Grâce à l'exposition, Élégie à Michel-Ange de Marie-Françoise Plissart, l'occasion nous est donnée de revenir sur l'impressionnante présentation au Palais des Beaux-arts de Bruxelles de son travail sur Kinshasa, couronnée par le Lion d'or de la Biennale d'architecture de Venise.
faire naître des images à partir d'une trame existante |
La volonté commune de la photographe et de son collaborateur sur ce projet, l'anthropologue Filip de Boeck, était de présenter comme un espace mental un territoire marqué aussi bien par les stratégies de survie de ses habitants que par son passé colonial.
C'était donc cet été que se dépliait sur moniteurs vidéo, écrans larges, photos, sons, la mégapole de Kinshasa, entreprise ambitieuse qui réalisait tout autant un parcours plastique qu'une réflexion anthropologique sur la ville. On y racontait l'ex Congo belge, ex-Zaïre, et Nouvelle République démocratique du Congo par des avatars démultipliés : les enfants sorciers accusés de porter malheur à la famille et jetés à la rue, les grandes messes ferventes, mélange de prêches fanatiques et de transes dans les églises évangéliques de la capitale africaine. Et Kinshasa encore et toujours, brouillonne, vivante et morte à la fois, dépourvue d'infrastructures de base.
Là l'effort est autre, revenue d'Afrique, la photographe s'est prêtée à une nouvelle entreprise : faire naître des images à partir d'une trame existante, puisqu'il s'agissait d'ouvrir le texte de Sandrine Willems sur Michel-Ange aux images. Une rencontre qui a donné lieu à un livre et à une exposition.
C'est une histoire de pierre cette vie du sculpteur toscan, que l'écrivain nomme l'Ange tout court pour mieux signifier combien l'artiste avait fait corps avec son œuvre jusqu'à y laisser sa chair. Car c'est là tout le tragique de l'existence de ce sculpteur de génie que d'avoir manqué à sa vie d'homme. Avec pour seule compagnie les ombres et les pierres, Michel-Ange reste convaincu que son existence n'a été qu'une succession d'échecs dont le plus cuisant est - après celui de ne pas avoir atteint l'idéal de perfection escompté au point de renier certaines de ses œuvres et de ne pas les achever - de n'avoir jamais connu l'amour véritable.
Pour entrer dans cette vie blessée, l'auteur a choisi l'élégie, un poème mélancolique. Michel-Ange ombrageux et enragé n'est-il pas né sous le signe de Saturne ? Mais ce que l'on apprendra au cours du récit, c'est que le sculpteur était avant tout farouchement épris de sa liberté. Ainsi, l'ascèse dans l'exercice de son art, est-elle sans discontinuer le théâtre d'une sensualité sublimée à coup de burin dans l'écorce blême des statues. À telle enseigne, qu'au Jugement Dernier de la Chapelle Sixtine, on trouvera de la débauche, et l'on rhabillera fissa tous ces trépassés. Sa relation ambivalente à Raphaël relève de cette dichotomie, Michel-Ange, ermite grincheux au principe d'économie hérité de la Réforme, lui voue un amour éperdu en même temps qu'il méprise le peintre de Cour salonnard et trop bien habillé. Nourri au néoplatonisme de son siècle, Michel-Ange voit l'Éros comme un moyen d'atteindre la connaissance absolue, non comme une fin en soi.
Assailli tout au long de sa vie par les exigences des Papes qui se sont succédés à Rome, le Toscan sera autant l'artiste de prédilection que l'esclave au service du pouvoir des Médicis puis du souverain pontife Jules II. Pour ce dernier, il construira quarante années durant, un improbable tombeau. Michel-Ange a donc vécu comme un forçat du marbre, taillant les blocs de pierres les plus titanesques. Et de fermer sa porte cependant à tous les intrus, le pape y compris. "Mon allégresse est ma mélancolie", écrit-il dans ses carnets, de sorte qu'il finira pétrifié non par la gloire mais par son intransigeance : indomptable.
Sandrine Willems qui nous livre un récit romancé est une conteuse à la façon de la Marguerite Yourcenar des Mémoires d'Hadrien, c'est-à-dire imbibée jusqu'à la moelle de la lettre et de l'esprit de l'époque jusqu'à en faire jaillir le lyrisme. On regrette que le procédé qui s'installe avec naturel tout au long de la narration dans le secret travail de l'imagination, soit divulgué lors d'une inutile postface scolaire et redondante.
Au-delà du texte, un compagnonnage exigeant : les photos de Marie-Françoise Plissart. Des carrières de Carrare d'abord, qui ne fournirent pas toujours Michel-Ange en raison de la difficulté du transport de son marbre, photographiée ici sous une lumière de nuée, la photographe parvient à donner à la roche une enveloppe charnelle.
Ensuite, celles des statues de Michel-Ange dont la photographe s'attache à rendre le modelé des chairs. Le sculpteur qui fût aussi un immense dessinateur et un connaisseur précis de l'anatomie humaine a pu faire parler ses pierres taillées grâce aux volumes des marbres, formidables capteurs de lumière, ainsi que par l'énergie gestuelle qu'il a insufflé à ses sculptures. L'attention portée par la photographe aux détails le démontre pleinement : torse cambré, dos voûté, mains qui englobent d'un seul tenant Vierge et Christ de la Pietà Bandini, mais aussi le regard égaré de la Madone à l'enfant sur le tombeau de Laurent le Magnifique dans la chapelle Médicis. Si ce n'est ni un énième livre sur Michel-Ange ni une monographie, c'est bien parce que cet ouvrage se singularise par sa tentative d'éveiller ce sujet à une autre lecture et à un nouveau regard sur les œuvres. Y arrive-t-il ? Oui, si l'on prend le parti de trouver le récit à la fois documenté historiquement et répondant profondément à la sensibilité de Michel-Ange, or pour ce qui concerne les images on préférera les découvrir dans l'exposition - la mise en page du livre restant parfois en deçà de la qualité de la photo elle-même - où elles gagnent en beauté et en envergure.
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Les Yeux Gourmands, librairie galerie salon de thé, avenue Jean Volders, 9, 1060 Bruxelles, tél. : +32 (0)2 642 97 02
exposition photographique de Marie-Françoise Plissart, du 6 octobre au 31 décembre 2005
d'après le livre Élégie à Michel-Ange de Sandrine Willems et Marie-Françoise Plissart
aux éditions : les Impressions nouvelles www.lesimpressionsnouvelles.com info@lesimpressionsnouvelles.com
Palais des Beaux-arts de Bruxelles : www.bozar.be
Bibliographie :
- Marie-Françoise Plissart :
Le Mauvais œil, récit photographique (en collaboration avec Benoît Peeters), Éditions de Minuit, 1986.
Kinshasa, Tales of the invisible city, texte de Filip de Boeck, éditions Ludion, 2004
Site du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, Le Transsibérien (texte de Benoît Peeters), Fonds Mercator-Europalia, 2005
- Sandrine Willems :
Una voce poco fa, une chant de Maria Malibran, roman, Editions Autrement, 2000.
Les Petits Dieux, récits, Les Impressions Nouvelles, 2000, 2001.
Le Roman dans les ronces, roman, Les Impressions Nouvelles, 2003
Le Sourire de Bérénice, roman, Les Impressions Nouvelles, 2004.
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