Tony Soulié : transmettre sans dire
L'œil excessif
 
 
Photos-peinture
Installations
portuaires
Pensée
picturale
Tony Soulié
 
 
Cent vingt huit pages de photos-couleur pleine page, de photos-peinture qui suggèrent plus qu'elles ne montrent, des images qui entraînent l'œil vers des voyages intérieurs quand des traînées rouges écarlates balafrent un présent noir de ferrailles en ruines. On y devine les traces sombres d'un passé révolu, celui d'installations portuaires démantelées, des lieux de vie qui il y a quelques années encore - de la brume marine au petit matin jusqu'au rougeoiement crépusculaire - résonnaient du grondement des machines et du grouillement des hommes au travail.

Quais de Nantes et de Saint-Nazaire qu'écharpent des traînées rouges sang, fulgurantes et flamboyantes, à l'image des blessures de l'histoire.

Depuis plusieurs années Tony Soulié mêle intimement sur la toile projection photographique et gestuelle picturale, cette dernière ôtant à la reproduction du cliché la lisibilité de son cadrage et de sa finitude.

Dans les années soixante dix, des peintres hyperréalistes ont projeté sur la toile des reproductions photographiques comme un canevas à peindre, à la manière des cahiers de coloriage pour enfants. La démarche de Tony Soulié est toute autre. Sur la représentation factuelle d'une réalité conjuguée au présent - celle des quais déserts - les balafres écarlates débordent le cadre du cliché pour l'ouvrir sur un espace sans limite s'appuyant sur l'intemporalité d'une revivance de souvenirs enfouis. Une dramaturge sans mots, juste des images floûtées et des traînées de pigments pour évoquer des combats perdus et des remords, des douleurs mais aussi l'ivresse du vent et l'appel du grand large.

Peintre atypique dans sa génération où se bousculent tant de bavards égocentriques préférant oublier toute référence à l'histoire (qu'elle fusse nationale ou artistique), quand l'institution culturelle au plus haut niveau récompense la seule recherche d'incongruité et labellise trop souvent de faciles procès de mise en dérision comme système de production, Tony Soulié ose, à la manière des anciens, s'aventurer dans une quête d'expression plastique porteuse d'une pensée picturale. Si au fil des siècles, les sujets et les outils des peintres ont changé, il n'en demeure pas moins chez quelques élus de l'exigence, la persistance d'une communauté d'esprit traçant un lien entre hier et aujourd'hui. Parmi les générations précédentes Olivier Debré fut de ceux là, partageant cette préoccupation de transmettre sans dire, une idée de paysage lumineux ou de ressusciter sans démagogie militante des souvenirs qui pouvaient être douloureux.

Grâce à une mise en page intelligente, le livre se parcourt comme un espace d'exposition. Pour les amoureux de Nantes et de Saint-Nazaire, une huitaine de pages intitulées "carnet de route" évoque le passé des deux villes, les nombreuses rencontres littéraires et artistiques qui s'y déroulèrent : Sand et Flaubert, Caillebote et Max Ernst.
Liliane Touraine
Paris, novembre 2005

Tony Soulié. L'œil excessif, Entre Loire et Océan.
Editions Joca Seria 2004, 77, rue de la Bourdonnais 44100 Nantes,
jocaseriaeditions@wanadoo.fr
Coédité par le centre d'art de la Rairie et la maison de le culture de Loire Atlantique. Isbn 2-84809-030-8. 45 euros.

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