Editorial
Vu du petit nord
 
 


Pierre Radisic
 

Vu depuis ce "petit nord" néerlandophone, la photographie en France reste toujours liée à un patrimoine particulièrement riche et à une ribambelle d'institutions, dont la visibilité varie au fur et à mesure des expositions qu'elles produisent. L'augmentation de la mobilité des gens permet à beaucoup de néerlandophones, plus de 21 millions, de faire régulièrement un saut à Paris, pour s'y dissoudre dans les foules que drainent ses musées, ses autres monuments et événements prestigieux. Une infime partie d'entre eux n'ignorent pas les programmes proposés par le Palais de Tokyo ou de la Nuit Blanche et rendent visite à la Fiac ou à Paris Photo. Depuis Walter Benjamin, on sait que Paris est fait pour faire du lèche-vitrine. Soucieux de mettre en valeur ses décors, la ville ressemble de plus en plus à sa carte postale, alors que d'autres réalités, moins romantiques ou carrément plus "hard" y mènent une vie à peine visible.

Dans ce contexte, le domaine de la photo semble être bien servi. Gâté, Paris possède sa Bibliothèque nationale, le Musée d'Orsay, la MEP et le Jeu de Paume (qui abrite les vestiges de feu : le Cnp et l'Hôtel de Sully) ainsi que "Paris Photo" et le "Mois de la photo". L'été, quand tous se ruent vers le soleil, on risque de découvrir d'autres trésors photographiques, surtout à Arles, mais aussi à Chalon-sur-Saône, Toulouse ou Perpignan. Avec un Français co-inventeur de la photographie (Nicéphore Niépce) - l'Angleterre ayant fourni l'autre (William Henry Fox Talbot) -, une agence mythique comme Magnum, l'héritage de Cartier-Bresson et autres ingrédients de la légende, l'ensemble français dans ce domaine reste impressionnant.

Toujours est-il que le vrai essor de la photographie en France se produisait assez récemment, c'est-à-dire à partir d'environ 1980, avec la création, par la Ville de Paris, du Mois de la Photo et celle, par l'Etat, du Centre national de la photographie, quelques années plus tard. La télévision, la fin des Trente Glorieuses et celle de l'ère industrielle, ont donné un nouveau rôle à la photographie, comme à toute expression culturelle de feu la Modernité. La nouvelle industrie, c'est la culture pour tous, symbolisée par le pastiche industriel du Centre Pompidou des années 1970. Quand les musées proposaient au grand public de découvrir les grands moments de l'art de leur propre siècle (dans des expositions majeures comme "Paris-Berlin", "Paris-Moscou", "A New Spirit in Painting" ou autre "Westkunst"), la photographie était présentée comme l'expression par excellence de toute la culture moderne, depuis son invention. Ainsi la photographie pouvait-elle aussi être regardée comme une discipline visuelle à part entière… ce qui, paradoxalement, amenait progressivement à la découverte d'un domaine encore plus large, celui de l'Image, issue de la révolution numérique. Nous voilà dans le Babylone culturel que présentent les arts visuels mondiaux aujourd'hui.

La Photographie y est partout. Elle se consomme en tant qu'originale ou copie aussi bien que sous forme de livre. Elle est devenue, surtout, un marché qui, grâce à sa relative accessibilité, attire des grands et petits collectionneurs de toutes parts et un public plutôt large.
Au fond, la Photographie en tant que telle n'existe pas. Elle est un ensemble de techniques, appliquées dans différentes situations et à des fins très diverses : de l'utilisation privée, en passant par la presse, la publicité, le cinéma ou la mode, jusqu'à l'art contemporain. Elle est le nuancier de notre mémoire commune (et ici je songe à ces événements aussi intimes que festifs que sont les "diaporamas" de Pierre Leguillon). Dès lors, on parle plutôt d'Image, qu'elle soit argentique ou numérique, statique ou animée, expression personnelle ou "copiée/collée".

Ce dernier aspect connaît une longue tradition, allant d'André Breton, via Guy Debord ou Raymond Hains, jusqu'à Claude Closky (qui, d'ailleurs, a reçu le Prix Marcel Duchamp 2005). Le discours photographique ne trouve guère sa place dans cette tradition et est supplanté par un discours politique, social ou phénoménologique.
La France, où les intellectuels sont toujours plus estimés qu'ailleurs, a vu paraître un grand nombre d'écrits savants au sujet de l'Image, des connus comme Roland Barthes ou Baudrillard, et des presque inconnus à l'étranger comme Farge, Mondzain ou Nancy. Ceci constitue un véritable patrimoine.
A mon opinion, il est devenu grand temps de faire sortir un "French Reader" rassemblant des textes clef à propos de ce sujet passionnant pour des lecteurs internationaux.

Au demeurant, c'est l'art contemporain qui a "volé" la photographie aux photographes, à juste titre et pour une raison simple : les photographes manquent de discours s'élévant au-dessus du niveau de la technique et des sujets appartenant au monde d'ici-bas.
Cette scission entre photographie et art plastique, aussi vieille que la photographie elle-même, se confirme partout, notamment dans des institutions. Elle fait oublier tout un pan d'artistes, comme par exemple un Pierre Radisic ou une Pascale Lafay, qui travaillent entre les deux. La situation aux Pays-Bas ou en Flandre n'est pas différente, même s'ils ont pu profiter de leur retard relatif dans ce domaine. La photographie y fleurit, au même titre que la mode, le design et l'architecture ou, bientôt, le "gaming industry"… Dans nos régions d'Occident, les "hypes" passent, l'art reste et se déplace vers d'autres centres du monde. Prochain rendez-vous à Istanbul ou à Shanghai ?

Editorial de Adriaan Himmelreich
Amsterdam, octobre 2005

 
 


Pascale Lafay
 
 
lire prix Marcel Duchamp et Frieze et voir Backlight
 
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