Amelie von Wulffen et Philippe Decrauzat : une affaire de culture, exporevue, magazine, art vivant et actualité

Decrauzat, sous le titre "Noherenow", présente une exposition spéciale à la maison des arts de Bâle campagne (Kunsthaus Baselland). Il est né à Lausanne où il a fait des études d'art pour devenir professeur dans cette école des Beaux Arts. Il a eu l'occasion de présenter ses travaux à de nombreuses occasions et récemment au musée d'Art contemporain de Strasbourg ou à la synagogue de Dehlme, non loin de Metz. Von Wulffen, elle, expose au musée d'art contemporain de Bâle. Elle est d'origine allemande, de Bavière plus précisement ; car cela a son importance. Elle aussi a participé à la dernière Biennale de l'art contemporain de Berlin, à Manifesta en 2004 et à la Biennale de Venise en 2003. Le Centre Pompidou de Paris, la galerie Crone de Berlin lui ont consacré des expositions récentes.

Quelles sont alors les relations entre les grandes peintures – photo collages proches d'un expressionisme intimiste de von Wulffen et les "objets durs", froids et aussi peu expressifs que possible de Decrauzat ? Les deux artistes plongent ensemble leurs regards sur l'histoire, les maîtres de la tradition et la modernité pour essayer de faire comprendre les multiples facettes de notre monde contemporain. Un mode imprégné de technologies qui conduit à une sorte de spleen, de mal-être.

Von Wulffen, quitte dès la fin des années 90 le monde de l'architecture pour représenter les façades archéo-modernes des immeubles construits à Berlin-Est et les pays communistes. Mais derrière ces façades, il y a les volumes et les personnages, l'artiste elle-même. A partir de 1998-2000, l'artiste révèle alors cet univers intérieur ; elle l'introspecte avec précaution. Les personnages sont imprégnés de leur passé. Ils se rappellent les écrivains russes dissidents, les accidents, la société évanouie. Tout cela est brouillé, un peu comme dans un rêve à moitié oublié. Seuls des flashs, photos collées ou dessins précis, viennent surgir au milieu des développements de peinture et débordent en larges fresques sur le mur. Même les objets, les meubles, elle les rend "messagers" grâce à des motifs décoratifs issus de la tradition bavaroise, mais aussi de pays de rêve, l'Espagne, le Maroc…

Decrauzat est donc aussi très imprégné d'histoire et de culture. Ses travaux font de multiples références aux grands artistes du passé. Questionné, il ne cache pas ses références. Il mentionne des artistes de l'art concret, constructiviste, du Bauhaus comme Lazlo Moholy-Nagy, mais encore de maîtres plus contemporains comme Tony Smith ave sa pièce "Night". Comme Amélie von Wulffen, Pierre Decrauzat remplit ses travaux de références au passé, mais contrairement à elle, il faut creuser pour faire surgir ces évidences. Les sources sont cachées, aussi peu apparentes que possible. Il se complait dans un formalisme rigide qui voudrait faire oublier toute sensibilité. Son monde, très influencé par la technologie de notre temps, la musique, le cinéma, est aussi peu accessible que possible. Les pulsations lumineuses rythmiques de la pièce monumentale qu'il présente à Bâle ne seraient pas compréhensibles sans savoir, graphique à l'appui que nous assistons à la transposition électronique des ondes émises par un pulsar, vieilles de millions d'années lumières : un intéressant raccourci dans le temps. C'est d'ailleurs la trace de ce temps qui passe que Pierre Decrauzat tente de capturer dans plusieurs de ses œuvres. Une sorte de processus intellectuel à remonter le temps.

Amelie von Wulffen, comme Pierre Decrauzat, réincarnent le passé, son souvenir et ses images dans le monde contemporain, mais si l'un dissimule ses références dans un formalisme abstrait, minimaliste, l'autre se veut expressioniste, presque exhibitionniste. On perçoit comment, dans leur rigueur, les artistes alémaniques peuvent se laisser aller au romantisme, alors que certains artistes latins cachent leur exubérance sous les traits d'une abstraction formelle concrète. Pourquoi les Itten, Max Bill et les autes abstraits concrets ne trouvent-ils pas de suiveurs dans les régions alémaniques : une affaire de culture ?