Un art cosmique, Van Blime, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Un art cosmique
Jean-Claude Van Blime
 
 
Que la forme soit énergie, la ligne, vecteur et la couleur affect d'univers, tel est le propre de tout art cosmique. Car de Monet à Matisse, de Pollock à Klee, la peinture n'est qu'un travail de forces conflictuelles, où la beauté du cosmos se trouve confrontée à une "chaosmose" qui menace de l'engloutir dans un espace sans horizon ni fin. Entre abstraction et figuration, elle dessine toujours une "cosmogenèse" de l'univers, explorant ses souffles et ses rythmes en une physique de mondes pluriels. Telle est précisément la peinture de Van Blime, qui parcourt toutes les énergies colorées du temps, du ciel et de la terre…
parcourt

toutes les

énergies

colorées

du temps

du ciel

et de

la terre
Van Blime
 
Vue de l'exposition à la galerie Up'Art
 
 
Tableaux de rythmes

… Etrange destin que cette métamorphose du musical en figures plastiques, où les lignes et les couleurs donnent à entendre et à écouter dans une dynamique toute silencieuse. Car il ne s'agit pas d'imitation, ni même d'image, mais bien de transposition créant ce que je propose d'appeler la touche-son de toutes les coulées picturales. Car si Van Blime choisit principalement des œuvres baroques ou des opéras (Verdi, Puccini), c'est sans doute en raison de ces correspondances secrètes, où les concepts d'affect et d'énergie jouent un rôle central. Comme je l'ai longuement montré, l'affect (gli affetti) est l'objet et le sujet de toute musique baroque [1]. Or l'affect n'est en aucun cas un sentiment au sens romantique du terme… L'affect est inséparable du ton, au sens d'Adorno, ce qui excède la structure et la forme [2] …Ton de la douleur, de la mélancolie, de l'amour, de la vengeance ou de la joie, le ton explore Eros et Thanatos, en une véritable archéologie des passions pré-freudiennes immanentes aux textures musicales…

… Entre la musique et la peinture, ton et transpositions traduisent donc la pulsation vitale de la musique, avec ses correspondances et ses synesthésies toutes baudelairiennes, où "les couleurs et les sons se répondent". Un grand désir, qui est "puissance d'exister".
 
 
Van Blime
 
Van Blime, scintillation
 
 
Tableaux d'univers

Que la peinture soit affirmation et capture de forces qui se traduisent en un devenir cosmique, telle est sans doute la modalité de ce désir d'exister spinoziste. Aussi couple-t-elle deux types d'affects étroitement liés : les affects d'univers, mer, soleil ou désert, spécifiquement esthétiques, et ce que Daniel Stern appelle les "affects de vitalité" qui sont des expériences subjectives primaires engendrant les "dynamiques temporelles de changement [3]".

… Dans l'œuvre de Van Blime, elle occupe les deux modalités du cosmos : son tourbillon incandescent et sa fluidité atmosphérique et aquatique.

Cavalcade, ou le diptyque de la naissance de l'univers, son mythe et sa puissance. Un monde en fusion, craquelé de rouge, avec ses éruptions zébrées de blanc et de sang, traîné par deux chevaux fous qui l'emportent de leur char abstrait et céleste, tels les chars d'Apollon ou de Mithra. Car le cheval incarne symboliquement la vitalité, voire la sexualité, même s'il est associé à des valeurs contrastées, vie et mort, masculin et féminin selon les cultures. Ici, les chevaux sont bien ceux d'une Apocalypse cosmique immanente, brillant de son rouge passion. Si bien que l'image n'est que la matière même, dans ses plis, replis et modulations colorées de feu et flamme.

