Des œuvres
pensée
de manière
percutante
Manière
intelligente
d'agencer
Belle leçon
de muséographie
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Perché sur une colline dans les alentours de Turin, le Castello di Rivoli - Museo d'Arte contemporanea renferme une prestigieuse collection d'art actuel.
Le Castello, situé à l'entrée de la vallée de Susa, était à l'origine une fortification du XIIIe siècle appartenant à la famille de Savoie, qui l'utilisait comme résidence secondaire. Différents remaniements au XVIIe et au XVIIIe siècles menèrent à un imposant bâtiment baroque, qui cependant resta inachevé. En 1883, la famille de Savoie vendit le Castello à la municipalité de Rivoli et le bâtiment fut alors utilisé pour loger des contingents militaires.
A partir de 1961, le château fit l'objet de multiples projets de restauration, mais ce n'est qu'en 1979, sous la direction de l'architecte Andrea Bruno que les travaux commencèrent. A cette époque, la région du Piémont décida d'utiliser le Castello de manière plus judicieuse et d'en faire un musée d'art contemporain, qui finalement ouvrira ses portes en 1984.
Bruno choisit d'utiliser des matériaux nouveaux - métal, verre et béton brut - pour pourvoir l'ancien bâtiment d'espaces utilitaires. Les interactions entre l'ancien et le récent aboutissent à des résultats surprenants.
Les deux bâtiments du château – l'édifice principal et le "Manica Lunga" - sont séparés par une cour. Au milieu de cette cour, qui sert en quelque sorte d'entrée, est suspendu le "Paolo Uccello" (1450-1989), une structure géométrique et métallique réalisée par Luciano Fabro. A travers des "spectacles du vide" comme celui-ci, l'artiste aime s'approprier et détourner l'histoire de l'art, ici, un peintre italien de la Renaissance.
La variété des espaces du bâtiment principal présente un cadre particulier pour l'exposition de l'art contemporain. Le parcours s'étend sur une quarantaine de salles. L'immense hall d'entrée, dégagé de toute structure a été pourvu d'un escalier métallique suspendu. La hauteur des murs permet de présenter des œuvres de grande taille comme "Life" (1984), vaste tableau (4,2 x 2,5 m) de Gilbert &George.
Au fil des salles sont présentées des peintures, sculptures et autres installations des plus grands artistes contemporains, des années 50 à aujourd'hui. Dans la première salle, un grand cercle de pierre, "Romulus Circle" (1994), de Richard Long nous accueille. A cette structure disposée sur le sol répond au mur "Rivoli Mud Circle" (1996), dessin de boue in situ.
Plus loin, en passant par Bruce Nauman ("Henry Moore bound to fail", 1967), Sol Le Witt, Anselm Kiefer ou encore Claes Oldenburg, on aboutit dans une salle consacrée à l'art minimal. Carl Andre, Robert Morris et Dan Flavin, avec son "Monument 12 for V. Tatlin" de 1964, y sont exposés. La "pièce de lumière" de Flavin, œuvre en tubes de néon blanc disposés selon une progression mathématique, est dédiée à l'artiste constructiviste russe Vladimir Tatline.
La disposition des œuvres est pensée de manière percutante. Plusieurs réalisations d'un même artiste ou bien des œuvres d'artistes différents sont judicieusement mises en relation. Les objets s'enrichissent mutuellement et bénéficient de grands espaces qui les laissent respirer. Ce subtil accrochage permet à l'œuvre de se déployer et de prendre possession de la salle dans laquelle elle se trouve.
Les décorations intérieures, de belles fresques et des stucs délicats, ont été maintenues dans leur état d'origine. Ces travaux, réalisés au XVIIe siècle par des artistes comme Filippo Minei ou Pietro Somasso, témoignent de la richesse des arts à la cour du Piémont. En même temps, ces décors baroques forment un cadre très intéressant pour la présentation de l'art contemporain. Le "Novecento" (1997) de l'Italien Maurizio Cattelan en bénéficie largement. Il s'agit d'un cheval brun empaillé suspendu par la taille au milieu de la voûte d'une pièce richement ornée au XVIIIe siècle de putti, d'emblèmes militaires et de bustes antiques en marbre. Ce cadre baroque et cette œuvre d'art contemporaine forment un mélange détonnant.
Le dernier étage du bâtiment principal comporte des salles beaucoup plus sobres qui accueillent une partie des expositions temporaires. Une présentation de photographies issues de la collection du musée permet au visiteur de découvrir par exemple un ensemble original d'Edward Ruscha, "Parking Lots" (1967-1999). Une trentaine de clichés en noir et blanc représentent des parkings vus d'avion. Dépourvus de voitures, ces espaces quadrillées de lignes blanches apparaissent tels des compositions abstraites de formes et de tailles différentes en fonction du terrain. Conséquences d'une intense activité urbaine, ces architectures anonymes de notre quotidien paraissent fort étranges sans présence humaine.
Le photographe Raymond Depardon a parcouru toute la région du Piémont et en a ramené de très belles images en noir et blanc. La boutique d'un fabriquant de vin local, le silence de petits villages, les faubourgs de Turin, les vieilles églises baroques, Depardon nous livre en 75 clichés un abrégé de ce qui fait le charme désuet de cette région italienne.
La présentation de ces photographies au dernier étage du Castello est très réussie, puisque ces salles d'exposition offrent au visiteur une vue imprenable sur la ville de Rivoli et sur ses alentours, Turin et les chaînes de montagnes des Alpes. L'emplacement élevé sur lequel se trouve le musée ajoute résolument du charme à la visite.
A la sortie de ce niveau, un passage métallique permet de passer sur un ensemble de voûtes du XVIIIe siècle. Toujours au dernier étage, un passage inachevé aboutissant dans le vide a été conservé dans son état d'origine, prolongé cependant d'une structure en verre. De cette sorte de balcon couvert on peut observer le deuxième bâtiment du Castello.
En face du bâtiment principal, de l'autre côté de la cour d'entrée se situe en effet le "Manica Lunga" (manche longue) qui tient son nom de sa forme longitudinale. Ce bâtiment fut construit au XVIIe siècle afin d'abriter la collection de peinture du Prince Charles Emmanuel Iier. Restauré entre 1991 et 1998, les différents services du musée s'y trouvent : la cafétéria et le restaurant, le centre de conférence et de congrès, la bibliothèque et la librairie.
Le troisième étage du "Manica Lunga" accueille un vaste espace d'expositions temporaires dans lequel est présenté actuellement le groupe de design turinois Gufram. L'association, spécialisé dans le design de chaises, créa la collection "Multiples" dédié à la réalisation de modèles significatifs, mais ne pouvant être réalisés en grand nombre. Une sélection de cet ensemble, avec des modèles datant de 1967 à 1976, accompagné par une bande son de musique rock (Jimi Hendrix, Rolling Stones), est présentée au Castello.
Une des réalisations les plus connues de Gufram est "Bocca (Hommage à Dali)", un moelleux canapé rouge vif en forme de lèvres, datant de 1971. "Cactus" fut réalisé en 1972 par Guido Drocco et Franco Mello. Cette plante du désert, dépourvu de toute épine et réalisée à taille humaine forme un original porte-manteau vert foncé.
Le Castello di Rivoli – Museo d'Arte contemporanea est de par son architecture et son emplacement un site particulièrement réussi pour la présentation de l'art contemporain. La richesse du Castello ne réside pas seulement dans la qualité des œuvres qu'il présente. Elle se situe également dans la manière intelligente d'agencer les objets d'art afin de les mettre en valeur. Une belle leçon de muséographie.
Sophie Richard, Paris, septembre 2002
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