L'Incurable mémoire des corps, histoire d'une exposition, exporevue, magazine, art vivant et actualité
L'Incurable mémoire des corps, histoire d'une exposition

Faust

Faust Cardinali - Croquis

Royaume














L'impossibilité














Objectivité














Collision émotive














Housse sociale














Tension














code visuel et tactile















désaffecté














Dualité














virages entre


plasticité


et conceptualité

Enchâssé entre les rails du RER C et une voie urbaine baptisée "avenue de la République", l'hospice des Incurables de l'ancien village d'Ivry-sur-Seine est devenu au bout d'un siècle de soins, en 1975, l'hôpital Charles-Foix, du nom d'un célèbre neurologue, poète à certaines heures.Au fond d'un immense royaume de jardins, cours intérieures, arcades, déambulatoires, unités de soin, l'ancienne blanchisserie de l'hospice a été transformée en ateliers dans lesquels travaillent actuellement deux plasticiens aux noms latins : Faust Cardinali et Aldo Caredda.

A l'occasion de cette heureuse initiative du directeur de l'hôpital et afin de la saluer, une exposition a été conçue collectivement et sans aucune subvention publique pour les arts plastiques : double pari louable pour une exposition d'arts plastiques justement ! La recette; 25 artistes assidus, beaucoup de temps (18 mois de préparation) et surtout la complicité des équipes médicales, techniques et culturelles de l'hôpital.
Quant à la source de cette coopération originale, ce n'est rien d'autre qu'un motif commandé par le sensible et non pas par une directive publique. Le motif sensible en question, soulevé par Stephen Wright, critique d'art et commissaire de l'exposition et qui affecte effectivement l'ensemble des occupants de Charles Foix, c'est l'incurable mémoire des corps

Par Incurable - dont l'origine latine et moyen-âgeuse, ainsi que la disparition de notre vocabulaire contemporain n'échapperont à personne - il est question de supposer l'impossibilité propre et figurée pour nos corps d'effectuer un retour en arrière. Toute l'ambiguïté de cette hypothèse réside dans le nombre infini de corps dans lesquels nous logeons, du plus physiologique au plus symbolique.


Unglee

Unglee - Croquis


Enceintes

En périphérie de Paris, sur les flancs du RER et d'une avenue de la République, aux abords de l'hôpital Charles-Foix, sur la frontière entre passage des piétons, des voyageurs, et royaume des malades, se sont postés Unglee et E.Licha scrutant les regards des uns sur les autres.

Unglee voile la transparence des vitres donnant sur la rue et l'hôpital. Il en fait une sorte de miroir de papier réfléchissant sur les passants l'image d'un "beau gosse. Pas ça de sournoiserie, tout d'un bloc. (…) L'œil translucide et droit, le cheveu en brosse, (…) le sourcil nickel, le front large et la mine avenante", et qui "a passé sa vie à admirer les tulipes et à les photographier". (projet pour le site web de l'exposition). A l'opposé, au bout des espaces verts et périphériques de l'hôpital, E. Licha a installé une "guéri-te" de laquelle il filtre le regard des voyageurs sur l'hôpital, le regard des patients sur les voyageurs.
Dans ces contours chargés de collision émotive, on perçoit le corps humain à la fois pétri par l'existence et enveloppé d'une housse sociale, ainsi que toute la tension existante entre ces deux corps dans lesquels nous logeons.


Ulice Deborne

Ulice Deborne


Affecté - désaffecté

Les artistes ont choisi d'investir tantôt des lieux affectés - c'est à dire qui ont une fonction dans l'organisation de l'hôpital (salle à manger, lingeries), tantôt des chambres désaffectées, comme l'unité Jean-Baptiste Pussin qui n'est pas occupée pour l'instant. Ces deux sortes de lieux transcrivent la double possibilité de s'incorporer, comme de se désincarner ; en quelque sorte la double possibilité pour le corps d'être affecté, comme d'être désaffecté - au sens d'être habité ou non par une âme…
On retrouve cette dualité dans le package de pots de yaourt présenté en vidéo par G.Paris. La belle italienne dont le visage est imprimé à côté de pots laiteux prend soudain chair et se met à parler de son enfermement, d'amour. A ses côtés, des corps cubiques de matière théophanique s'évaporent dans une existence invisible et odorante.

L'habitude quotidienne de recouvrir nos corps de tissu est une façon d'affecter le corps, de le parer avec un code visuel et tactile. Dans un hôpital gériatrique, les vêtements perdent leur aspect composite, deviennent uniforme, "unicode", les draps deviennent des housses dans lesquels on vit. Dans les lieux occupés, le thème du vêtement revient comme une substance liée à la fois au corps malade et au corps vécu. F. Maisongrande a installé dans la lingerie (sur certains plans désignée comme "langerie") des mannequins désincarnés mais "grandeur nature", que l'on peut habiller et déshabiller à notre guise en piochant dans une garde-robe bigarrée qui contraste avec les rayonnages de linge et de draps unis. U. Deborne a étendu une ribambelle de linge incrusté de codes dans la salle à manger de l'Orbe. B. Bidjocka a accroché de longues robes vides dans les arbres du parc.

L'absence de corps s'exprime fréquemment à travers tout ce qui le moule, le ceint, le circonscrit, le tient. Au cours de l'exposition, l'image de corps prégnants se ressent très fortement dans les pièces désaffectées : corps absents d'un lit défait (C. Case) d'un lieu (Y. Thoma), corps creusant un sol malléable (N. Johann), rires sans corps (G. Wambaugh)….


Charley Case

Charley Case - Papier Corps


Révolution

On peut supposer que, une fois démuni de toute enveloppe, le corps ne sera plus qu'un élément naturel recyclable, effectuant un cycle autour de lui-même, un corps en révolution permanente en quelque sorte.
Giuseppe Penone, dans une exposition actuelle à la Galerie Renn, explique son rapport d'homme avec la matière minérale et végétale : "la feuille a la force d'abattre le héros, possède le secret de sa vie, protège le cycle naturel des choses, donne de l'ordre à l'exception, inhibe la tentative de renverser le droit et devoir des choses envers la mort…" D'où le désir plastique de Giuseppe Penone de révéler un "geste végétal" qui serait fusionnel.

La pièce de P. Hamel, Rétroaction, lisible à l'endroit comme à l'envers, évoque particulièrement cette vision cyclique du corps. Elle rejoint le choix d'A. Caredda de soumettre son inventaire infini d'empreintes digitales à la loi naturelle de l'érosion par les daims. Quant à la greffe de maillons biologiques ou généalogiques par F. Cardinali sur un arbre déraciné par la tempête de décembre, elle exprime sensiblement la différence majeure entre le corps biologique et la végétation naturelle : la régénérescence du végétal se fait par ramification, la reproduction de l'humanité se fait par l'union puis la disparition.

Interactivité

Durant 5 semaines l'exposition s'offre aux patients, aux visiteurs des patients, aux membres du personnel médical, ainsi qu'à toute personne curieuse d'explorer l'amplitude des possibilités de représentations de la mémoire des corps. Tous sont invités à constituer ensemble un corps de mémoire, en déposant leurs traces écrites dans les boîtes rouges prévues à cet effet par la revue 9/9, "revue d'art pratique". On pourrait mettre en ligne des morceaux de ce corps de mémoire collective ?

Pauline de la Boulaye

Charley Case - Croquis

Charley Case - Croquis

Exposition collective d'art contemporain
Hôpital Charles-Foix, Ivry sur Seine, du 22 septembre au 5 novembre.
Partenaria ExpoRevue.
 
Incurable mémoire des corps
 Présentation de l'exposition

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