Et puis Bagatelle. Une matière quasi immatérielle, dans un espace rêvé, en jaune-bleu et légers verts. Et partout, ces écritures de ruban, entre trace et signe, qui virevoltent et tournent pour s'immobiliser dans la profondeur du bleu. Comme par magie, la destruction semble suspendue, dans une fusion sublimée par la lumière claire d'une raréfaction matérielle que l'on trouve dans d'autres tableaux…

… Vertige des trajectoires, ligne nomade comme dans les déserts où l'eau devient mirage : on a alors Scintillations. Un immense tableau jaune, divisé horizontalement par une ligne blanche infime qui ne mène nulle part. En bas, un sable quasi aquatique qui me fait rêver à la mer de sable du Sahara et à son histoire. Et en haut, sur l'échancrure d'un petit ciel bleu, la montagne, sorte de butte-falaise témoin comme l'Aïr, avec le frémissement brun/jaune/rouge de sa masse et de ses surimpressions picturales. Tout est jaune et encore jaune, comme un mirage de cristal, que les Touaregs appellent "l'eau des génies" (amn b-eljenien). Mais il n'y a pas d'eau, tout juste un territoire minéral sec et aride, balayé par le vent et transformé par le rayonnement solaire. "Un mort-vivant" pour reprendre les termes de Lawrence… Ce désert lumineux que l'on a toujours assimilé à la mer est bien le lieu de ce que Deleuze et Guattari ont appelé, après Boulez, un "espace lisse", qu'ils opposent à l'"espace strié [4]". L'espace lisse est non quadrillé, non euclidien, sans horizon, toujours ouvert aux affects d'univers, pur espace des vents, des intensités et des qualités sonores, où l'on touche à l'infini. Or toucher l'infini à partir du fini est l'objet même de la peinture, quand elle dépasse le strictement visuel pour développer une perception haptique (haptô : toucher/voir)…

… Et quand Van Blime réinvente la verticalité et le strié apparent comme dans Klimt, divisé en espaces verticaux rose orangé/marron, sienne/vert gris, c'est pour mieux la perturber par le jeu des courbes, des lignes inflexueuses et des gouttes picturales éparses, qui retrouve la transparence quasi nacrée du japonisme de Klimt.
 
 
Van Blime
 
Van Blime, suspension
 
 
Tableaux du temps

Dali, ou le temps discontinu qui passe de manière surréaliste, avec son merveilleux banal et l'attraction de l'étrange… Dans le tableau de Van Blime, on retrouve l'aura colorée de Dali. Un paysage abstrait, rayonnant de turquoise et de transparences orangé-bleu, et puis flottant au milieu, un curieux "objet" surréaliste. Un objet noir déformé, intriguant, véritable mémoire de la montre molle, à moins que l'on y voie un sexe féminin flottant, à rapprocher du célèbre "phallus flottant" que Lacan voyait au premier plan des Ambassadeurs d'Holbein. En tous cas, une sorte de "fantaisie diurne", qui renvoie à ce "tactilisme" du mou à la Picabia… Et donc la métaphore d'un temps élastique, pénétrable, celui de la "forme informe" pour reprendre la rhétorique baroque de Tesauro. Et l'on peut saisir la logique profonde du travail de Van Blime, quand on explore les extrêmes de ce baroque plus ou moins explicite et que l'on passe aux tableaux consacrés à Vivaldi, où le temps-pulsation et affect devient le motif dominant, réinventant l'énergie du merveilleux musical, sa furore et son incanto.

… Car ici la peinture retrouve les attaques légères ou fulgurantes de la musique, avec tous ses rythmes et ses affects pulsionnels : sa pulsion de vie. L'ascendant et le descendant, le majeur et le mineur, le brusque et ces moments fusionnels, extatiques, avec ces sublimes lenteurs qui suivent les accélérations soudaines et la vivacité d'une musique capable de saisir le temps à l'état pur, comme dans les Quatre Saisons. Car cette vitesse de la vie ouvre soudainement à une véritable éclaircie de l'être sonore. Un immense tableau, Vivaldi Springs clôt la série. Si léger, si subtil, un tableau de jaune et de jaune encore, avec une lumière diffuse et presque insituable, imprégnée d'un "tachisme" rouge fuchsia et d'une écriture turquoise de courbes. On s'y perd, on y rêve, et l'on retrouve peut-être certaines lumières de Venise, quand le soleil déclinant marbre le Grand Canal et la lagune de ses reflets d'orient rose et or. Il y a là une poétique musicale de la peinture, qui s'épanouit dans un double rythme et un double espace-temps : La déferlante et Blue Note.

