Au pied de la lettre
Emilio Isgrò, Frankreich, 2007, acrylique sur toile fixé sur bois |
Loin des hauts lieux touristiques où les vagues de chaleur font frémir l'asphalte, vrombir les mouches et suffoquer les vieillards, une sculpture de Staccioli interpelle le passant : "Entre, toi qui es sensible à l'art contemporain, entre ici, cette adresse est de celles que les amateurs éclairés gardent trop jalousement pour eux seuls !". La galerie Artiscope n'est pas un lieu de rassemblements grégaires régulièrement envahi par les médias les plus tapageurs, en effet, c'est un ilot où se cultive l'art de vivre en compagnie d'œuvres contestataires, triées sur le volet dans un esprit de sérieux associé à un goût prononcé pour l'esprit d'enfance. Leçon d'herméneutique, l'exposition qui s'y tient actuellement, autant vous prévenir tout de suite, invite à un voyage sensoriel et intellectuel exigeant : du temps, de la réflexion et une certaine culture, loin des expériences sensibles de la vie quotidienne et de toute séduction facile pour consommateurs paresseux.
De quoi s'agit-il ? De l'inscription du langage littéraire dans quelque 25 objets (tableaux, sculptures, installations, …) qui se veulent doués d'une parole à entendre dans son urgence, jusqu'à faire profondément sens. Seule une déclaration de Ben, en flamand, y est d'un accès aisé car on connaît le discours et le style direct de l'artiste. Le reste est né des revendications, formellement abstraites, de plasticiens dont la plupart sont italiens, la propriétaire de la galerie se passionnant de longue date pour les productions artistiques récentes de ses compatriotes. Vous vous rappelez ? Suspendus dans l'une des boules de l'Atomium, vous avez déjà vu les petits satellites colorés de Enrico T. De Paris et voici encore une proposition futuriste, à la fois ludique et inquiétante, qui nous communique sa vision de l'homme tel qu'il s'activera bientôt dans l'espace, chacun étant enfermé dans sa bulle ; voici aussi, très politique de la part d'Emilio Isgrò, la pratique de l'effacement des mots sur une "page" blanche où ne serait plus visible que "no", en italien ou anglais dans le texte ! Ou la pratique de la censure, par l'application de centaines de petits rectangles noirs visant à rendre illisibles les repères toponymiques sur une carte territoriale de la France à l'époque d'un Wilhelm de sinistre mémoire. Aujourd'hui, nous dit-il à l'aide de ce vaste collage de papier sur bois, ce sont d'autres impérialismes qui rendent le territoire globalisé indifféremment uniforme… Ailleurs, obligé d'adopter un point de vue sur un ensemble d'alvéoles en noir et blanc créant des illusions d'optique, notre regard se concentre sur le message ironique du Milanais Salvatore Licitra, message enfermé dans une petite boîte en bois vitrée proclamant : "I am here"… Plus loin, trois paysages du juif italien Tobia Ravà manifestent son inspiration scientifique à travers la correspondance entre les nombres et l'alphabet hébraïque qui y apparaissent mélangés. Karpüseleer, quant à lui, propose sa réflexion sur le langage binaire de l'ordinateur, par la présentation de tubes d'aluminium creux (sur lesquels on peut jouer du xylophone), tubes qui résultent des ordres vocaux donnés à la machine à qui il a dicté les lettres de son nom, chaque lettre ayant subi un traitement informatique tel qu'elle est devenue un tube à la longueur spécifique. Ces quelques exemples vous donnent une idée d'une exposition d'autant plus passionnante que, par la nature même du concept qui rassemble les œuvres, sa portée est subversive. Si l'on vous dit qu'elle comporte encore quatre œuvres dessinées au crayon en 73 par Titus-Carmel, une pièce d'Oldenburg, une création lexicale d'Adamus, un néon de Kosuth et des mots incisifs de Jacques Charlier, nul doute qu'elle vous parlera. Catherine Angelini, Bruxelles, juin 2008
L'usage de la parole – Phase II, usqu'au 11 septembre 2008 (fermeture en août). Galerie Artiscope, 35, boulevard Saint-Michel à 1040 Bruxelles
www.artiscope.be.
Ouvert du mardi au vendredi de 14h à 18h. |
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