François Davin
Sentier d'Art en Paysage
Processus partagé de la création
Didier Bequillard
Anthony Freestone
Aldo Caredda
Miguel Molina
Camouflage
Faust Cardinali
Clément Borderie
Œuvres moins visibles que lisibles
Rencontre entre 2 modes agriculteurs et plasticiens
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Non loin des sîtes historiques de Verdun et de Commercy s'étend entre Aire et Meuse un verdoyant pays de forêts et de vergers, d'étangs et de rivières où abondent faune et flore sauvages. Près de 500 km de chemins vicinaux le parcourent, des chemins bien connus des randonneurs à pied, à vélo ou à cheval venant de Belgique et du Luxembourg quand ce n'est pas de Hollande. Epris de cette campagne calme et vallonée que ponctuent quelques villages à l'abri des grands axes routiers, un sculpteur natif du lieu, François Davin a souhaité enrichir la vision des promeneurs d'une rencontre avec la création contemporaine. Il a imaginé de parsemer ces chemins de sculptures et d'installations pour surprendre, amuser et questionner les regards des passants. Il a su convaincre le maire de Fresnes-au-Mont (un technicien de l'office des Eaux et Forêts) de la fiabilité de son projet lequel a réuni au sein d'une association dite "Le Vent des Forêts" 5 autres maires des villages voisins. Aujourd'hui l'initiative est encouragée par le conseil général de la Meuse, le conseil régional de Lorraine et le ministère de la Culture.
Ce qui est exemplaire, c'est la participation des élus et de leurs administrés à la structure associative de production d'œuvres contemporaines. Au fil des ans depuis 1997, près de 130 œuvres ont pris place sur les 45 km de sentiers balisés sous le sigle "Sentier d'Art en Paysage dans la forêt Meusienne". 90 sont encore visibles car autre particularité du projet, les œuvres ne doivent ni être entretenues, ni restaurées. Elles échappent totalement au marché et elles ne sont pas conçues pour durer. Le Sentier d'Art en paysage ne constitue ni un musée en plein air ni une collection. Son mérite est ailleurs et réside dans le processus partagé de la création. Les villageois acceuillent chez eux bénévolement les artistes et les aident techniquement à réaliser leurs objets. 15 jours durant les uns et les autres échangent des savoirs dans une convivialité qui favorise une approche pédagogique de la création plastique car avant d'être un objet en trois dimensions, la sculpture est d'abord une réflexion sur l'espace qui met en jeu des dimensions sensorielles, formelles, fantasmagoriques et fonctionnelles.
Le sculpteur est talentueux quand il prend en compte la relativité des différents points de vue d'où se perçoit l'œuvre, l'impact de son environnement physique et social et les conditions de sa visibilité par rapport à l'idée qui la sous-tend afin de na pas tomber dans le piège d'une mise en scène illustrative, plus lisible que visible; un piège où s'engluent bon nombre d'artistes d'aujourd'hui, plus parleurs que faiseurs.
Urs-P Twellmann
Nul doûte que les premières réalisations du Vent des Forêts ont destabilisé les villageois dans leur conception de l'œuvre d'art. Faute d'enseignement d'histoire de l'art dès l'école primaire, la sculpture se limite pour beaucoup à la notion de la statuaire, c'est à dire à un monument érigé au centre d'une place communale, un ornement de façade ou une relique de musée.
Les invités par le Vent des Forêts, habitués à ciculer dans le milieu culturel (un milieu feutré et pointilleux, ergotant avec superbe et grandiloquence sur des intentions de définitions) ont été confrontés chez l'habitant, à des questions directes sur le pourquoi et le comment du processus de mise en œuvre de leur projet, des questions simples mais très difficiles à accepter car elles peuvent être perçues par l'artiste comme une remise en cause du bien fondé de son exercice et "quelque part" de sa légitimité. A son tour d'être destabilisé.
Pour cette huitième édition, les artistes étaient venus majoritairement de Paris (qui se trouve à 2 heures d'autoroute) mais ressortissaient de plusieurs pays européens et du Japon. Pour la première fois un thème leur a été imposé: "Territoires". Thème à la fois relevant de la géographie expérimentale - proche de la pratique des visiteurs devant arpenter les lieux pour découvrir les œuvres - mais aussi un thème socio-politique qui déborde sur celui de l'identité, thèmes qui perturbent et agressent nombre d'êtres humains en ces temps de grandes violences anti-occidentales, de terrorisme hégémonique antisémite et anti-chrétien.
Les artistes présents sur le Sentier d'Art en paysage ont oscillé d'un parti pris à l'autre plus ou moins consciemment. Didier Bequillard comme Anthony Freestone ont travaillé sur l'ancrage géographique du lieu. Didier Bequillard a utilisé des plans cadastraux pour témoigner de l'emprise d'une population sur un sol. Qui dit plan cadastral, dit acte de propriété, donc prise de pouvoir sur un lieu. Selon l'artiste - qui a découpé dans de la tôle galvanisée le tracé de plusieurs plans cadastraux qu'il brandit au sommet de longs piques d'acier comme des oriflammes - ces plans sont reconnaissables par la communauté des paysans et fermiers concernés. Ce sont leurs enseignes, leurs blasons héraldiques. Anthony Freestone impose sur ce sol d'Argonne une plantation florale épousant, par les lignes de semis de diverses plantes, les couleurs et le dessin rectiligne d'un tartan écossais, ce tissus identitaire qui indique, pour celui qui s'en revêt, l'appartenance à un clan. Une autre manière de porter, par étendard interposé, son emprise sur un sol, de "pacifiquement" le coloniser.
Obsédé par son index, Aldo Caredda joue au petit poucet en dessinant le long du Sentier d'Art, près de 2000 petits carrés en céramique portant l'empreinte de son doigt, une marque identitaire par excellence, censée tisser des liens avec le présent et le futur du territoire.
Miguel Molina en appelle à la mémoire historique de la Meuse, une région si proche de l'Allemagne qu'elle souffrit à plusieurs reprises de ses assauts. L'artiste espagnol étend de longues bâches peintes selon des motifs de camouflage, ces motifs qui, lors de la dernière guerre furent créés par des artistes à la demande des armées pour dissimuler leurs déplacements. Une bâche de camouflage pour symboliser l'intervention de l'art comme élément de protection d'un lieu ?
Faust Cardinali déteste la pratique de la chasse, une pratique répandue dans cette région où le gibier abonde. Près d'une loge de guet, l'artiste a dressé un porte-gibier - en acier - qu'accompagne un fusil neutralisé. Ici la protection concerne la faune et agresse sur le mode ironique les coutumes ancestrales des habitants.
Enfin Clément Borderie, à la manière des givrages de Manessier, se livre à une sorte d'écriture automatique propre aux aléas climatiques du lieu. Sur sa toile tendue sur le sol se déposent, au fil des saisons, des dépôts floraux (pollens, poussières, feuilles mortes, brindilles etc...) qui en s'y accumulant dessinent des tâches informes, des ruissellememnts aux couleurs imprécises. Une poétique du temps dans sa durée, et un ready-made intemporel.
Dans l'ensemble des œuvres moins visibles que lisibles puisque le passant, curieux de comprendre ce qui s'offre à sa vue, devra recourir à la lecture du cartel les accompagnant.
Des œuvres modestes mais une expérience à soutenir car, nous l'avons dit plus haut, l'intérêt de la manifestation est ailleurs. Il réside dans la rencontre entre deux mondes : des ruraux et des urbains, des agriculteurs et des plasticiens.
Liliane Touraine Paris, septembre 2004
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