"susciter l'envie, pour le public le plus large, d'acquérir des œuvres"
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Chaque année, chaque visiteur qui se rend à St'art y va de son commentaire plus ou moins éclairé, plus ou moins habile sur la création contemporaine. Mais n'est-ce pas parfois oublier l'objectif fondamental de St'art ? Comme l'exprime très clairement Olivier Billiard, le directeur artistique, il s'agit de "susciter l'envie, pour le public le plus large, d'acquérir des œuvres". St'art est indéniablement un moment commercial important, mais il n'est pas de commerce sans promotion, et dans le domaine artistique, la promotion devient relations avec le public et, pourquoi pas, événement culturel. Par la présence d'éditeurs (Rémy Bucciali, Jacqueline de Champvallins, Namy Caulier, Thinking Print, Art's Factory, Bergeron, Pop Gallery, Cimaise et La Parole gravée) et de nombreuses revues d'art, la librairie Kléber, des conférences… St'art devient de plus en plus un événement culturel à part entière (l'Opéra du Rhin et Le Maillon sont même partenaires) et la sélection des galeries retrace d'ailleurs assez bien l'histoire des mouvements contemporains… sans oublier la jeune création, naturellement. Tous les médias sont représentés – peinture, sculpture, dessin, photographie, vidéo, installation, performance et Studio Glass (la création verrière, à laquelle St'art est un des rares salons à accorder une réelle
place) – et les galeries sont pour moitié étrangères. De quoi avoir un panorama assez large et visiter en quelque sorte une immense exposition d'art contemporain. Le directeur artistique donne une cohérence à l'ensemble : éditeur du guide des galeries françaises (le Bill'art, baptisé ainsi par Ben), collectionneur passionné depuis trente ans, Olivier Billiard choisit les galeries depuis trois ans et quand on lui demande ce qu'est une œuvre, il répond : "il faut que l'œuvre interpelle, parle, y découvrir quelque chose de nouveau, qui touche le cœur ou l'esprit". La grande majorité du public vient pour voir, juste pour voir… craquera, craquera pas ? Pour remplir sa mission commerciale, avec le comité directeur composé aussi de marchands d'art, ils ont eu l'envie cette année de faire comprendre la démarche des collectionneurs. Par des tables rondes notamment : "Collections publiques, collections privées : sur quels critères établir une collection éclairée de verre contemporain ?", "Le collectionneur d'art contemporain face aux institutions", "La photographie : que collectionner devant cet afflux d'images ?","Pôles et systèmes d'enseignement de verre contemporain en Europe"… Il est clair que St'art veut valoriser à la fois le verre contemporain, la photographie et les collectionneurs. L'Esgaa, European Studio Glass Art Association, a donc été invitée pour la deuxième année à exposer des sculpteurs de verre originaires de toute l'Europe.
Madeleine Millot-Durrenberger
En ce qui concerne la photographie, hormis la présentation d'une selection des œuvres du Frac Alsace et du musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg, explicitant le positionnement de l'achat public, St'art a sollicité Madeleine Millot-Durrenberger, résidant à Strasbourg, l'une des plus importantes collectionneuses européennes de photographie contemporaine. Parmi le millier d'œuvres qu'elle a acquises de quelque cent artistes depuis vingt ans, elle exposera entre autres Valérie Belin, Dieter Appelt, Tom Drahos, Ton Huijbers, Michel Journiac, Pascal Kern, Jürgen Klauke, Jean Le Gac, Ernest Pignon Ernest et Joël-Peter Witkin. Elle se souvient de la première photographie qu'elle a achetée, qui présentait les Halles de Paris et date de 1980. Elle a été prise par un laotien, retourné depuis dans son pays. Comment collectionne-t-on ? "Il y a des collectionneurs qui collectionnent un thème, une époque, des belles images, moi, je collectionne des univers d'artistes, j'ai besoin de posséder plusieurs œuvres d'un même artiste. Quand on regarde ma collection, ce que l'on me dit et qui en ressort, c'est une certaine poésie. Chez moi, elles ne sont pas accrochées, mais je suis sollicitée pour quatre à cinq expositions par an, et quand c'est dans des écoles d'art, cela permet ainsi aux étudiants de voir directement des œuvres qu'ils ne connaissent souvent que par des catalogues. Ce qui m'intéresse, c'est toujours la rencontre, de montrer les artistes et de faire comprendre leurs démarches. Fidèle à mes choix, je continue pour le moment à étoffer ma collection d'œuvres des artistes que je possède déjà, mais c'est une étape. Et par ailleurs, je fais aussi des éditions de leur travail, ce qui est rare parmi les collectionneurs." Madeleine Millot-Durrenberger est une passionnée et dans le petit milieu de la photographie, elle est une des référentes, si bien que c'est à elle que le Frac a fait appel pour sélectionner ce qui sera exposé également à St'art. Dans ces deux cas, les œuvres ne sont pas à vendre, c'est bien juste pour le public.
Les Centaures
Mais d'autres collectionneurs invités, Les Centaures, ont une approche extrêmement différente, sans être moins passionnée. "Le nom de l'association fait référence à Picasso et au fait que nous ne voulions pas être plus que cent" dit Christian Forestier, l'un des quatre fondateurs. "Je collectionne des œuvres depuis l'âge de dix-huit ans, et lorsque j'ai voulu ouvrir une galerie, j'ai cherché un système différent autour de la galerie pour sensibiliser les collectionneurs. Pendant dix ans, j'ai dépensé 150 000 francs par an à soutenir les artistes, et grâce au critique d'art bien connu Pierre Cabanes, qui a retrouvé les statuts de La Peau de l'Ours, Les Centaures sont nés. Fondée en 1904 par André Level et quinze collectionneurs pour promouvoir et soutenir les jeunes artistes, La Peau de l'Ours achetait collectivement des œuvres, pour pouvoir à la fois en jouir en faisant en sorte que chacun en ait une chez lui et qu'elles tournent, à la fois de revendre la collection dix ans après, et de reverser une commission aux artistes. En 1914, La Peau de l'Ours a ainsi vendu des œuvres de Picasso, Matisse, Utrillo, etc., dont les prix se sont envolés. Avec les Centaures, depuis 1994, nous faisons de même. Nous sommes cinquante-sept et possédons quatre-vingt œuvres achetées grâce aux cotisations de chacun (40 euros mensuels). Chaque année, nous nous redistribuons les œuvres, par tirage au sort." Cette forme de mutualisation permet à chacun d'être un peu propriétaire de toute une collection. C'est un fonctionnement alternatif qui ne manque pas d'originalité et va, au final, dans le sens du soutien aux artistes. À St'art, les Centaures présenteront une partie de leur collection, très instructive sur les choix que peut faire un groupe d'individus passionnés. À St'art, si les prix des œuvres les plus élevés dépassent les 150 000 euros, certaines commencent à 500 euros. Si le cœur vous en dit et que vous voulez ressentir le plaisir de posséder une œuvre d'art, questionnez les collectionneurs, rencontrez-les, et tant qu'à faire, parlez avec les galeristes de leur métier, pas si mercantile qu'on peut le penser. Et si vous n'y allez que pour le plaisir de comprendre, questionnez-les et rencontrez-les aussi…
Arnaud Weber, Collectif Insight Strasbourg, janvier 2005 en partenariat avec
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