Grayson Perry, est lauréat du Turner Prize 2003 à la National Gallery.
"I want to make something that lives as a beatifull piece of Art, but on a closer inspection, polemic or ideology comes out of it"
Cela commence par une sensation étrange d'harmonie, d'équilibre, d'élégance, de maîtrise artistique et de grand classicisme inattendue dans le contexte habituellement plus subversif de Turner Prize...
Une robe d'enfant enrubannée, aux couleurs joyeuses, des poteries d'inspiration chinoise…
Méfiez-vous de la beauté, et de la légèreté, elles peuvent cacher de grandes souffrances et de grandes perversions, message permanent du travail de cet artiste décalé, et travesti en son double féminin, Claire…
Ici l'on s'intéresse aux déviances, aux souffrances, aux viols, aux enfances déchirées.
La robe de fête est brodée de cercueils, de sexes en érection, elle nous amène doucement à la pédophilie, sans amener de réponse.
Les céramiques, poteries précieuses et de tailles imposantes, se dévoilent peu à peu…
"Teddy bear" ours en peluche en bronze en érection, et des textes étranges, "Drunk, Drug, Sex, Selfish, Crual, I am an ignorant belly…".
Des cercueils, des enfants qui pleurent, des vulves, des scènes de viol…
Tout un cortège de perversions sous l'apparente élégance cossue de l'objet.
On en sort perplexe, ambigu, partagé entre l'admiration et le dégoût… Silencieux et pensif sur l'esthétique d'un monde lisse, maîtrisé, tout en apparences…
Grayson Perry
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Dinos et Jake Chapman ont aussi été nominés 2003 au Turner Prize à la National Gallery. Dinos et Jake Chapman ou la représentation lucide, cynique et quasi gothique, de la mort et de l'horreur.
Ces agitateurs humoristes et subversifs s'intéressent à la philosophie, à la culture consumériste, et autres sujets brûlants.
"We are anti-humanists. When one laughs at something it opens an abbyss, and everything falls in, if you laugh it is because you are afraid".
Leur exposition repose sur une série d'une soixantaine d'eaux fortes de Goya, datées de 1810 à 1820, de petits formats tous égaux, rangées de manière linéaire, élégante, quasi clinique. Toutes consacrées à la guerre d'Espagne, aux titres explicites, et traitant de manière réaliste et brutale des horreurs infligées aux paysans.
Chacune est retravaillée très finement avec un détail joyeux, décalé, et finement coloré, représentant un petit personnage humain ou animal, proche des comics.
Ainsi détournée, l'horreur devient presque risible, mais reste horreur. Et c'est là le tour de force de cet exercice, répétitif mais jamais ennuyeux. Nous faire sourire de l'insoutenable, nous détacher du réel, nous emmener dans une pirouette ludique qui entraîne l'amnésie. L'horreur est et n'est plus. Au centre de la pièce, un arbre en bronze, et accrochés à ces branches des squelettes sanguinolants ou membres écartelés, mangés par les vers, grouillants d'asticots, infects, on frise le dégoût… Tout à coté, sur un matelas de plage gonflable bleu dur, deux corps, roses, et une fellation.
Décrochage final de cette exposition, provocant une sensation d'humour puéril et adolescent, mettant en parallèle, la mort et l'amour plaisir gratuit, l'amour dans sa version gothique de la mort, des œuvres à consommer face à celles à conserver…
Les Chapmans n'offrent aucun antidote à l'ambiguïté de leur morale, ni aux propositions conflictuelles de leur travail. Ils sont d'un grand pessimisme sur la portée rédemptrice de l'art qu'ils détournent en une fresque risible et cynique. Ils nous amusent du pire, de l'insoutenable.
Edith Lassiat Londres, décembre 2003
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