Su-Mei Tse au Casino Luxembourg, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Su-Mei Tse au Casino Luxembourg
Douce poésie musicale
 
 
Deux ans après avoir reçu le Lion d'Or à la biennale de Venise, un prix récompensant le meilleur pavillon national, la jeune artiste luxembourgeoise investit subtilement l'ancien casino bourgeois.
l'importance

des origines

et des

cultures

qui

façonnent

notre

perception

Su-Mei Tse
 
L'écho (2003, projection vidéo) collection Mudam
 
 
L'exposition rassemble des pièces déjà existantes et des productions réalisées spécialement pour l'occasion. Ainsi, est-on accueilli par "dong, xi, nan, bei (E, W, S, N)" (2006) une installation composée de quatre idéogrammes chinois en néon blancs accrochés au plafond. Ces signes indiquent les points cardinaux, mais selon la logique orientale basée sur l'horizontalité (commençant par l'Est) et non sur la verticalité comme en Occident (où l'on commence par le Nord). D'emblée, cette installation livre une des clés de l'œuvre de Su Mei-Tse, artiste d'origine sino-britannique : l'importance des origines et des cultures qui façonnent notre perception.

Les trois autres œuvres présentées au rez-de-chaussée ont été exposées à la 50e biennale d'art de Venise. "Les Balayeurs du Désert" (2003) est un clin d'œil aux années estudiantines de l'artiste à Paris. Dans cette vidéo, des agents de propreté de la capitale française balayent inlassablement les dunes de sables sur lesquels ils se trouvent. Ce travail absurde et répétitif est rythmé par le bruit des balais. Cette œuvre se réfère à la situation des immigrés en France qui, souvent, se retrouvent à balayer anonymement les trottoirs parisiens.

On ne se lasse pas de regarder "L'Echo" (2003), une vidéo dans laquelle l'artiste, violoncelliste confirmée, joue face à un paysage majestueux. La musicienne nous apparaît de dos, placée sur une pelouse irréelle (l'herbe n'a jamais été aussi verte), au bord de ce que l'on devine être un profond précipice. Face à elle, une montagne immense et rocailleuse ne laisse qu'une petite échappée au regard vers un ciel grisâtre en haut de l'image. De courts interludes musicaux sont répétés de manière plus ou moins distincte par l'écho et confère à cette œuvre une atmosphère particulièrement poétique.

Ces œuvres sonores trouvent un contrepoids dans la "Chambre sourde" (2003), une pièce dont les murs et le plafond sont entièrement recouverts de structures géométriques en mousse. Cette installation feutrée de couleur pamplemousse, complétée par une moquette au sol, offre au visiteur un espace d'introspection et de calme.

Au premier étage, la photographie "Pieds bandés" (2000), montrant une paire de pieds emmaillotés dans de la cellophane, renvoie à la coutume ancestrale, aujourd'hui interdite, infligée aux femmes chinoises pendant des décennies. "Standard eye level" (2006) témoigne d'une même préoccupation pour la standardisation et la soumission aux normes esthétiques et sociales. Une dizaine de bonsaïs sont placés à hauteur du regard dans des structures métalliques. Ces arbres sont miniaturisés par le taillage et la ligature de leurs branches et de leurs feuilles. Généralement cultivés en pots (bon : signifiant coupe ou plateau et sai : arbre), les racines des bonsaïs sont ici mis à nus, bien qu'emballés dans un voile brunâtre.

La vidéo "The Yellow Mountain" (2004) se présente comme une parodie des représentations bucoliques asiatiques. Tout y est : un paysage montagnard, la brume et le lever du soleil accompagnés par des sons mélodieux. Pourtant un élément incongru et inattendu vient troubler cette représentation stéréotypée.
 
 
 
Su-Mei Tse
 
Waiting Lovers (2004, installation) courtesy Tim van Laere Gallery, Antwerp
 
 
"Le Maître ou le Tournoi de Go" (2006) s'inspire également de la culture asiatique et plus particulièrement du jeu de stratégie combinatoire abstrait très ancien inventé en Chine il y a plusieurs millénaires. Dans cet ensemble de photographies, les pions noirs et blancs apparaissent sans leur goban (le tablier de jeu) et se transforment ainsi en petites formes abstraites. Mais le positionnement des pièces n'est pas si innocent qu'il en a l'air au premier abord. Le point de vue présenté au spectateur est celui du jouer des pièces blanches dans une partie décrite par un maître de Go, Yasunari Kabawata, dans un livre éponyme à l'œuvre. Dans cet ouvrage, le vieux maître met en exergue les notions de temporalité, de persévérance et d'émotion, les qualités requises pour maîtriser ce jeu ancestral.

