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Interview de Lee Wagstaff


Lee Wagstaff

Muriel Carbonnet :
Quel message voulez-vous faire passer à travers les symboles et les formes que vous utilisez dans vos tatouages?

Lee Wagstaff :
Peu importe ce qu’y voient les gens, ce sont avant tout des lignes et des couleurs. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai choisi la géométrie comme base de mes tatouages. A l’exception du pouvoir symbolique et esthétique des formes et dessins, j’aimais l’idée d'utiliser un langage universel, créé par l'homme pour comprendre la nature. La gométrie semble très artificielle et épurée, mais les images que jai choisies reflètent celles trouvées dans l’univers : des cellules microscopiques et des structures cristallines aux formations de la terre et configurations plantaires. Dun chaos organique peuvent surgir des constructions linéaires. Plutôt que d’être une chose très spécifique ou un message, mon travail est davantage le résultat de mes actions.
Chaque jour, je suis engagé physiquement dans mon travail et nous ne formons qu’un (excepté lorsque je dors, laps de temps pendant lequel je ne suis pas tatoué) car, pendant les séances de tatouage, je peux sentir chaque marque et ligne qui sont en train de se faire. Beaucoup d'artistes qui travaillent avec leur corps semblent exprimer la sexualité, la différence et l’appartenance sociale. Alors que je ressens mon travail comme une clébration de la forme, de la géométrie de la trace et de l'empreinte, et des possibilités du corps humain. Ce qui ressort des gravures, photos, vidéos, sont un rappel ou présentation de la réalité : ma réalité.
Le travail que je réalise, vient d'un monde insulaire privé qui arrive à inclure des éléments d’une plus large vision (géométrie, tatouage et être humain-corps). Lorsque je montre mon corps ou les photographies, mon intention n'est pas de provoquer, mais d’évoquer les diversités historiques et artistiques en utilisant des formes bi-dimensionnelles (les dessins) sur une surface tri-dimensionnelle (le corps).

MC :
Pourquoi mettez-vous votre corps en scène?
Photographiez-vous d'autres choses?
Et pourquoi avoir choisi cette méthode?

LW :
En me photographiant et en exposant mes photos, les gens peuvent voir mes tatouages sur mon corps. Ils sont une forme d'expression totalement différente des photographies. Ils sont partie intégrante du même travail, à la fois inséparables et dissociables. Ce sont deux choses différentes, et pourtant qui fonctionnent ensemble. Je photographie ègalement tout et n’importe quoi qui puisse accrocher l'œil. Habituellement, ma famille et des amis, également ce qui me marque pendant mes voyages.
Je ne sais pas vraiment pourquoi jai choisi une telle méthode. Mon approche à réaliser cet art est très simple, mon but est de créer des images qui proviennent de pensées intuitives et qui sont esthétiquement agréables et visuellement attirantes. Durant ces quatre dernières années, jai recherché la relation qui pouvait exister entre la gravure et le tatouage. J’ai été élevé comme un catholique et j'ai subi de très fortes influences des membres de ma famille indienne. Les images de mes tatouages proviennent réellement de mon éducation et de mes convictions et religieuses, et comprennent des symboles et dessins qui se retrouvent dans la plupart des cultures du monde.

MC :
Derrière les swastikas, signes lourdement chargés de sens (en raison de la seconde guerre mondiale), que dont doit-on comprendre?
Doit-on y voir un détournement, une dénonciation et un retour à l'origine du signe, symbole de paix?

