Les bras chargés de sacs et de produits divers, le consommateur palois a la possibilité de faire un détour entre les caisses et sa voiture. Le centre commercial Leclerc abrite dans sa galerie un manège à bijoux, une parapharmacie, jusque là rien de très étonnant, et un lieu d'art contemporain. Un espace d'une vingtaine de mètres carrés, conçu par l'architecte Claire Petetin et nommé "Vidéokiosque", est le cadre de cette intrusion de l'art dans le contexte de la grande consommation. Deux entrées sur les côtés invitent le spectateur contenu en puissance, c'est là le pari, dans le consommateur.
Point of view compilation de vidéos d'artistes internationaux |
Entre le 12 octobre et le 3 décembre 2005, la programmation est celle de Point of view, compilation de vidéos récentes d'artistes internationaux réalisée par le New Museum de New York et Caroline Bourgeois. À travers une thématique assez large, celle du point de vue, la sélection permet de proposer au grand public une prise de contact diversifiée avec l'art vidéo. Les formats sont tous courts, entre 2 et 15 minutes, et ne nécessitent donc pas un créneau d'attention très important. L'idéal pour des expériences qui tentent comme celle-ci de sortir la vidéo de ses ancrages socioculturels. Point of view avait été également le support d'un projet ponctuel du même ordre à Paris en mai 2005, où les vidéos avaient été réparties et présentées dans des bibliothèques municipales aux alentours du Plateau FRAC IDF, initiateur de l'expérience. À Pau, certaines personnes ne deviennent spectateurs que dix minutes, mais peuvent toutefois regarder une œuvre dans sa totalité puisque le médiateur présent dans le vidéokiosque ne présente pas le cycle en boucle. Il laisse le choix à chaque nouvel entrant de la vidéo qu'il souhaite découvrir. Dans cette liste d'artistes célèbres regroupés dans Point of view, tous ne sont pas vraiment convaincants, mais bon nombre d'entre eux méritent vraiment l'attention. Les Automatic Writing (2003, 2'38) de William Kentridge sont fascinantes, ajoutant à la poésie habituelle de ses dessins au fusain celle des formes générées par la libération de pulsions inconscientes. Le spectateur est immergé dans un travail intérieur qui s'exprime par des émotions en tons de gris. Dans un parfait contraste visuel, Pipilotti Rist met en scène la tentative de pénétrer dans la vision d'autrui, à travers une vidéo intitulée I want to see you how you see (2003, 4'48). Fidèle à sa sensibilité pop, elle construit un arrangement visuel et sonore qui plonge dans l'intimité d'un corps en saturant les couleurs et en nous entraînant dans des mouvements d'images très rythmés et saccadés. La confrontation à l'altérité et le désir de fusion trouvent ici des expressions très sensibles. L'extériorité de l'autre qui nous le rend étranger, quelles que soient les tentatives de le pénétrer, ressort d'autant plus fortement que les efforts pour se confronter à sa corporéité sont intenses.
La succession de points de vue proposée par la compilation est globalement une invitation à réfléchir aux émotions internes et à leur articulation avec le monde extérieur. Le spectateur est invité à prendre du recul sur sa propre position de regardeur, parfois violemment lorsqu'il fait face aux images trash de Paul Mc Carthy (WGG- Wilg gone girls, 2003, 5'20). Mais d'autres artistes ne font que suggérer l'horreur et l'expriment avec encore plus de vivacité, tel Francis Alys qui nous fait endosser le rôle d'un narrateur poursuivi par une meute de chiens très agressifs. L'angoisse monte, l'étau se resserre, le cadre de vision se rétrécit sur la gueule des chiens. La caméra finit par tomber à terre : seuls les aboiements continuent à suggérer une action d'autant plus inquiétante qu'elle est absente à l'image. Le détour au vidéo K est ainsi plutôt éprouvant. Il pourrait l'être encore plus, mais le lieu a de par ses spécificités quelques contraintes qui perturbent un peu la réception des œuvres. Ainsi, son exiguïté ne permet pas que le spectateur soit accueilli ailleurs que dans l'endroit de la projection, et la disponibilité bienveillante du médiateur est alors assez dérangeante pour les spectateurs déjà installés dans le visionnage. L'architecture du vidéokiosque n'a en outre pas pris en compte la pollution sonore que produit à courts intervalles le centre commercial par ses annonces aux hauts-parleurs. Lorsque l'intrusion sonore se fait pendant Time after time d'Anri Sala, l'effet est désastreux et fait regretter les conditions bien plus propices à l'œuvre qui étaient celles du couvent des Cordeliers. Faut-il alors établir une programmation qui prenne en compte la spécificité du contexte du lieu ? La réponse est difficile, nous le comprenons bien, mais si l'expérience doit être répétée ailleurs, comme cela a été prévu au moment de la création du vidéokiosque, il faut se poser la question. Quoi qu'il en soit, cette réalisation innovante et encore unique mérite le détour, que vous soyez ou non passés en caisse, car elle porte la marque d'un souci de la réception de l'art articulé à un questionnement sur un médium.
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