Picasso-Matisse, un duo extraordinaire, à la Tate Modern de Londres


Picasso-Matisse, Tate Modern

Pablo Picasso "Les Trois Danseurs", 1925, huile sur toile, Tate Modern©, London
"aussi différents que le Pôle Nord l'est du Pôle Sud"














"fraternité artistique"














"Il faut que nous discutions autant que nous pouvons. Quand l'un de nous mourra, il y aura certaines choses dont l'autre ne pourra plus parler avec personne."

Henri Matisse et Pablo Picasso sont considérés comme les inventeurs de l'art moderne. Ils se sont rencontrés dès 1906. Quels sentiments liaient les deux artistes, amitié ou compétition ?
L'histoire de l'art a toujours présenté Matisse et Picasso dans des termes d'opposition : l'art de Matisse calme et davantage tourné vers la couleur, celui de Picasso plus conflictuel et porté sur le dessin. Cette exposition tente de démontrer que malgré leurs apparentes différences, les deux "monstres sacrés" ont travaillé dans le même sens, celui de la modernité.

En 1906, Matisse (1869-1954) est le leader des Fauves, le mouvement artistique le plus audacieux en France. A peine arrivé d'Espagne, Picasso (1881-1973) n'est alors pas très connu à Paris où il commence cependant à attirer l'attention de quelques critiques et marchands. De douze ans son aîné, Matisse dira de leurs caractères qu'ils sont "aussi différents que le Pôle Nord l'est du Pôle Sud".

Considérons deux natures mortes : "Poisson Rouge et Sculpture" (1912) de Matisse et "Nature morte à la tête de mort" de Picasso (1908). La première toile est très colorée, du fond bleu foncé se détachent les poissons rouges qui représentent pour Matisse la vie et le mouvement. Une sculpture de l'artiste permet de situer cette scène d'intérieur dans son studio d'Issy-les-Moulineaux, mais elle révèle peu de la vie de l'artiste.
On ne peut lire la biographie de Matisse dans ses peintures, à l'inverse de Picasso. Le tableau de ce dernier nous apprend beaucoup sur son auteur. Avec sa tête de mort, la scène est une vanité, rappelant l'omniprésence de la mort ; Picasso était très superstitieux. En même temps, la présence d'un nu féminin peint et les pinceaux de l'artiste soulignent l'imbrication pour Picasso de la sexualité, la mort et la création.
Malgré des différences certaines, la similitude des artistes se confirme dans des oeuvres comme la très belle toile de Matisse "Intérieur au violon" (1917-1918) et "Les Trois Danseurs" de Picasso (1925). Ils se rejoignent non seulement dans le thème de la musique, mais aussi dans le traitement de l'espace : les deux scènes prennent place dans un intérieur, face à une fenêtre ouverte vers le monde extérieur.

Matisse et Picasso vivent et travaillent dans un vis-à-vis productif, tant à Paris qu'en Catalogne ou sur la Riviera. Leur relation se développe au fil du temps pour devenir, à partir de la Seconde Guerre mondiale et selon les mots d'Henri Matisse, une véritable "fraternité artistique".
Malgré leur rivalité du début, les deux artistes ont fini par voir en l'autre le seul vrai semblable. Surtout vers la fin de leurs vies, Picasso et Matisse sont devenus très proches personnellement, aussi bien qu'artistiquement. Picasso dira de cette période : "Personne n'a jamais regardé plus attentivement que moi les peintures de Matisse ; et personne n'a jamais regardé les miennes avec plus d'attention que lui".
Les dernières oeuvres de Matisse, les fameux papiers découpés comme la série des "Nu Bleu"(1950-1954) trouvent un écho dans les sculptures en tôle découpée de Picasso comme "La Chaise" (1961).
La mort de Matisse en 1954 affecta beaucoup Picasso, qui avait déclaré quelque temps auparavant : "Il faut que nous discutions autant que nous pouvons. Quand l'un de nous mourra, il y aura certaines choses dont l'autre ne pourra plus parler avec personne". Une telle déclaration démontre l'amitié, mais peut être surtout le respect qu'ils avaient l'un pour l'autre.

Ce qui saute aux yeux au cours de cette exposition est l'incessante recherche de la lumière de Matisse et celle de la forme de Picasso. Chez Picasso, tout passe par le dessin, par le trait ; son art est plus agressif, plus énergique, on sent avec quelle ferveur il devait créer. Chez Matisse, tout est couleur ; les rondeurs, la douceur, la joie de vivre priment. Matisse, c'est "La Danse", le "Luxe, calme et volupté" ; Picasso est le "Minotaure", "La Femme qui pleure".
L'Artiste méditerranéen par excellence, l'Espagnol débordant d'énergie, Picasso est l'Artiste-Génie, passionné et touche-à-tout. Matisse est le créateur posé et réfléchi, sans conteste un des "Très Grands" ; avec lui, la couleur et le rendu de la lumière ont été bouleversés.

Matisse et Picasso ont su enrichir mutuellement leur art. L'exposition de la Tate Modern établit un parallèle très intéressant entre deux personnages extraordinaires, qui ont imprégné de manière indélébile l'art du XXe siècle, et révèle la complicité - peu connue - qui les lia de 1906 à la mort de Matisse au milieu des années 50.

Sophie Richard,
avril 2002

Tate Modern, Londres, M¡ Southwark, du lundi au jeudi de 10 h 15 à 18h  et du vendredi au dimanche de 10 h 15 à 22 h, jusqu'au 18 aožt
Catalogue : 220 ill. couleurs, 60 ill. n/b, 30 Livres sterling.
 
www.tate.org.uk/matissepicasso/  et  www.tatemag.com 
L'exposition sera présentée du 26 septembre au 6 janvier 2003 au Grand-Palais à Paris

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