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A l'heure où certains plaident à juste titre, pour "un nouvel art politique", il est toujours surprenant de découvrir au même moment des œuvres, qui sans le dire de manière ostentatoire, en propose un exemple, et ce au cours de travaux qui pourraient échapper à l'attention tant le beau, au premier regard, semble l'emporter sur le propos. Ceci pourrait être une remarque banale au vu de l'histoire de la représentation et de celle de la nature en particulier si nous ne nous rappelions que l'art est aussi et peut-être toujours ce qui embellit le réel pour témoigner de la "poïesis", cette inépuisable force à exister et donc à résister.
Ainsi, sensibilisé depuis déjà plusieurs années aux effets néfastes de la pollution chimique des sols néerlandais, dès 1986, Wout Berger photographie la périphérie d'Amsterdam, travaille sur les décharges de produits toxiques aux Pays-Bas (série "Giflandschap" 1988-1990) avant de présenter aujourd'hui à la Galerie Polaris à Paris, pour sa première exposition en France, ses dernières photographies couleur de Ruigoord, petit village dont les terrains environnants tentent de revenir à la vie après une pollution industrielle expansive.
Mais contrairement à ce que d'autres s'évertuent à montrer frontalement par l'image de centrales nucléaires, d'usines désaffectées, de sites laissés à l'abandon ou de décharges à ciels ouverts, Wout Berger réinjecte de la poésie et donc de l'espoir dans ses grands formats photographiques où la couleur et la mise au point organisent des all-over dans lesquels le regard peut à fois parcourir une cartographie paysagiste tout en faisant l'expérience de l'espace de vie, de cette profondeur aérienne que ménage le flou d'un branchage vert tendre au premier plan, émergeant victorieusement d'un sol aride et sablonneux à la netteté contrastante. Le choix de la mise au point, les cadrages en plongée, à hauteur de buste ou faussement aérien, le semis ainsi proposé des points colorés d'une végétation reprenant ses droits concourent à cette esthétique énigmatique qui dit plus au regard critique que ne peuvent le faire les soi-disant documentaires aujourd'hui si prisés. Le spectateur a en effet la liberté de se laisser guider par des plans de nature pouvant aller jusqu'au paysage impressionniste mais peut-il aussi se laisser intriguer par l'oscillation vibratoire du net et du flou et découvrir alors que le photographe lui propose avant tout un acte de réflexion et donc un regard politique au sens humaniste du terme. Par l'intermédiaire du beau, parfois même par ce que certains pourraient nommer du décoratif, l'artiste nous offre la possibilité de nous questionner tout en satisfaisant notre plaisir visuel.
Quoi de plus subtil et agréable alors que de se laisser manipuler par le regard de l'autre, muet mais critique, efficace tant il paraît facile d'accès avant que nous découvrions sous la mousse et entre deux fleurs les bulles d'air inquiétantes d'un sous-sol en lutte pour sa survie. Il est alors peut-être juste de voir dans ce travail simple, beau et critique à la fois, l'osmose réussie de l'art et du document tant ces photographies là accomplissent leur destin, à savoir celui de "symboliser le corps politique d'un pays" - comme le souligne le communiqué de presse- mais aussi de faire (re) connaître ce qui de l'art et de la nature est de l'ordre de la vocation et donc de l'engagement.
Non la nature comme objet pour un sujet à traiter, pour un spectateur à distraire, mais un hymne à la nature comme sujet à faire réfléchir et donc comme objet à bien regarder nous rappelant alors que l'on ne regarde jamais aussi bien que ce qui est beau. Les nouvelles formes d'art politique trouveraient peut-être ici matière à se ressourcer pour notre plus grand plaisir et leur plus grande efficacité.
Michelle Debat Paris, mars 2004
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