Plateforme
d'un renouveau
Qualité
de l'architecture
Mission
idéologique
Enjeu social
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Une piscine pour sauver d'un naufrage… Roubaix et sa région, fleuron de l'industrie lainière en France, siège d'entreprises colossales comme "La Lainière" et ses dizaines de milliers d'ouvriers, a vécu ces dernières années un naufrage économique retentissant.Toutes ces entreprises, les unes après les autres, ont mis la clef sous la paillasson. Pour la population de cette agglomération , plus de 250 000 habitants dont un grand nombre d'immigrés, c'est le drame. Il fallait redonner espoir et montrer que la richesse et le patrimoine du passé pouvait être plateforme d‘ un renouveau.
La ville ne manque pas de ressources architecturales et de friches industrielles qui, comme ailleurs, ne demandent qu'à se reconvertir. Déjà les immenses nefs indiustrielles de La lainières ont été reconverties en un centre de documentation sur le monde ouvrier.
Roubaix disposait d'un fonds d'art constitué de nombreux legs conservé en caisses depuis 1940. Aussi ne fut il pas difficile de penser que la piscine municipale, fleuron des efforts patronaux des années 30, une piscine qui avait permis le brassage des populations d'alors, pouvait être reconvertie en musée; un musée qui permettrait de mêler les oeuvres artistiques disponibles aux productions industrielles de la tradition roubaisienne . Une musée qui, comme la piscine pourrait attirer une population hybride, permettre un "melting pot" social à l'image de sa vocation première et ouvrir la voie à l'éveil culturel de toute la région.
La pari architectural semble être réussi : les éléments constitutifs fondamentaux de la piscine sont conservés à merveille. A l'image du musée d'Orsay de Paris, on a disposé avec précaution les oeuvres disponibles localement ou généreusement mises en dépôt par d'autres institutions nationales dans une profusion qui se veut didactique. A chaque moment la qualité de l'architecture s'impose, peut être à l'excès, pour des oeuvres qui sans être toujours majeures, sont la plupart du temps agréables à contempler.
Mais la Région Nord-Pas de Calais prétend avoir une mission idéologique, elle entend montrer que la culture et les arts plastiques en particuliers sont les outils de l'intégration sociale, la base d'une société qui évolue et se fortifie sans heurts : "l'art adoucissant les meurs".
Les musées fleurissent donc à Lille, capitale régionale, mais aussi à Villeneuve d'Asq, Tourcoing, Roubaix…
A chacun sa spécificité : Lille sera plutôt classique, Villeneuve d'Asq résoluement contemporain, Tourcoing confrontera le classicisme au contemporain et le nouveau musée de Roubaix mettra en valeur les arts décoratifs liés au textile en même temps que les collections accumulées par les mécènes locaux.
L'association des Conservateurs du Nord-Pas de Calais, sous la tutelle du Conseil Régional coordonne une politique qui doit combler les lacunes de la 1ère moitié du 20ème siècle : Une période au cours de laquelle on prétend que l'éducation a été refusée au peuple "pour qu'il se consacre entièrement à sa fonction ouvrière" : une vision très Balzacienne de l'histoire locale.
L'architecture du nouveau musée et la mise en valeur des collections répondent sans doûte aux enjeux architecturaux et patrimoniaux des promoteurs de la Piscine. Mais cette nouvelle institution remplit-elle son rôle culturel ? On ne voit en effet pas comment la collection d'arts appliqués et les oeuvres assemblées sans cohérence d'époque et de style peuvent être source d‘inspiration créatrice pour la population. Beaucoup des visiteurs ont encore en mémoire le bassin sportif de leur jeunesse. Ils viennent non pas pour admirer ou se familiariser avec l'art contemporain, mais pour commenter les transformations de leur piscine. Il est difficile de déceler ici le germe d'un nouvel élan culturel, d'une nouvelle dynamique alors que la crise économique, les fermetures d‘usines et le chômage restent le souci majeur. Mais peut être est-ce encore trop tôt ?
Cependant, on serait à même de penser, vu l'affluence énorme qui, depuis l'ouverture du musée en octobre 2001, se presse à la porte et dans les coursives d'exposition, que les objectifs d'intégration sociale se réalisent au délà des espoirs.
Pourtant, il faut constater que la plupart de ces nombreux visiteurs sont pour beaucoup les hôtes de maisons de retraite, des associations du 3ème âge. Ce sont les responsables des institutions, culturelles et sociales qui, par solidarité idéologique pour le nouveau musée en quête de légitimisation, entrainent de gré ou de force une population qu'il "faut divertir ou intérésser". On a un peu l'impression que la Piscine, lieu de détente, est un peu le "musée Grévin" de Roubaix.
Dans son concept, le musée a un autre enjeu social important : le personnel laissé à l'abandon par la fermeture des grandes usines textile pouvait trouver une planche de salut , un nouveau sens social et civique à travailler dans le cadre d‘une telle institution culturelle. Ainsi la plupart du personnel provient des usines fermées. La formation a-t-elle manqué ?, la tâche a-t-elle été plus hardue qu'il n'y paraissait ? Force est de constater que les gardiens, les préposés à l'acceuil et au service adminstratif n'ont pas su apprendre leur nouveau rôle. Les tensions et méthodes qui règnent trop souvent au plus bas niveau dans les entreprises industrielles, où le sectarisme tient le haut du pavé, se retrouvent au sein d'une institution qui prétend développer cordialité et intégration sociale. Mal préparé le personnel s'est adjugé des prérogatives qui montrent son incapacité à comprendre sa fonction et "donne des ordres" aux visiteurs qui, dès l'arrivée, ont l'impression de déranger.
Créer un musée d'art et d'industrie dans une ville telle que Roubaix est une affaire complexe. Les enjeux économiques, culturels et sociaux qui l'entourent sont très importants. Mais cette entreprise a besoin, pour réussir, d'une part de recréer les liens affectifs qui attachaient la population de Roubaix à "sa" piscine et d'autre part offrir un programme d'expositions prestigieuses qui, attirant les visiteurs éloignés, procurera de la fierté aux habitants de la région.
Lilianne Touraine, avril 2002
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