Une fois ce livre ouvert, l'impression est : enfin ! Enfin, un exposé fouillé, détaillé, écrit à plusieurs voix, sur les relations complexes de l'image photographique et du livre dans sa double nature de porte-texte et d'objet de culture. Une fois ce livre refermé, l'impression est : comment un tel livre n'a pas vu le jour plus tôt ! Ce qu'il présente, en effet, est de l'ordre de la nécessité et de l'évidence. Il offre avec une belle générosité ce que tout amateur a toujours eu envie de savoir, il rassemble un savoir qui était épars, partiel, dispersé et qui prend son sens maintenant dans un ensemble structuré, il développe l'historique, la sémantique, l'esthétique de sa thématique avec une énergie gourmande. Depuis plus d'un siècle et demi que la photographie existe et fait couler de l'encre d'imprimerie, (mais les livres traitant de ce sujet précèdent même cette invention ! voir page 166), il a fallu attendre l'an de grâce 2003 pour avoir sous la main ce guide illustré de quelques 200 pages qui permet d'explorer l'immense territoire où se rencontrent le texte et l'image photographique. Et ce premier guide s'impose déjà comme le livre de référence, un ouvrage incontournable.

La photo est aujourd'hui indissociablement liée au livre. Ne serait-ce que par celle de l'auteur qui orne presque inmanquablement la quatrième de couverture, comme une vignette d'authentification anthropométrique. C'est la réalité de l'image qui vient au devant de celle du texte. Que d'étapes pour en arriver là ! Le chapitre de Michel Dupré, Les jeux du documenteur, développe sur cet aller-retour quelques considérations qui eussent fait plaisir à Borgès.

Dans la première partie du livre, L'image dans le livre, trois spécialistes, Jean-Paul Gourévitch, Michel Wiedermann et Jean-Louis Marignier, montrent par l'histoire et l'analyse des techniques comment la photographie s'impose progressivement pour devenir la voie royale de l'image imprimée. Le dernier des trois auteurs montre en particulier comment s'est effectué le passage du hors-texte à l'image intégrée dans le texte.

La deuxième partie du Livre, La photographie dans les livres, est une mine de renseignements sur l'aventure éditoriale des albums photographiques (Claire Bustarret), sur l'alliance des périodiques de qualité avec les pictorialistes (Jean-Nicolas Baudrin), le livre photographique en France entre les deux guerres (Alain Fleig), seul domaine où la révolution surréaliste à peut-être eu lieu, puisque ont été édités dans sa mouvance des livres où le pouvoir de l'image a détrôné celui du texte. Enfin l'envahissement de la presse par le photoreportage et le statut paradoxal des gens d'images entre livre et journalisme sont racontés par Christian Caujolle.

La troisième partie du livre, Essais sur les usages éditoriaux de la photographie, élève le débat vers la synthèse et la réflexion philosophique. Dominique Chélot tente de cerner l'état du marché du livre photographique en France. Michel Dupré présente quelques livres remarquables, tant par leur qualité que par la relation document-fiction qu'ils établissent (exemple : La Tour Eiffel, 1989, photos d'André Martin, texte de Roland Barthes). Michelle Debat, la directrice de l'ouvrage, médite sur l'image optique et le fantasme dans la psyché du regardeur. Comment l'image photographique agit-elle pour montrer ce qui est derrière l'image ? Michèle et Michel Auer déclinent quelques considérations pas tristes sur la bibliophilie et la bibliomanie. Serge Goffard étudie le statut de la photo et du livre à travers leurs avatars au cours du vingtième siècle. Enfin, les magistrales considérations de Michelle Debat, Le livre comme métaphore, placées sous le signe de Mallarmé, feuillettent le mouvement texte-image et espace-page pour interroger ce nouvel espace photographique ouvert qu'est le livre. Et ce livre-ci, La photographie et le livre, se referme sur cette question : qu'est-ce qu'un livre ?

Terminons sur un regret : que ce livre appelé à un grand avenir et si remarquablement illustré ne comporte ni index, ni table des illustrations ! Une lacune incompréhensible. Souhaitons qu'elle sera comblée à l'occasion de la prochaine réédition.

Michel Ellenberger
Paris, août 2003