Beckett, l'art de rien, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Beckett, l'art de rien
 
 
Le Centre Pompidou à Paris dans la lignée des expositions consacrées ces dernières années à des écrivains (Cocteau, Barthes…) propose un parcours qui réunit un ensemble d'archives sonores et visuelles autour de l'œuvre de Samuel Beckett. À cela s'ajoute une mise en regard instructive d'œuvres plastiques contemporaines dont l'inspiration puise à la source de l'univers nihiliste du dramaturge.

Cet irlandais de souche exilé en France dont il a fait sa terre d'accueil, et d'écriture — allant jusqu'à écrire et se traduire lui - même en français — est un romancier et dramaturge qui se prête a priori assez mal aux longs discours. Exposer en effet un homme du non-dit de la parole qui conçoit d'abord l'écriture comme une expérience d'ignorance et d'impuissance relève donc d'une gageure. Pas moins figurable que Beckett en effet, qui n'a jamais voulu non plus laisser enregistrer son image et sa voix. Cet homme né en 1906 à Foxrock au Sud de Dublin dans une famille protestante, suit jeune homme des études de littérature au Trinity College et se retrouve à Paris comme lecteur d'Anglais à l'École Normale supérieure. C'est à Paris qu'il fait d'ailleurs la connaissance de son compatriote James Joyce dont il se sera le secrétaire particulier pendant un temps. Au terme d'une errance houleuse entre Dublin et Paris, c'est en 1937 qu'il s'installera définitivement en France.
Ça va être

le silence

là où je suis,

je ne sais pas,

je ne le saurais

jamais
Samuel Beckett
 
Sean Scully, Beckett, 2006
© collection particulière - Courtesy galerie Lelong
 
 
Du langage

Dans la littérature Beckett fore des trous, s'intéresse au sous-sol, traverse la langue en écrivain hivernal, désespéré et néanmoins près à y laisser sa trace fût-elle la plus noire.
Avec pour obsession le silence à l'intérieur même de la parole, c'est en musicien de l'écrit qu'il brise la surface sonore des mots et des phrases. "Ça va être le silence là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurais jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer". écrit-il dans L'innommable dernier volet après Molloy et Malone meurt de son triptyque romanesque écrit en français. Une parole qui s'épuise finalement de se dire, et qu'un Robert Ryman présent dans l'exposition traduit quant à lui en peinture par une impossibilité à peindre ; une peinture sans peinture, blanche, économe de moyen, au service de la passion du moindre. Beckett écrira en ce sens de son ami l'artiste hollandais Bram Van Velde, en qui il reconnaît un frère "Est peint ce qui empêche de peindre".
 
 
Samuel Beckett
 
Claudio Parmiggiani, Polvere, 1998
Collection Frac Bourgogne - Don de l'artiste en 1998
 
 
Minimalisme

Si la prose de Beckett impose un réductionnisme maximal du verbe et de son expression, on ne s'étonne donc pas de voir égrener dans cet hommage en forme de cénotaphe, les recherches d'un Sol Lewitt ou d'un Bruce Nauman. Les Geometric Figures and Color de 1979, sont un des contrepoint aux lignes épurées des projections au sol de Arena Quad I et II films réalisés par Beckett pour la télévision allemande en 1981. Des figures forment alternativement des trajectoires conjonctives et disjonctives, qui rapproche Beckett des expérimentations des vidéastes conceptuels qui chorégraphient volontiers l'espace. La vidéo Slow Angle walk, Beckett Walk (1968) de Nauman fait également directement référence à l'œuvre de l'écrivain et s'attache à filmer les mouvements faits de vides et de pleins à l'instar de l'écriture de Beckett déployée selon des logiques formalistes mais néanmoins concrètes. Paul Mc Carthy qui questionne encore autrement les limites du corps pris aux rets de la contrainte et des excès du geste, trouve aussi droit de citer au côté du dramaturge. Black and White tapes, 1970-1975, où un homme rampe épuisé dans la peinture, retrouve le registre de la physicalité exténuée des récits de Beckett. On pense à ces personnages se mouvant à raz de bitume, ou alors vivants enterrés dans des jarres ou des poubelles. Des hommes aux prises avec un dénominateur commun : la possibilité de leur déplacement dans l'espace et leur incapacité à l'accomplir ; des actions basiques qui demeurent empêchées par une indécision constitutive. Un des thèmes récurrent de Beckett, que les dessins de crânes suturés d'un des tenants de l'Arte Povera : Giuseppe Penone accompagnent intelligemment, figurant à la suite de l'écrivain que toute vie humaine est tournée vers sa ruine et son extinction.
 
 
Samuel Beckett
 
Jean-Michel Alberola. Rien, 1995. Photo: Florian Kleinefenn
© collection particulière - © Adagp, 2007
 
 
Scènes et images

C'est avec En attendant Godot — que le tableau : Deux hommes contemplant la lune du peintre romantique allemand Caspard David Friedrich aurait inspiré— que Beckett fait son entrée dans la vie théâtrale. Un pari risqué et une réception d'abord mitigée pour une pièce que monte le premier Roger Blin en 1953.
"Maximum de simplicité et de symétrie. Lumière aveuglante". Voilà une petite idée de l'espace théâtral voulu par Beckett. On redécouvre au Centre Pompidou filmés et archivés, la plupart de ses pièces précises et absurdes qui ont fait date en France, en Angleterre et en Allemagne : Oh les beaux jours ! avec une Madeleine Barrault en Winnie prisonnière de son tertre, En attendant Godot avec Michel Bouquet, Rufus et Georges Wilson en bande de pieds nickelés déconfits et d'autres dont les mises en scènes de Beckett lui-même avec notamment la troupe du Schiller Theater de Berlin. Mais ce qu'on sait moins, c'est que le dramaturge est aussi l'auteur d'un film avec Buster Keaton (Film, 1963) que l'on peut voir dans ce parcours. Un film burlesque d'après la doctrine philosophique de Berkeley : "Être c'est être perçu", dont on comprend qu'elle ait plu à Beckett connaissant son goût pour les constructions intellectuelles abyssales. La dernière salle d'exposition nous plonge pour finir dans la pénombre où peut s'entendre la voix de Michaël Lonsdale nous lisant de courtes proses en français et en anglais, et la voix de Beckett, dont c'est le seul enregistrement, chuchotant à l'oreille du visiteur le poème : Lesness côte à côte avec un dessin de Claudio Parmiggiani Silenzio. Une rencontre à partir d'une poétique des contraires comme aimait à les provoquer Beckett.
Raya Baudinet
Paris, juin 2007
paru dans Artenews N° 37 mai 2007
Samuel Beckett
 
Samuel Beckett pendant une répétition de En attendant Godot, 1961
© photo Roger Pic.
© Département des Arts du Spectacle. Bibliothèque nationale de France

Samuel Beckett, Centre Georges Pompidou, Paris, du 14 mars au 25 juin 2007, www.centrepompidou.fr

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