Rétrospective picturale de Gerhard Richter
 
 
Depuis plus de 10 ans, aucun musée européen n'avait consacré une exposition d'envergure à cet artiste allemand qui, depuis les années soixante, réinvente sans cesse la peinture.
photo-peintures

figuration

abstrasction

toiles
réalistes

le réel
et la couleur
Gerhard Richter
 
Gerhard Richter, Vue de l'exposition avec "Acht Grau (Huit Gris)", 2002, verre gris émaillé et acier (© Gerhard Richter)
 
 
Gerhard Richter (né en 1932) effectue sa formation artistique à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, dans ce qui est alors encore l'Allemagne de l'Est. Après ses études, il y enseigne le dessin et jouit d'une relative renommée en tant que peintre. En 1961, il franchit le rideau de fer et s'établit à Düsseldorf, à l'extrémité Ouest de l'Allemagne de l'Ouest. Afin de faire la connaissance d'autres artistes et de se distancer de la formation idéologique qu'il a reçue, Richter s'inscrit à la Kunstakademie (1961-1963). Il y fait la rencontre déterminante de Sigmar Polke et de Konrad Fischer-Lueg, qui deviendra par la suite un galeriste de renom.

Pour l'heure, ces trois peintres allemands, rejoints par Manfred Kuttner, forment une sorte de jeune communauté artistique. Ils sont marqués par le Pop Art américain et organisent eux-mêmes leurs expositions dans des lieux insolites. En 1963, la "Démonstration pour le réalisme capitaliste" exécutée par Richter et Fischer-Lueg dans un magasin de meubles de Düsseldorf, marque le point culminant d'une réflexion sur deux cultures qui s'opposent alors, le capitalisme et le communisme.

Dès le début des années 1960, Richter peint des toiles d'après des reproductions photographiques, sans pour autant faire de l'hyperréalisme. Dans des toiles comme "Sekretärin (Secrétaire)" (1964), les personnages en noir et blanc apparaissent comme s'ils étaient vus à travers une vitre embuée. Les contours sont flous, comme prolongés au-delà de leurs limites. Richter peint d'après des photographies journalistiques ou des clichés d'amateurs, mais la réalité est comme niée par ce procédé de distanciation. Dès lors, les images peintes sont elles réelles ou rêvées ?

Richter applique le même procédé de "photo-peintures", dans des tableaux ne montrant qu'un détail d'une image. La composition de "Tote (Morts)" (1963), ne laissant apparaître qu'une partie de la reproduction et de son titre, ne fait que suggérer l'ensemble de la photographie et donc du réel.

D'emblée Gerhard Richter s'adonne à la figuration et à l'abstraction. Son abstraction est tantôt gestuelle ("Stadtbild F", 1968), tantôt en aplat ("Zwei Grau übereinander", 1966). La couleur grise y est déterminante. Toute sa vie, il gardera une prédilection pour cette couleur, comme un souvenir lointain des photographies noires et blanches de ses débuts. Comme il le dira lui-même par la suite, les toiles monochromes exerçaient sur lui une véritable fascination. Bien qu'identiques à première vue, chaque toile monochrome grise était spécifique et différente. Les coups de pinceau, la lumière, le mélange, l'aplat, chaque variation, aussi subtile soit elle, entraîne des conséquences plastiques. Ces recherches sur le gris trouveront leur apogée dans l'admirable série des "Grau" (1974).

En affrontant côte à côte la figuration et l'abstraction, Richter réfléchit aux principes de la peinture, mais aussi à ses limites et à ses possibilités. Quel est le rôle de la toile ?, est-ce une ouverture vers un autre monde ou un miroir ? « Ainsi, les meilleures peintures, explique-t-il, sont celles qui - dans une parabole - décrivent cette réalité insaisissable de la manière la plus belle, la plus intelligente, la plus démente et la plus extrême, la plus claire et la plus compréhensible. L'art est la plus haute forme de l'espoir." A travers ses toiles, Gerhard Richter mène un travail complexe et intellectuel, dans lequel la relation entre le spectateur et le tableau est primordial.

Les années 1980 font place à une création plus lyrique. Dans des toiles immenses, comme "Faust" (1980) et "Vögel (Oiseaux)" (1982), le peintre livre un combat gestuel et haut en couleurs. Eclaboussures, jets de couleurs, traits de pinceaux et aplats s'affrontent et pourtant forment un ensemble lumineux et harmonieux. Ainsi, commence l'époque des grandes toiles abstraites, entièrement construite par le couleur et le geste.