"Mistelpartition" (2006) est une vidéo noir et blanc lyrique et mélodieuse, dans laquelle un ensemble d'arbres sans feuilles passe en continu. Les images et la bande son sont accordés, puisque des spots lumineux apparaissent dans le gui accroché aux branches en fonction des notes jouées. L'ensemble se présente comme une partition musicale lumineuse sur fond de nature hivernale.

Le tapis labyrinthique, "Proposition de détour" (2006), fait un peu figure d'exception, puisque c'est une œuvre que l'artiste a pensée et réalisée à partir de la salle d'exposition et non l'inverse qui est sa démarche habituelle. Cette œuvre circulaire de neuf mètres de diamètre reprend la forme d'un labyrinthe du dallage de la Cathédrale de Chartres. Le motif est celui d'un bestiaire imaginaire et idéal d'un jardin paradisiaque typique de l'iconographie orientale en général, et de certains tapis persans en particulier. Cette très belle œuvre souligne le mélange et la complémentarité des cultures.

Un certain cheminement hasardeux se retrouve dans "Jetzt = Jetzt" (2004), un bout d'une table de billard géante au tapis bleu et aux boules rouges et blanches. Alors que ce jeu suggère le mouvement des boules, celles-ci sont ici parfaitement immobiles. La tension entre l'action et l'inaction est exacerbée le mot "now" (maintenant) qui apparaît sur un petit panneau lumineux clignotant.

La dernière salle de l'exposition comporte deux œuvres qui démontrent une fois de plus les préoccupations de Su-Mei Tse par rapport au son et à la musique. Dans les deux photographies composant "Le musicien autiste" (1999-2003), l'artiste se présente en train de jouer du violoncelle en plein air au milieu d'herbes hautes. Des sortes de trompes en tissu relient l'instrument aux oreilles de la musicienne de sorte qu'elle semble ne jouer que pour elle-même. A ce titre, l'artiste paraît être en harmonie parfaite avec son instrument, complètement absorbé par la musique et le plaisir de jouer. "Sumy" (2001) est une cocasse paire d'écouteurs constitué de coquillages moulés dans deux blocs de résine. Cette œuvre renvoie à l'enfance (qui n'a pas écouté le "son de la mer" émanant des coquillages étant petit ?), mais aussi à la marque japonaise Sony et au nom de l'artiste.

L'exposition s'achève sur "Waiting Lovers" (2004), une installation composée de trois cactus auxquels on a arraché les épines. Le titre renvoie aux pétales de fleurs que les amoureux détachent une à une pour savoir s'ils sont aimés un peu, beaucoup, passionnément… En concluant la visite par cette œuvre, l'artiste semble demander au visiteur ce qu'il a ressenti tout au long de l'exposition, comme si elle voulait savoir comment elle est aimée par le public luxembourgeois. L'exposition présentée actuellement au Casino retrace le parcours de Su-Mei Tse depuis 1999 en une quinzaine d'œuvres seulement. Ce choix restreint permet un accrochage épuré qui a le mérite de bien mettre les œuvres en valeur. La plupart des vidéos, photographies et installations sont montrées pour la première fois au Luxembourg. L'artiste affirme avoir eu besoin d'un tel projet de vaste envergure pour établir un "après biennale". Mais Su-Mei Tse a le triomphe modeste. Depuis le Lion d'Or, elle a remporté l'Edward Steichen Award et son travail a été montré de Chicago à Athènes, en passant par New York et Anvers. Il était temps qu'une institution luxembourgeoise lui consacre enfin une exposition monographique.

Conjointement à cette exposition, le travail d'une autre jeune artiste, anglaise cette fois, est présenté dans le Project Room au rez-de-chaussée. Sophie McCorquodale, lauréate du prix d'encouragement The Crosby Homes Award (Manchester Art Gallery), présente trois vidéos, dont "Slayer Rules", un sorte de documentaire loufoque consacré aux fans du groupe de "speed metal" Slayer.
Sophie Richard-Reisen
Luxembourg, mars 2006
Su-Mei Tse
 
Yellow Mountain (2004, video) courtesy Tim van Laere Gallery, Antwerp

Su-Mei Tse, Sophie McCorquodale , Casino Luxembourg - Forum d'art contemporain,
41, rue Notre-Dame, L-2013 Luxembourg, jusqu'au 5 juin 2006, tél. : +352 22 50 45,
www.casino-luxembourg.lu
Catalogue à paraître au mois de mai 2006

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