Dans le cadre de Lille 2004, Capitale Européenne de la Culture, le Musée Départemental Matisse nous convie à découvrir le groupe et la revue Vouloir du Nord de la France. Un mouvement d'avant-garde à la pointe de la modernité constitue une histoire peu banale à Lille dans les années 1925. Cette exposition rassemble des œuvres exceptionnelles : peintures, illustrations, mobilier, décorations intérieures, architectures, photographies,….. Elle est organisée au travers 160 prêts très importants provenant des plus grands musées et collections privées européennes : Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Serbie, Suisse et France (65 prêteurs). Elle regroupe pour la première fois l'ensemble des 26 numéros de Vouloir, ainsi que les livres et gravures publiés par la maison d'édition Vouloir.

C'est une magnifique et extraordinaire aventure artistique, unique en France, bien que très peu connue, malheureusement. Le Nord qui vient de subir les ravages, les destructions suite à la guerre, se reconstruit en se tournant essentiellement vers le régionalisme et la tradition.
En 1925, dans ce contexte, où émerge l'Art Décoratif, des artistes et écrivains engagés originaires de cette même région, Félix del Marle, Emile Donce-Brisy, Charles Rochat et Marcel Lempereur-Haut grâce à leur revue "Vouloir" vont à la découverte des avant-gardes européennes.
Ils sont à la recherche utopique d'un bonheur collectif auquel l'Art pourrait contribuer. Ils vont mener une entreprise unique en France. Ils créent en janvier 1924 et jusqu'en février 1927 une revue intitulée "Vouloir" qu'ils définissent comme étant "un organe constructif de littérature et d'art moderne".

Au début du XXème siècle, la revue s'impose comme le complément indispensable d'un groupe d'artistes pour diffuser et défendre leurs idées. Des œuvres de Frantisek Kupka, Félix Del Marle, Lempereur-Haut et Pierre Huguet témoignent de la première exposition du groupe. Des peintures majeures des pères du néo-plasticisme, Mondrian et Van Doesburg avec Domela, Gorin et Vantongerloo. Des peintures et du mobilier de Del Marle. Le Groupe organise également un Salon annuel de peinture, ouvre une librairie "l'esthétique moderne" qui reçoit toutes les revues d'art éditées en Europe et offre un salon de lecture et de discussion.
A la même période, publiée à Paris à partir de 1908 "La nouvelle revue française" diffuse les idées et les théories défendues par les intellectuels et en 1920 la revue "Esprit nouveau" diffuse des textes théoriques et esthétiques.
La revue "Blok" est créée en 1923 ainsi que la revue "i10" en 1927.
La revue "Merz" est fondée à Hanovre en 1923 par le dadaïste Kurt Schwitters et
la revue "Mecano" fondée à Leyde en 1922 par le pro-mécaniste Théo van Doesburg.

Dès le départ le groupe affiche un manifeste véhément, ce texte ponctué par cette phrase "Nous voulons vivre" dénonce explicitement la tradition classique, les salons officiels, l'Académie, et clame que ce siècle doit avoir un art digne de lui : "l'art ne peut que s'inspirer de la vie, il est l'essence de la vie".
Le n°12 de juin 1925 est le premier numéro où le groupe Vouloir indique une manifestation avant-gardiste dans les écrits, les poèmes, les comptes-rendus d'ouvrages et les contes. Dans ce numéro le peintre Félix Del Marle fait par écrit le compte-rendu d'une conférence qu'il a prononcé au cercle Vouloir le 30 avril 1925 sur "L‘art pur - Frank Kupka". Nous voyons des illustrations non figuratives reproduisant des œuvres de Kupka très marquées par le rythme, les sonorités musicales, leurs rapports aux formes et aux couleurs. L'ex- libris exécuté par Pierre Huguet en gravure sur bois, illustration non figurative est l'emblème de la revue à partir de ce numéro.
Ce n'est seulement qu'au n°17 de janvier 1926, que Del Marle intègre le comité de rédaction devenant responsable de la partie artistique, il l'ouvre aux artistes les plus avant-gardistes en Europe. Donce-Brisy fondateur, garde quant à lui la maîtrise de la partie littéraire. De bi-mensuelle, la revue devient mensuelle.

Au n°19 de mars 1926 une nouvelle rubrique est créée portant différents noms : "parmi les revues d'art", ou "Les revues d'art" comme Der Sturm, le Bulletin de l'Effort Moderne, De Stijl, Bauhaus Bücher, 7 arts, Block, ou encore l'Architecture Vivante, malgré des observations générales quelques coïncidences existent entre les articles publiés dans Vouloir et ces derniers. On commence à publier des photos reproduisant des architectures , du mobilier ainsi que diverses compositions néo-plastiques. Le principe est d'écrire mais surtout de montrer l'application des textes théoriques.
Les suivants font part régulièrement de l'activité de la librairie "l'Esthétique Moderne", annoncent les prochains thèmes à venir : cinéma, architecture, voyages et un sujet intitulé nord/sud. Cette diversité témoigne, une fois encore, de l'ouverture d'esprit du comité de rédaction. Puis le titre change pour s'appeler désormais "revue mensuelle d'esthétique néo-plastique"
Le dernier numéro propose dans une annonce de visiter la galerie d'art néo-plastique de l'Esthétique Moderne qui présente les projets d'architecture et d'aménagement intérieur, le mobilier et le matériel publicitaire conçus par l'atelier d'art nouveau. Ce fut le dernier numéro, l'interruption brutale de la revue n'est pas justifiée. Mais les difficultés financières ont sans doute eu raison d'une aventure littéraire et plastique unique.

Vouloir rejoint les revues d'avant-garde qui lui sont contemporaines nationales ou internationales, revues émanant d'un groupe désireux de se faire entendre et comprendre. En France les revues comme "L'Esprit nouveau" et "l'Effort Moderne" sont les deux organes de presse défenseurs de l'avant-garde : le cubisme, mais aussi le futurisme ou encore le néo-plasticisme, éditées à Paris.

De ce fait, elle devient la seule revue d'avant-garde au Nord de Paris et par sa situation géographique et par intérêt, une des plus ouvertes à l'art du Nord de l'Europe.
Serait-ce pour cette raison qu'elle a tant de mal à s'imposer à Paris ?
Il a fallut attendre 80 ans pour exposer l'ensemble de cette publication.

Elisabeth Petibon
Paris, mai 2004