Si loin, si proche : la donne commune



Emma Kay

A l'évidence,















il n'y a pas















de perspectives















sur le proche















sans prise















de recul



Quelle est cette distance abyssale qui sépare le proche et le lointain ? Les artistes sont-ils réunis au domaine de Kerguéhennec pour effectuer des mesures, donner le pouls de l'attente, de la séparation de nos proches, alors si loin ? Défroissent-ils les plis du lointain pour nous les rendre plus proches ? Se glissent-ils là ou les autres ne vont ou ne voient plus ? Aux frontières des villes, des terrains vagues à l'image de la cartographie d'Amsterdam par Lara Almarcegui. Frédéric Paul, directeur du Domaine, a lancé l'invitation, le thème aussi, mais il se méfie de lui-même, des failles illustratives qui peuvent conditionner l'exposition thématique à l'ère contemporaine. Symptôme de notre temps, la patte ou le pouvoir catalyseur de certains commissaires d'exposition ou directeurs de centres culturels ne peut que difficilement être niée. C'est cependant avec humilité qu'est abordé le thème dans les communs (sic) du château XVIIIème de Kerguéhennec. A l'évidence, il n'y a pas de perspectives sur le proche sans prise de recul. Recul que s'impose Frédéric Paul.



Aleksandra Mir

S'il y est une trame elle réside peut-être dans l'essence subjective de notre vision du proche et du lointain. C'est cette oscillation personnelle qui est alors en commun. Par jeu, on pourrait être pris de l'envie d'interchanger le titre de l'exposition pour voir si cela fonctionne encore. Il serait alors : notre matière commune. Ainsi du parapluie d'Aleksandra Mir pouvant réunir sous sa toile jusqu'à 16 personnes, structure mobile en attente que coule la pluie et la discussion si commune sur le temps, mauvais ou beau. Les travaux admirables et captivants d'Emma Kay happent notre regard et vrillent notre cerveau. Comment celui-ci s'empare du souvenir ? Comment est-il restitué ? Traitement plastique que nous aurions envie de soumettre à un chercheur en science cognitive. Elle dessine de mémoire la carte du monde nous donnant à voir sa "mental map" dont parle les urbanistes. La France s'enfle sous nos yeux alors que l'Angleterre se rapetisse, l'Algérie perd toute ouverture sur la mer… Mémoire personnelle, il semblerait qu'elle apprécie les villages de la côte d'azur au point de les élever au rang de métropoles mondiales. Mémoire commune aussi, les pays du commonwealth semblent trouver des contours plus proches de leur réalité géographique. Maurice Halbwachs eut aimé décortiquer cette étrange carte rappelant les observations laborieuses des premiers découvreurs. Emma Kay torture ses connections neuronales pour mieux faire vaciller la notion bientôt sacrée d'objectivité.
Etienne Pressager, lui, se promène, illustrant son autofiction d'aquarelles annotées dont la dilution nous imprègne, conscience d'un temps que nous aurions pu partager. Les micros interventions urbaines de Didier Courbot s'insèrent dans la ville. Peut être cherche t-il à rétrécir la distance malheureuse entre la société civile et la sphère politique en s'immiscent, tel un coin à fendre, dans les failles de l'urbain.



Anne Daems

Le thème est aussi abordé de façon spatiale mais sans que ceci implique un rétrécissement idéal à l'instar de cette photographie de Gabriel Orozco. Elle montre en arrière fond la presqu'île de Manhattan, les twin towers scandant encore la skyline new-yorkaise. Au premier plan, l'artiste a recomposé avec des objets épars, trouvés sur le site, une maquette imparfaite de ce que l'on voit au fond. Deux mondes séparés réunis par l'artifice d'une perspective rendant les échelles similaires ; ce que l'on croit proche… Quid du prochain ? Tu l'aimeras, conseil divin et extra-terrestre donné dans les très vieux livres. Ici gisent les failles de la double définition ; le prochain est-ce le premier être croisé sur notre chemin ou est-ce celui connu a priori ? L'exotisme est juste là, le palier passé. Anne Daems photographie des scènes prises dans le quotidien, mais l'humain toujours présent dans le cadre refuse notre sens commun. De dos, perdu dans ses pensées, attendant l'imprévisible dans des endroits improbables ou encore se livrant à des actes perçus au départ comme anodins, irrationnels par la suite. Dans une autre vue, un homme surgit de nulle part pour émerger dans la touffeur d'un jardin. A la question de la mise en scène, l'artiste répond non. Fonctionnant comme des images, on craint pour ces êtres qu'ils ne se fracassent contre les limites du cadrage photographique. Un des angles de la proposition de Vika Tandberg se concentre sur le patrimoine génétique commun, celui non choisi de la famille. Elle inscrit numériquement des extraits physiques de son père dans son propre portrait. Elle se saisit de ses postures et revêt ses vêtements, un peu trop grands, certes, pour être les siens. Autant d'indices qui sèment le trouble. La famille exacerbant sans doute ces notions de proche et de lointain. La société nous recommande, en effet, d'aimer ce noyau premier. Ils sont nos proches.
Harell Fletcher soumet les notions à ses amis pour réaliser dix affiches annonçant l'exposition. Générosité discrète pour une démarche efficace et sans sensiblerie rappelant celle de la compagnie chorégraphique australienne DV8 Physical Theatre dirigée par Llyod Newson.



Gabiel Orozco

Les univers déployés à Kerguéhennec fonctionnent, loin d'une magnificence artificielle, comme des aimants. Ils magnétisent ou éloignent, jouant de vos choix et de vos considérations sur les oeuvres. Il reste à mesurer à l'aune de votre écho là où tend votre intérêt. Et l'intérêt rétrécit les distances, c'est alors que Kherguéhennec n'est pas si loin.

Hugues Jacquet
Paris, février 2004

Le proche et le lointain, Near and far :
Domaine de Kerguéhennec, Centre d'art contemporain, 56500 Bignan, tél. : 00 33 (0)2 97 60 44 44,
du 31 janvier au 28 mars 2004,
www.art-kerguehennec.com, info@art-kerguehennec.com

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