Évolution
Formes multiples
Rose
Devenir
Détourne
|
L'exposition de Corinne Sentou est une exposition pas comme les autres : elle donne et se donne le temps. C'est une exposition en évolution, une création continuée de formes de sons et de couleurs, étalée sur plusieurs mois. Au fur et à mesure de l'exposition, de nouvelles uvres apparaissent : la question du devenir et du temps est centrale dans l'uvre de cette jeune artiste.
Ici elle nous présente une installation réalisée en fils plastiques peints et intitulée "Le peigne", une autre installation au centre de la galerie présente un volume de sphères assemblées réalisées avec les mêmes matériaux (Les sphères I, Les sphères II, Les sphères III, Les sphères IV), et enfin sur le mur une série de dix dessins (Feutre, découpage et crayon sur papier). A cet ensemble, l'artiste vient d'ajouter une pièce sonore, qui comme une goutte d'eau nous rappelle le temps écoulé.
Ce discours d'ordre métonymique sur le devenir s'inscrit dans une réflexion sur l'importance du faire dans la démarche artistique. L'uvre "Le peigne", nous rappelle à la fois la jouissance des fils qu'enfants nous assemblions en "scoubidou" et l'importance du geste de celui qui démêle et coiffe ses cheveux, autres fils en devenir. Qu'il s'agisse de fils plastiques, de perles ou de formes découpées et répétées, nous sommes sans cesse dans cette multiplicité, seule condition de notre devenir.
Gilles Deleuze définissait le désir comme un agencement de quatre éléments : l'énoncé, le style, le territoire et la déterritorialisation.
Corinne Sentou est aussi dans cette problématique de l'agencement, et du désir. Du rose omniprésent aux dessins-découpage, elle parcourt le territoire de notre modernité, inventorie les formes du temps, construit sans cesse en découpant, pliant, peignant ou dessinant. Elle redonne à voir l'espace et le temps comme condition de notre sensibilité, et propose un nouveau territoire à travers des uvres en devenir aux formes multiples. Son livre de dessins qui réunis plus de trois cents dessins et découpes est emblématique de cette multiplicité, de ces devenir-femme, devenir-goutte, devenir-sphère, devenir-peigne...
Devenue une véritable catégorie esthétique dans la création contemporaine de la génération de Corinne Sentou (née en 1964), la couleur rose fait partie intégrante de son travail. On ne compte plus les catalogues du monde de l'art contemporain qui s'emparent de cette couleur avec ou sans ironie, ou le nombre d'artistes qui se sont emparés de ce référent en en jouant avec finesse et dérision. Citons l'emblématique uvre du peintre Philippe Mayaux dans laquelle la couleur rose, anagramme d'Eros, devient emblématique d'une peinture du désir. Corinne Sentou a du reste récemment participé à la manifestation Le BHV inspire les artistes, dont nous pouvions voir la grande campagne d'affiche rose dans le métro et à l'exposition Psyclom-clom epidémik rose aux Abattoirs de la ville rose, où elle expose une pelote en fibre optique....
De Duchamp à Joel Hubaut, en passant par Philippe Mayaux ou Guy Lemone et son jaune, Fabrice Hybert et son vert, on voit à quel point la couleur et la peinture sont aujourd'hui bien au centre de démarche contemporaine même si cela prend des formes hybrides.
A sa manière Corinne Sentou détourne la couleur rose et ses avatars : du collier de perle rose (1999), à l'installation avec trois mille polystyrène extrudé rose, en passant par son catalogue Usual place, du rose pour les filles à la Panthère rose, l'artiste interroge la pratique féminine des pénélopes artistes.
Enfiler des perles (collier de perle 1999), peindre en rose des fils, (fil plastique peint, 2000), réaliser des pliages (installation en polystyrène extrudé) et autres travaux manuels... qu'est-ce que cela véhicule encore aujourd'hui dans nos mentalités ? On ressent derrière cette uvre aux aspects tranquilles, une violence contenue quant au discours normé sur le geste artistique et la place de la femme artiste.
Cécile Marie
|