Depuis le 16 mars, la galerie Art & Essai de l'université Rennes 2 accueille l'exposition Martha Rosler "Sous les pavés…/Under the cobblestones…" Au-delà de la découverte de l'œuvre d'une artiste engagée et porte-drapeau de la contre-culture américaine, cette monographie propose aussi une relecture de la problématique du droit au logement et des conditions de vie en milieu urbain par douze étudiants en master métiers et arts de l'exposition. Une belle rencontre sur fond d'actualité sociale perturbée, qui lève le voile sur une démarche artistique guidée et animée par l'activisme et la contestation.
conception de l'art comme pratique sociale : militante engagée… |
"Housing is a Human Right". Animation sur panneau lumineux, Times Square, New York, 1989.
Photogramme extrait de la vidéo. Collection de l'artiste
Martha Rosler, née en 1943 à Brooklyn, figure parmi ces artistes engagés qui n'ont de cesse de révéler et dénoncer les dysfonctionnements de la société, d'en démonter les structures. "Ma démarche est celle de faire un art qui mettrait en lumière les questions souterraines, comme la façon dont nous vivons nos vies, ou la manière qu'ont les Etats-Unis de gérer les affaires en notre nom", explique-t-elle dans un entretien avec l'historien d'art Benjamin Buchloch. Son œuvre témoigne ainsi d'un engagement citoyen. Elle est le fruit d'une démarche politique, dialectique et critique entamée dès le début des années 60. Féministe, pacifiste, Martha Rosler est connue pour avoir dénoncé avec violence, et surtout une virulence plastique toute singulière, les stéréotypes féminins tout comme l'impérialisme et le libéralisme à tous crins. Cette multi-activiste décline une œuvre politique pionnière, quand l'art, dans les années 70, se "dé-définit", se "dés-esthéticise" (Harold Rosenberg) et perd ses composantes de plaisir et de beauté. A travers l'œuvre de Martha Rosler, à travers cette relation à la société, se manifeste en effet sous une forme très aboutie, la figure hégélienne de l'art comme révélation d'une figure de l'esprit.
Très vite, Martha Rosler délaisse la peinture et s'empare de médiums les plus à même d'aller vers le public et d'exprimer ses colères dans des créations protéiformes entre art et contestation. Cette infatigable militante récupère les images médiatisées qu'elle introduit et met en scène dans des collages et autres photomontages. Elle investit aussi les univers quotidiens qu'elle détourne dans des installations et des vidéos-performance. Elle pratique surtout à l'envi la photographie plasticienne qui devient un lieu naturel du trouble de la représentation. Sa stratégie est celle de l'écart sémantique, ses armes plastiques sont de véritables "outils de guérilla". "If You Lived Here…", 1989. Exposition à la Dia Foundation, New York
Photographies, documents de presse, statistiques, vidéos, projets artistiques…
Les années ont passé, mais ses combats, ses luttes n'ont en rien varié d'un iota. Le travail de Martha Rosler reste inlassablement à l'affût et à l'écoute de l'actualité, comme le montre l'exposition avec la série de photomontages "Bringing the War Home" (2004). Lors de la guerre du Vietnam, Martha Rosler brouillait déjà les pistes en intégrant des images de conflit dans les photographies d'habitations cossues. Trente ans plus tard : même scénario. La guerre en Irak a fait rage : des intérieurs design s'ouvrent alors sur des scènes de guerre, cuisine et torture se côtoient, les soldats débarquent dans le salon. On l'a compris, Martha Rosler n'a pas fini de déstabiliser le regard établi. Quelle que soit la problématique. Sur celle des relations au pouvoir qui structurent l'espace urbain, ses photographies montrent des lieux publics, des zones de transit, des "common places", de vastes architectures où le corps social ne peut plus avoir d'emprise. Dans "In the Place of the Public : Airport Series "(depuis 1990), elle adopte donc le point de vue du passager, du voyageur, pour évoluer dans un environnement technologique, impersonnel et entièrement contrôlé.
Exposition à la galerie Art et Essai de Rennes 2
Sur le thème de la précarité sociale, elle intervient encore à coups d'installations et de créations sans équivoque. Avec l'animation "Housing is a Human Right" (1989, vidéo d'1 minute environ), diffusée pendant six mois sur un panneau lumineux de Times Square à New York, elle a offert une très grande visibilité aux problématiques du logement au cœur même du royaume de la consommation à outrance. Enfin, au centre de la galerie universitaire - comme pour mieux souligner la collaboration et les échanges établis entre les jeunes commissaires et cette artiste chercheur - prend place l'installation "If you live here…". Il s'agit en fait d'un dispositif alternatif avec de la documentation sur les questions de l'habitation et du droit au logement déjà décliné en 1989 à la Dia Foundation, à New York. Il a été "réactualisé", ou plutôt mis au goût du jour par les étudiants rennais. Ils ont confronté "If you live here…" au contexte français et à son actualité. Comme Martha Rosler, quinze ans plus tôt, ils sont donc allés à la rencontre des associations qui interviennent auprès des personnes en difficulté. Comme Martha Rosler, ils ont adopté une conception de l'art comme pratique sociale : militante et résolument engagée…
Exposition à la galerie Art et Essai de Rennes 2
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Martha Rosler, Sous les pavés…, Galerie Art & Essai, Université Rennes 2, du 16 mars au 21 avril 2006.
Publication de la monographie Martha Rosler aux Presses Universitaires de Rennes dans la collection "Métiers de l'exposition"
Acquisitions Collection Frac Basse-Normandie exposée du 29 mars au 23 avril 2006
Martha Rosler, Knut Asdam, Damien Deroubaix, George Dupin, Gloria Friedmann, Jean-Luc Verna
Frac Basse-Normandie, 9, Rue Vaubenard, 14000 Caen
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