a bouleversé leur vie : leur première cravate Hermès, leur première paire de chaussure Gucci, leur premier pantalon Jean Paul Gaultier.
Depuis, ils ont vendu leur âme à Jean Colonna, à agnès b. ou à Anna Su - leur obsession pour leur créateur préféré dépasse le rationnel. Ils sacrifient la majorité de leur budget pour leur collection et préfèrent se priver de tout plutôt que de renoncer au créateur de mode vénéré : leur confort, leur nourriture, leur vie. Ainsi, une de ces étonnantes victime ne mange jamais chez lui de peur d' imprégner ses habits de l'odeur de la cuisine, d'autres planifient leurs achats à l'extrême limite de leurs possibilités financières ou s'endettent, une autre prend l'avion jusque Hong Kong pour acheter la toute dernière robe, et il n'est pas rare que les portants de vêtements s'écroulent sous la masse. Leur passion est pour leurs collègues une lubie étrange, pour leur conjoint un trou perpétuel dans leur compte en banque, et pour eux leur façon d'exister : you are what you wear. Pour ces jeunes japonais, cette marque signifie tout, défini tout, qui ils sont, le pourquoi et le comment de leur existence.

Et dans ces grandes photos, l'heureuse victime se laisse parfois prendre en photo au milieu de ses trésors. En consacrant ainsi sa collection, elle laisse transparaître sur son visage le bonheur de l'envie assouvie, la satisfaction de l'achat, la boulimie bienheureuse de la surconsommation de sa marque préférée.
Le regard de Kyoichi Tsuzuki pour ses victimes n'est ni critique, ni complaisant : ses photos laissent transparaître sa fascination profonde pour ses sujets qu'il se contente de présenter telles quelles sont, telles qu'elles veulent être, libres de dépenser leur argent et de vivre comme bon leur semble. Sa démarche est délibérément "non-artistique" et Kyoichi Tsuzuki le proclame lui même "je ne suis pas artiste, je suis journaliste" : ses photos ne sont alors qu'un regard ébahi devant des situations bizarres et stupéfiantes dont il s'amuse lui-même à témoigner.

Assia Kettani
Paris, avril 2003

Centre National de la Photographie, 11, rue Berryer, Paris 75008, tél : 0033 153761232, du 12 mars au 1er juin 2003,  www.cnp-photographie.com
Lire aussi les articles :  photographie japonaise contemporaine  et  Invitation Hôtel de Sully, Paris 

D'autres informations dans le GuideAgenda
Imprimer l'article

exporevue accueil     Art Vivant     édito     Ecrits     Questions     2001     2000     1999     thémes     haut de page