Impact immédiat
Le mythe
de Marsyas
Un espoir insufflé
|
Après Louise Bourgeois et Juan Muñoz, la troisième commission des "Unilever Series" a choisi Anish Kapoor pour relever le défi artistique posé par le Turbine Hall de la Tate Modern. Pari réussi. Anish Kapoor est le premier artiste à investir la totalité de l'espace (155 m de long x 35m de haut x 23 de large) avec une réalisation aux confins de la sculpture et de l'architecture
"Je veux rendre le corps céleste"
Dès l'entrée du Turbine Hall, à deux mètres des portes vitrées, s'élève un anneau d'acier gigantesque. Derrière, une membrane en PVC rouge sombre s'étire comme une véritable artère, traversant le Turbine Hall. Cette membrane quasi "charnelle" oscille entre un pur ordre géométrique et une sensualité biomorphique. Le vide abyssal qu'elle révèle en son centre aspire le spectateur dans sa spirale vertigineuse.
C'est impressionnant. La sculpture d'Anish Kapoor possède une qualité rare : son impact est immédiat, mais son sens reste mystérieux et insaisissable.
Anish Kapoor a divisé son œuvre en trois mouvements rythmés par trois anneaux : aux deux anneaux verticaux qui semblent posés en équilibre aux deux extrémités du hall et qui soutiennent une membrane pourpre d'un seul tenant, il a ajouté un troisième anneau horizontal qui, lui, est retenu par la membrane. Ce creux qui perce le matériau jusqu'au cœur, témoigne de la quête de l'artiste d'un au-delà de la matière qui transforme le lourd en léger, l'objet en non-objet, afin d'atteindre l'invisible et le vide originel. Une prouesse technologique qui défie les lois de la physique.
"Mon travail s'appuie sur le ressenti individuel du spectateur pour métamorphoser l'espace clos et environnant, et c'est ce vécu personnel qui anime finalement mon œuvre" commente-t-il. Son but est "d'arriver à des Objets qui en fin de compte ne ressemblent à rien d'autre", de créer des choses qui semblent émaner d'un autre monde, et dont l'étrangeté nous suggère d'autres façons de voir. Son désir est de "créer un refuge contre les soucis matériels, un sanctuaire de sentiments profonds".
Evocation du rouge sang des maîtres de la peinture ancienne.
On trouve dans l'installation d'Anish Kapoor un écho d'une très vieille histoire : le mythe de Marsyas, satyre qui fut écorché par le dieu Apollon et dont le Titien réalisa un an avant sa mort une représentation terrible : les contours semblent imprécis, la pâte paraît sale, le travail avec les doigts y concurrence celui du pinceau pour donner à l'ensemble un sentiment de violence poignante. "Je me suis inspiré de cette toile. Au début, je n'osais pas l'appeler "Marsyas", je trouvais cela trop prétentieux. Mais ce titre était tellement évocateur de la symbolique ma sculpture que j'ai fini par l'adopter" explique Anish Kapoor.
Le mythe de "Marsyas" pourrait ici bien faire référence à ce qu'en firent les éducateurs athéniens, qui l'utilisèrent pour démontrer la suprématie de la raison sur l'impulsion, de la civilisation sur la barbarie… Un espoir insufflé par l'œuvre de Kapoor au cœur d'une réalité qui en a plus que besoin. "La suggestion de la douleur dans mon installation est là, c'est indéniable" conclut-il.
Murel Carbonnet-Caumes Paris, novembre 2002
|