Un chaos primaire de la nature, une immense "soupe cosmique", où la rencontre des plaques tectoniques aurait produit un raz-de-marée de vagues, en un gigantesque tourbillon de typhon. Ici, dans cette Déferlante, tout est énergie, sublime et sublimée, par un excès de rouge s'arrachant au bleu profond. Matières pliées, craquelées, rigoles et sillons de peinture, véritables traces des ondulations d'une toile non tendue, déferlante noire rencontrant cette autre déferlante blanche, comme deux fleuves s'épanouissant en vagues et inflexions : les forces de destruction – la chaosmose – sont à leur limite. Entre le lisse et le plié, entre l'épais des flaques et le très léger des flocons d'écume, la peinture nous livre toute une violence cosmique aux prises avec des forces antagonistes…

Mais toute tempête a son accalmie, comme dans ce tableau, Blue note, où esthétique de la légèreté et esthétique de la lumière-couleur se correspondent. Une note juste et magique, avec ses arpèges en petits blancs, ses vides bleutés et stellaires, et ses écritures courbes du rêve, signes d'un moment totalement harmonieux. Dans ce bleu si limpide et si transparent, qui en a fasciné plus d'un (Matisse, Miró, Sam Francis ou Yves Klein), "la profondeur de l'espace" est "allégorie de la profondeur du temps" (Baudelaire). Mais ce temps d'une sorte d'impressionnisme limpide et abstrait, est celui d'un infini insituable et insoutenable qui nous traverse de sa Blue Note, tout comme l'heure bleue, ce moment bleu, irréel et fusionnel, de certains couchers de soleil du Midi où ciel et mer se confondent. Je ne suis plus devant, mais dedans, enveloppée par une lumière quasi métaphysique.
Christine Buci-Glucksmann [5]
Paris, mars 2007
 
 
Van Blime
 
Van Blime, Christine

Van Blime, "a cosmic art", UP'ART Galerie du Quai, 4, quai au bois de Construction, 1000 Bruxelles,
du 16 février au 19 avril 2007, www.up-art-galerie.com

Unicef/Up'art, jusqu'au 19 Avril 2007

La galerie Up'Art est heureuse d'annoncer sa collaboration avec l'UNICEF Belgique.
Durant l'exposition de l'artiste peintre Van Blime la Galerie UP'ART cèdera 10% sur les ventes des œuvres. Dans le cadre de cette collaboration, les recettes des livres consacrés aux œuvres de Van Blime sont intégralement versées à l'UNICEF. Les fonds ainsi récoltés seront attribués à la campagne nationale Belge sur la vaccination dans le cadre de la fête des mères. Avec un don de 20 euros l'Unicef fait un programme complet de vaccination pour 1 enfant.

LE 19 avril aura lieu un cocktail de décrochage spécialement dédié à l'UNICEF pour clore cette collaboration proposée par Van Blime, avec dédicace de son livre.


[1] Dans La folie du voir. Une esthétique du virtuel, Galilée, 2002, Seconde partie
[2] Cf. l'analyse du ton, dans Alban Berg, Le maître de la transition infime, Gallimard, 1989, p.21. Adorno cite Valéry à propos de Stendhal : «Ce qui frappe le plus chez lui, ce qui dénonce, attache ou irrite l'esprit, c'est le Ton."
[3] Cité par Raymond Bellour, dans son article : "Daniel Stern encore", Trafic, printemps 2006, p. 52 et 53.
[4] Mille Plateaux, Editions de Minuit, 1980, p.592 et suiv.
[5] Professeur à l'Université de Paris 8 en esthétique de l'art contemporain, Christine Buci-Glucksmann est l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels : Au-delà de la mélancolie (Galilée, 2005), Orlan, ouvrage collectif (Flammarion, 2003), Esthétique de l'éphémère (Galilée, 2003), La folie du voir, une esthétique du virtuel (Galilée, 2002).

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