Niveau plus profond
Non-objet
Objet non-construit
D'un autre monde
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Après les "Unilever Series" de Louise Bourgeois et de Juan Munoz, c'est au tour de l'artiste indien Anish Kapoor (né en 1954) de prendre possession de l'immense Hall des Turbines.
L'œuvre de Kapoor s'étend non seulement sur toute la longueur de l'espace d'entrée (155 m), mais aussi sur toute sa largeur (23 m) et toute sa hauteur (35 m). L'immense "Marsyas" repose à ses extrémités sur deux grands cercles verticaux autour desquels une toile rouge vif est tendue. Ces ouvertures énormes, situées de part et d'autre du hall, se rétrécissent au fur et à mesure que l'on s'en éloigne. Vu de ses extrémités, l'installation apparaît comme une bouche au fond de laquelle on aperçoit une gorge haute et étroite. A moins que ce ne soit le départ d'un toboggan ou l'entrée d'un mystérieux labyrinthe ?
En s'éloignant de ces ouvertures initiales, on se rend compte qu'à une hauteur proche du plafond, les boyaux de "Marsyas", se rétrécissent tout en s'allongeant. Mais s'ils se resserrent, c'est pour mieux s'agrandir et se réunir en son centre autour d'un troisième cercle, horizontal cette fois-ci.
Qu'est-ce que "Marsyas" ? D'après sa forme ovoïde et elliptique, on opterait pour un fruit exotique, voire une plante carnivore. En considérant sa couleur rouge, intense et profonde, on choisirait plutôt un organe humain. En tout cas, cette installation a résolument quelque chose d'organique, de végétal.
On a du mal à avoir une idée de la totalité de la sculpture, elle est tellement gigantesque que le regard ne peut jamais la contempler en une seule fois. On a beau se déplacer dans le musée, du premier au dernier étage, en passant par l'entrée et la sortie, la sculpture ne se livre que petit bout par petit bout.
Anish Kapoor, "Marsyas" 2002, The Unilever Series, Installation at Tate Modern
Photocredit : Marcus Leith and Andrew Dunkley, © Tate Photography
Au premier abord, c'est le physique de "Marsyas" qui capte l'attention du visiteur. Cependant, on se rend compte au bout d'un moment qu'elle communique aussi de manière sonore. Une sorte de bourdonnement permanent envahit l'espace. Serait-ce la climatisation ? Des travaux réalisés dans une des salles du musée ? Que nenni, c'est bien de l'installation que provient le bruit. Tel dans un coquillage, l'air qui passe par les tuyaux labyrinthiques de "Marsyas" entraîne un doux chuchotement sonore.
"Marsyas" est énigmatique et charmante, insaisissable et pourtant bien présente. L'installation joue sur les oppositions intérieur-extérieur, visible-invisible, matériel-immatériel.
De par sa forme énigmatique, elle engendre un espace physique, ainsi qu'une dimension psychologique. Comme pour les minimalistes, la présence du spectateur est primordiale pour Kapoor. Le spectateur transforme l'œuvre, c'est la relation qui s'établit entre lui et "Marsyas" qui donne à l'installation son véritable sens.
Kapoor précise : "L'art puise son essence dans notre culture matérialiste. Les œuvres qui prennent cette culture pour sujet auront, d'après moi, une très courte existence. J'éprouve le besoin de m'adresser à l'humanité à un niveau plus profond. Mon travail s'oriente vers le non-objet."
"Non-objet" ou "objet non-construit", Anish Kapoor revendique que son objectif est la réalisation de sculptures qui semblent avoir été importées "d'un autre monde". Une fois de plus il y est arrivé.
Sophie Richard Londres, novembre 2002
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