A ces toiles lisses suivront des peintures plus rugueuses, comme "Blau (Bleu)" (1988) et le très beau "Fels (Rocher)" (1989). Des jeux de couleurs subtils se superposent à des effets de matières insolites, produits par de grandes planches en bois que Richter couvre de couleur et fait glisser sur toute la hauteur du tableau. La couleur s'accroche sur la toile au gré du hasard. De cette superposition de matières naissent des peintures dynamiques, mais très maîtrisées. Ses toiles sont aussi très rythmées, comme en témoignent le blanc-gris "Uran (1)" et le gris-noir "Uran (2)", deux œuvres de 1989.

Fidèle à sa ligne de conduite, Richter peint à cette époque également des toiles réalistes, dépassant la reproduction distancée du réel et s'inscrivant dans une certaine tradition picturale. Ainsi, "Schädel (Crâne)" (1983) se place dans la lignée des vanités, et "Chinon" (1987) dans celle des vastes paysages. "Rosen (Roses)" (1994), magnifique petite toile, témoigne de la capacité de l'artiste à mener une réflexion très personnelle sur un thème ancestral. Voilà peut-être une des caractéristiques qui font de Richter un artiste exceptionnel : la capacité de réinventer de manière singulière des thèmes universels. Le diptyque "Tulpen (Tulipes)" (1995), présente deux nature mortes florales, l'une légèrement floue, l'autre "élargie". Ce dernier effet est obtenu selon un procédé qui consiste à étaler doucement la peinture encore fraîche avec un pinceau à longs poils.

L'intéressant "Spiegel (Miroir)" (1986) inaugure une série d'œuvres sur le reflet et la réverbération. "7 Stehende Scheiben (7 Vitres Verticales)" (2002) et surtout "11 Scheiben (11 Vitres)" (2004) continueront d'exploiter le thème de la reproduction de la réalité et de l'abstraction, mais de manière totalement nouvelle. Les vitres transparentes placées les unes derrières les autres reflètent la réalité de manière fragmentée, sans qu'aucun procédé pictural soit mis en œuvre.

Dans "Grau hinter Glas (Gris derrière une Vitre)" (2002), Richter explore ce même procédé de façon encore différente, en peignant une composition abstraite grise au dos d'une vitre. Présentée pour la première fois au public, la série de huit toiles "Acht Grau" (2002), appartenant au musée Guggenheim de Bilbao, semble constituer la quintessence de la réflexion menée par Richter depuis près de 40 ans sur la représentation, le réel et la couleur.

110 œuvres, produites des années 1960 à aujourd'hui, sont rassemblées dans l'exposition de Düsseldorf, réalisée en étroite collaboration avec l'artiste. Malgré l'absence de certaines toiles célèbres, comme celles de la série "Baader, Meinhof", cette exposition a le mérite de rassembler des toiles majeures de toutes les périodes de production de l'artiste.

Le film "Gerhard Richter - Meine Bilder sind klüger als ich (Mes tableaux sont plus futés que moi)" (1993) de Viktoria von Flemming, montré à la fin du parcours, permet de voir le peintre en pleine création, devant la toile, le pinceau à la main, réfléchissant à sa peinture, pesant la valeur de chaque geste, la portée de chaque trace…
Sophie Richard
Düsseldorf, avril 2005
 
Gerhard Richter
 
Gerhard Richter, "Sekretärin (Secrétaire)", 1964, huile sur toile (© Gerhard Richter)

Gerhard Richter, jusqu'au 16 mai, K20 Kunstsammlung am Grabbeplatz, 5, Grabbeplatz, D-40213 Düsseldorf,
tous les jours (sauf lundi) de 10h à 18h, samedi et dimanche à partir de 11h, 1er mercredi du mois jusqu'à 22h
Tél. : 0049 211 8381 130,  www.kunstsammlung.de
Catalogue: Ed. Richter, Düsseldorf, 300 p., 180 ill. couleurs, 29 euros
Après Düsseldorf et avant de s'envoler pour le Japon, l'exposition "Gerhard Richter"
sera présentée de juin à septembre 2005 à la Städtische Galerie im Lenbachhaus de Munich.

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