LW :
Le symbole de la swastika n'est ni plus, ni moins important que l'utilisation d'un cercle, d'un carré ou d'une étoile. Je sais qu’il est devenu depuis quelques années, un symbole lourd et haï mais je l'utilise parce que je crois réellement que c’est un symbole important et significatif qui, en lui-même, n'est coupable d'aucun crime. C'est peut-être le premier symbole dessiné intentionnellement et donc, un premier indicateur des premières civilisations humaines. C’est pourquoi, je voulais utiliser tous les signes afférents à tous les continents. Je crois que cela aurait été une erreur de ne pas l'utiliser. Il est donc surprenant qu’un tel signe, apparaissant dans de nombreuses cultures et soit prédominant dans de nombreux groupes ethniques, ait été utilisé pour représenter la supériorité aryenne, quand, en fait, il devrait célébrer la diversité des peuples. C’est par amour et par respect envers toutes les cultures que jai inclus la swastika, au même titre que toutes les autres formes géométriques universelles.

MC :
Concevez-vous vos propres tatouages?

LW :
Nombreuses sont les raisons pour lesquelles j’ai choisi d'être tatoué. Après mes premiers diplômes, comme beaucoup d'artistes, jai perdu toutes mes illusions avec la scène artistique londonienne où je n'ai pas pu pas trouver une place qui me convienne au sein d’une galerie ou d'un établissement institutionnel. Je pensais que l'art devait être d'abord un moyen d’expression avant de devenir un moyen de gagner sa vie. Depuis de nombreuses années, j'ai arrêté de faire de l'art (à l'exception des photographies de mes amis et de ma famille).
Puis, en 1996, jai commencé à me faire tatouer, non pour m’exhiber, mais pour satisfaire mon esprit créatif. J'ai pensé qu'ainsi, je pourrais faire de l'art et décider à qui, et comment le montrer. Il serait toujours avec moi et je pourrais en être la forme, le contenu, le sujet et l’objet. Quand jai voulu me faire tatouer, je voulais créer des tatouages qui sortaient de l'ordinaire (aigles, roses...). Je voulais créer des images la fois esthétiques, décoratives, rituelles et religieuses. J’ai choisi des symboles et dessins s'harmonisant avec mon corps.
Mon choix des formes a été instinctif, en tenant compte aussi de leur apparition historique sur le corps humain, dans l'art et la littérature (c’est-à-dire le sceau du bouddha sur son coeur et les swastikas sur ses plantes de pieds). Bien que je sois un catholique (je lis la bible tous les jours), j'ai une culture et un lien ancestral avec les religions asiatiques (mon père est à moitié indien). C'est au travers de mes études sur les dessins et formes hindouistes, jaïnistes, bouddhistes et islamiques, que j'ai été confront à la swastika (Sanskrit), connue aussi sous le nom de wan tsu (Chine), de Manji (Japon), de Fylfot (Scandinavie), de Gammadion (France) ou du Hakenkreus (Allemagne).

MC :
Quels sont vos rapports avec votre tatoueur?

LW :
Au début, le fait de se faire tatouer relevait d'un désir purement personnel et privé, ne mettant en cause que moi-même et le tatoueur Barry Hogarth que j'avais rencontré par l'intermédiaire d'amis. Hogarth venait juste de démarrer et travaillait chez lui où je lui apportais des modèles de dessins. Nous avons travaillé de la meilleure façon pour les transférer sur mon corps et en réaliser des tatouages permanents. Nous sommes devenus rapidement des amis et je lui fais entière confiance pour réaliser des dessins souvent complexes.

Muriel Carbonnet

Petit parcours de Lee Wagstaff :

Date de naissance : 27 octobre 1969
Formation : Collège d'art du Central St. Martins et Collège royal d’art
Récompense : Université d'art de Kyoto
Expositions collectives : 1997 exposition de tatouage national (Londres), 1997 Secret Absolu (new NewYork), 1999 : Manji (Kyoto)
Œuvres en collections : Victoria and Albert Museum, David Bowie Collection, plusieurs collections privées au Japon, Inde, Espagne, Etats-Unis et Grande-Bretagne
Exprience professionnelle annexe : Photographe free-lance pour The Face, I.D, Guardian, Time Out...

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Lee Wagstaff : corps tatoué, corps exposé


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