Le mystère Pipilotti Rist, exporevue, magazine, art vivant et actualité
Le mystère Pipilotti Rist
Les hommes
organisent
le mystère
et les femmes
trouvent
le secret

Jean-Luc
Godard,
Nouvelle Vague










Identité féminine
aujourd'hui







Vertus subtiles







Eblouissement







Surexposition







Métaphore







Femme - image

I am called a plant - Pipilotti Rist

I am called a plant, (extrait) 1998
 

Pipilotti Rist est une jeune artiste suisse. Depuis quelque temps, le monde de l'art contemporain ne jure que par elle. Soudain, ses œuvres se retrouvent parées de toutes les vertus. Comme souvent en pareil cas, chaque critique ne fait que plaquer sur ce travail extraordinairement mobile ses propres envies, ses angoisses, ses théories.
Bref, Remake of the Week-end, l'exposition actuellement présentée au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris est ce que l'on peut appeler une exposition consensuelle pour le petit milieu de l'art contemporain. Est-ce à dire que nos jugements sont surfaits. Il n'en est rien. Pipilotti Rist est une grande artiste. Il convenait de le dire une fois encore.

Mais au lieu de décrire, de nouveau, l'organisation des vidéos de cette artiste, je voudrais insister sur un point sous-estimé de sa pratique.
Pipilotti Rist est une femme et son art est aussi une interrogation très subtile sur la position qu'une femme peut de nos jours occuper dans notre société.
Loin de moi l'idée de renouveler le couplet habituel sur la notion d'identité féminine aujourd'hui. Cette question de la femme, trop souvent brandie comme un étendard par certains créateurs (il suffit de regarder le concert de louanges bélantes que suscite le film de Catherine Braillat sous prétexte qu'elle montre un fragment de sexualité féminine, qui n'est en fait que la projection de ses propres désirs et fantasmes sur une jeune fille), cette question, donc, est bien trop importante pour que l'on puisse la traiter avec légèreté.

Or, ce que réalise Pipilotti Rist, est justement une œuvre qui interroge en profondeur le statut féminin, sans que cette réflexion sombre dans une série de revendication de bon aloi.

La femme, pour Pipilotti Rist, incarne des vertus autrement plus subtiles que celles habituellement attribuées à son sexe. Ses vidéos présentent des couleurs exacerbées et un personnage heureux qui découvre son corps avec une jouissance incroyable. La femme est d'abord une incarnation du monde dangereux de la beauté. Car la beauté est danger. N'échappe t-elle pas à tout rapt, à tout asservissement par l'homme ? Elle signifie aussi plus que cela. Elle est mystère, mystère de l'émotion advenue, de l'émotion incarnée dans une figure humaine. Une femme. De là, de ce point singulier, elle puise sa force, mais aussi sa puissance.

La femme est surtout une figure de la révélation ou plus exactement de l'éblouissement. Le dictionnaire Larousse signale que l'éblouissement est un trouble de la vue causé par un trop grand éclat. Et, c'est bien de cela qu'il s'agit, d'un trouble de la vue, d'une condamnation du regard chez tout homme confronté à l'être aimé. Dans l'une de ses vidéos, la caméra débute dans le noir un long travelling le long du corps. Le point de départ : son anus. L'arrivée ? sa bouche. Le tout est mis en boucle. Jamais le personnage filmé n'apparaît pleinement. Puissance et mystère d'un corps qui se refuse à tout abandon. Accès au monde primordial de la beauté qui est aussi le monde du leurre. Des ténèbres, on passe à un éblouissement, une surexposition qui embrase l'écran pour replonger de nouveau dans les ténèbres. Mais cette alternance (éblouissement/ténèbres) n'est pas d'ordre transcendantal. Tout au plus, place t-il la femme dans une position inatteignable. A force d'absolu, elle devient un mystère plus incompréhensible que l'homme, lui même.

Pour Pipilotti Rist, la femme est une métaphore de l'image. En cela elle rejoint Jean-Luc Godard, pour qui la femme possède une dualité incroyable. Elle est simultanément un être - de chair et de sang - et incarnation de l'art dans l'image. Car il en va du corps de la femme comme de l'image. Ses artifices, ses travestissements constituent autant de voiles entre le réel et la révélation de l'être. L'inscription des femmes dans l'œuvre de Pipilotti Rist, c'est l'inscription de la beauté, de l'altérité et de la mort. C'est aussi l'inscription de la vie résumé à son état le plus brut.
Autant de forces qui modèlent et structurent l'histoire de l'image de la photographie au cinéma en passant par la vidéo. La femme symbolise un mode d'être qui tour à tour se dérobe à la lumière (les artifices de la séduction), et devient éblouissement. De même, l'image ne trouve sa juste présence que dans un temps incertain ou rien n'est encore fixé. Elle est mode de reconnaissance d'un réel par essence mystérieux ; et l'on peut ajouter à la suite d'Heidegger que l'assombrissement du monde n'atteint jamais la lumière de l'être.

C'est aussi ce que revendique Godard lorsqu'il déclare : C'est d'ailleurs ce que j'aime en général dans l'image, une saturation des signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leurs absences d'explications. A sa suite, Pipilotti Rist peut ajouter : Depuis des années, mon propos est de reconsidérer, sous plusieurs angles, ce qui fait la différence entre les sexes. Au lieu de brandir un langage de pamphlets, travaillons avec d'autres images qui contribuent à faire avancer les choses et à les transformer durablement. L'image et la femme seraient donc deux lieux d'où peut se déployer la vérité topologique de l'être et du monde.
L'exposition de Pipilotti Rist peut aussi être perçue sous cet angle dans la manière qu'elle a de présenter les magnifiques incongruités de sa vie de femme.

Damien Sausset
 

Pickelporno - Pipilotti Rist         Blue Bodily Lettre - Pipilotti Rist

Pickelporno, 1992         Blue Bodily Lettre, (extrait) 1992/1995

Lire aussi  Entrevue avec Pipilotti Rist  par Muriel Carbonnet
Remake of the Weekend (French), Musée d'art moderne de la Ville de Paris, Paris 8e, France, du 22 avril au 19 septembre 1999.
Photos : Pipilotti Rist

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