Le musée de Grenoble propose une exposition monographique de l'artiste allemand Thomas Schütte, qui regroupe un ensemble d'œuvres non hétérogènes sous le titre de Croisade. L'exposition, qui n'est pas une rétrospective, rassemble les trois pratiques principales de l'artiste depuis vingt ans : la gravure, la sculpture et la maquette d'architecture.

Les gravures, peuvent être divisées en deux catégories. D'une part des lithographies, aux formats traditionnels sont directement inspirées par la photographie, notamment par les photogrammes. Dans cette première série, l'objet "plante" reste omniprésent, le végétal tantôt reconnaissable, tantôt abstrait laisse une empreinte en deux ou trois couleurs sur la gravure. Les autres lithographies, beaucoup plus intéressantes, proches de celle de Pierre Alechinsky font preuve de l'engagement de l'artiste aussi bien dans la sphère privée que publique. Les œuvres en une ou deux couleurs traitent aussi bien de la politique, du portrait, de la nature, ou encore de la femme. L'écrit et le graphisme simple, presque enfantin prennent alors une dimension intéressante questionnant directement le visiteur.

D'autre part les sérigraphies de dimensions beaucoup plus grandes mêlant abstraction et figuration, le plus souvent humaine, où des mots ressortent sont les œuvres graphiques les plus attirantes de l'exposition. L'artiste reprend ses thèmes favoris, les travaillant avec un trait à la fois acerbe et sensible, il écrit son propre journal intime d'émotions et de sentiments. Les sérigraphies, d'un certain côté sont extrêmement proches de l'art dégénéré, tout en restant du coté de la raison.

Thomas Schütte manie depuis toujours les matériaux traditionnels comme la glaise, le bois, le bronze, l'aluminium… Ses sculptures en glaise et en pierre sont décevantes, avec une mise en scène faible. Ensuite une série sur les femmes en fer attend le spectateur. Les corps ronds, proches des courbes d'Aristide Maillol accolés à de superbes tables en fer réalisées par l'artiste sondent le spectateur : faut-il admirer ces femmes aux poses inquiétantes ou en avoir peur ?

La réponse est donnée trois salles après où nous attende une série impressionnante de grands personnages, mi-hommes, mi-robots dont l'aspect échevelé renvoie à la statuaire baroque. Le corps "être humain" est en pleine transformation, entre deux étapes, dans l'inframince. Cette proposition est surenchérie par une série de têtes en céramique, Thomas Schütte compose une galerie de portraits fascinants qui empruntent autant à la tradition classique de la tête de caractère qu'à la caricature selon Honoré Daumier. Ces têtes dominent le spectateur, et selon l'artiste, elles mettent en évidence le pouvoir psycho-sensoriel de la sculpture et suggère l'enjeu idéologique et les implications politiques qu'elles représentent dans nos sociétés modernes.

Enfin, l'artiste propose à l'image de jouets d'enfants des maquettes d'architecture. Celles ci, n'interrogent pas la grande architecture, mais celle qui parle à la société, allant de l'habitation collective, à la station service en passant par le pavillon de musique. Thomas Schütte utilise les matériaux les plus divers : plastique, bois, fer, lumières pour créer des environnements où l'homme pourrait évoluer.

En définitive, Thomas Schütte avec Croisade, nous parle de la société contemporaine sous un angle à la fois terrifiant et ironique, émouvant et sensible, réel et imagé, mais pourquoi avoir proposé le titre de l'exposition au singulier, alors que l'artiste nous parle de ses combats, de ses sentiments, bref de lui.

Clément Nouet
Grenoble, novembre 2003