Il manipule
le sens des
images
culturelles
et celui de
la peinture
|
L'artiste allemand Sigmar Polke (né en 1941) manipule des clichés issus de la culture populaire et historique, afin de créer une imagerie personnelle ironique et singulière.
Dans les années 1960, alors que Polke effectue ses études à la Kunstakademie de Düsseldorf, le Pop Art bat son plein aux Etats-Unis. En 1963, par réaction à l'art pop et au réalisme socialiste, il fonde avec Gerhard Richter et Konrad Lueg, le "Réalisme capitaliste". A cette époque, il s'approprie et interprète les caractéristiques des avant-gardes, particulièrement les représentations issues des mass média et de la culture populaire, à l'instar du Pop Art américain.
De ses influences résulteront tout au long des années 70, un ensemble de tableaux baroques, hauts en couleurs, caractérisé par des mélanges de techniques (sérigraphie, photographie, peinture) dans lesquels se rencontrent des personnages historiques (Cléopâtre), imaginaires (Alice aux Pays des Merveilles, Lucky Luke) ou encore allégoriques (fantômes, divinités).
La fin des années 80 l'amène à l'abstraction et à de très grands formats, où l'exploration de la matière (résine, poudre de météorite) semble prendre le dessus sur celle de l'imagerie ("Les esprits qui donnent de la force sont invisibles").
Polke commence alors à utiliser la machine à photocopier pour manipuler son matériel, modifiant, tronquant les images. Dans les "Printing Mistakes", série des années 1990, il exprime sa fascination pour les imprimés et leurs degrés de signification. Dans des toiles comme "Untitled" (1998), Polke explore des erreurs d'impression - des taches, des bavures, des superpositions - trouvées dans la presse populaire.
A partir d'images issues de l'actualité politique et sociale, Polke laisse libre cours à son imagination, jusqu'à brouiller l'information originelle ("Three New Commandments Found", 1998).
Plus récemment, Polke s'est lancé dans un procédé de "peintures mécaniques" dans lesquelles il retravaille ironiquement des illustrations de magazines par des procédés photomécaniques. Directement inspiré de l'actualité, "The Hunt for the Taliban and Al Qaeda" (2002) montre une image satellite transformant un groupe de cavaliers en une anomalie abstraite du paysage, en une tâche.
Sa série "Splatter Analysis" (2002) explore l'imagerie d'Amérique de l'Ouest, surtout des photographies de reportages sur les armes à feu, telles "Fastest Gun in the West" (2002). "I don't really think about anything too much" (2002) montre un personnage posant fièrement, le pistolet à la main, devant une cible criblée d'impacts de balles, le tout vu à travers une grille abstraite. Ici aussi figuration et abstraction se rencontrent et se complètent.
Dans ses œuvres, Sigmar Polke explore la nature de la perception à travers un langage visuel unique. Le mélange des procédés, l'expérimentation de la matière et la diversité des sources échappent à toute catégorisation. Polke manipule le sens des images culturelles, mais aussi celui de la peinture.
Après la vaste rétrospective de Bonn en 1997, l'exposition de Londres permet d'apprécier les créations les plus récentes (1996-2002) d'un des grands artistes allemands contemporains. La présentation permet également de mesurer la maîtrise technique de Sigmar Polke et le regard ironique qu'il porte sur le rôle et l'authenticité des images dans une société qui en est saturée.
Sophie Richard Londres, novembre 2003
|