Ni Eros, ni Thanatos, ni Dionysos, ni holocauste, les nus sont soit uniques, soit innombrables.
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Spencer Tunick, artiste nord-américain (déjà vu à la FIAC en 2000), travaille le nu depuis 1992. Stéréotypie de la photo, pourrait-on dire, dont le sujet résume parfois l'entièreté de la proposition artistique. Mais ici, rien de tel, le nu est un élément, le nu est élémentaire.
Ni Eros, ni Thanatos, ni Dionysos, ni holocauste, les nus sont soit uniques, soit innombrables.
L'exposition montre d'abord des femmes et des hommes seuls nus face à l'appareil. Là aussi, rien apparemment de nouveau, mais ces nus s'insèrent dans un paysage dont ils font partie et avec lequel ils entrent en correspondance : un noir d'Afrique du Sud à côté d'un poteau de béton sur lequel est peint une sorte de totem, un homme longiligne contenu dans la perspective d'une ruelle italienne, une femme en Antarctique debout sur une pierre d'une plage de galets, un pingouin, petite silhouette noire en second plan à gauche, un couple, elle allongée au milieu de la rue lui assis un tatouage sur l'épaule dans une rue de Montréal qui monte jusqu'à un arc-en-ciel, ou un garçon allongé dans une vitrine de magasin d'alimentation… Il s'agit dans tous ces cas non pas d'individus mais d'êtres au monde. La présence des corps humains révèle la vie des paysages urbains ou naturels, alors qu'habituellement ils sont réduits à leur servir d'écrin.
Mais c'est dans la foule nue que se révèle le génie de Tunick : groupe en génuflexion dans les prairies de Melbourne comme un troupeau de croupes, à Melbourne également des vagues de femmes allongées sur le côté et dont on ne voit que les contours sinueux sur fond d'eau, océan de têtes au Chili ou de jambes ailleurs, et toujours la perception que ces ensembles (qui parfois sont des centaines, voire des milliers) sont de même nature secrète que ce qui les entoure, corps cellulaires répondant aux corps paysagers.
Panthéisme, tout s'anime, on pense à l'univers visionnaire de l'écrivain Théodore Sturgeon, aux amas de cellules vivantes du végétal du minéral de l'animal basiquement semblables, aux accumulations de Arman la chair en plus, l'inanimé en moins.
Un court film de Andrew Einhorn montre la mise en place du dispositif à Buenos Aires en 2002 (450 participants), les gens qui se déshabillent et courent vers le lieu protégé où ils vont prendre la posture demandée, la gravité ensuite le temps de la prise du cliché, et ensuite l'explosion de joie festive. Un imbécile commente et parle de liberté alors qu'il s'agit de retrouvailles avec les pulsions de vie qui nous habitent et habitent, pour encore combien de temps, notre monde.
A noter l'accueil déplorable du palais de la Virreina et leur non-participation à une défense de l'artiste présenté : le tourisme de masse semble avoir gâté l'hospitalité catalane traditionnelle…
Jean-Pierre Klein Paris, avril 2004
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