Peter Kingstone et son double : The strange case of Peter K.

Peter K.

A chaque
Dr Jeckill
son
Mister Hyde…

un travail
artistique
sur le processus
littéraire,
sur l'exercice
narratif…

Il était une fois… Il suffit de cet incipit pour que se déploit en vous un ensemble de données. Une histoire va être racontée, un conte va vous conduire à mettre la réalité en sommeil ; il comprendra des règles, des normes dont la première est (nous nous y laissons facilement prendre ) "ce que l'on nous dit n'est pas la réalité". Rien de telle qu'une trame narrative pour capter l'attention. "Raconte moi une histoire". Qu'en est-il pour l'autobiographie, ce difficile exercice, ruban de moebus écrit, censé vous donner la moelle de sa propre vie ? En parallèle, depuis les années 1970, un mouvement littéraire va se créer, appelé l'autofiction. Il s'agit de sa propre biographie à laquelle l'ajout du terme fiction met en lumière la trame inconsciente qui travaille tout exercice d'écriture ; Hervé Guibert, Michel Zumkir, Guillaume Dustan, Nicolas Pages… voilà pour un court "name dropping" indicatif. Christophe Donner montre, entre autres, l'ambiguïté ainsi que la richesse de l'exercice dans "Contre l'imagination". Marc Wietzman se moque avec talent du procédé avec "Chaos". Ça a le gout de…, la couleur de…, mais cela n'est pas ce que l'on croit. A chaque Dr Jeckill son Mister Hyde.

Peter Kingstone organise une exposition/installation dans une maison. Est-ce la sienne ? benoitement nous serions tenté de répondre par l'affirmative. Rien n'est moins sur. Dans chaque pièce, des moniteurs ou des projecteurs dévoilent un petit film en boucle ou un slide show associés a un commentaire biographique. Les images ne sont pas illustrations. Ainsi, d'une voix douce presque lénifiante (mais le conte n'est-il pas censé vous endormir) est décrit le départ pour la faculté, en 1992, ce qui semblerait assez bien calquer avec l'âge supposé de l'artiste. La bande son nous dit que sa mère voulait un avocat et il s'inscrit en lettres. Ah jeunesse ! Puis la peur face a la grande ville, la solitude, les pleurs parfois. La combinaison floutée de pixels sur l' écran montre un judoka se battant à mains nues avec un ours. Un slide show dans le couloir nous montre des souvenirs banals d'un voyage au Japon. A l'étage, illustration spatiale de la dimension invisible de Edward T. Hall, élévation de l'esprit, peut-être, avec le bouleversement ontologique de la présence à New-York de Peter K. lors du 11 septembre. La vidéo cette fois se doit d'être documentaire. L'objectif est tourné vers les piétons dans la rue, images au ralentie, des bras se déployant prolongés d'un index pointant le World Trade Center, les yeux hallucinés…

Peter K.

Dans la chambre, face au lit, une projection sur le mur montre une jeune femme allongée, aux postures et aux discours aguicheurs, celle dont il est fou amoureux d'après la vidéo.

Après tout, s'il est un lieu pour pratiquer l'exercice, c'est ici. Mais dans le placard, un sac sur la tête, mélange de honte et d'auto-asphixie érotisante, Peter K. se masturbe. Pour savoir sur quoi s'ouvre ce placard, il faut se rendre dans le sous-sol, spatialement et symboliquement underground. La face obscure de la personnalité de Peter K. dans une Dark room. Il est nu, accoutré comme un esclave adepte du bondage, ficelé et laissé sans force au pied d'un poteau. Dans la pièce opposée, un paysage céleste présente l'avancé silencieuse des nuages et laisse la place à une spéculation contemplative sur ce que l'on sera plus tard. Entre deux, dans un recoin de la pièce, sur un drap blanc aux plis encore visibles, une très courte séquence d'un enfant se précipitant vers la piscine et qui, au dernier moment, glisse accidentellement sur la margelle. A chaque retour de bande s'inscrit un "Motto" (slogan) : "I hope my son grows deep strong, I hope my son becomes a doctor, I hope my son is not like his father…" On croit difficilement ce dernier. Le masque posé sur ce double permet de se révéler, remplir un autre de ce que l'on cache. Dans la tradition juive, le bouc émissaire etait envoyé une fois l'an dans le désert, chargé symboliquement des péchés de la communauté. Il avait pour fonction d'expurger, mais avant cela il fallait verbaliser et conceptualiser ses fautes et la part inavouée de soi.

Peter K.

Alors, il ne s'agit pas d'inscrire ce travail dans la longue tradition des écrits sur l'art par les artistes eux-mêmes. Nous ne mettons pas en place, non plus, de rapprochement avec le travail de Valérie Mrjen à la fois plastique et d'écriture. S'il est une trame, Peter Kingstone s'inscrirait presque dans le débat sur l'essence de l'écriture, Proust contre Saint Beuve. Pas d'écrits sur l'art, mais un travail artistique sur le processus littéraire, sur l'exercice narratif. La part puisée dans l'expérience, la part du faux, celle empruntée à la vie des autres… Car Peter K. n'est pas Peter Kingstone, c'est le paradigme que l'on nous demande d'accepter au départ. Mais qui chante faux dans cette vidéo ? A qui appartient ce corp nu ? Le même, oui, et alors les deux Peter ne sont qu'un. La part de l'universel, les souhaits des parents, les aspirations futures, la découverte de sa sexualité, celle du "basement" (sous-sol) ou celle de la chambre à "donner" (chambre pour invités) ? Parfois cela concorde, parfois la différence du départ n'est qu'asynchronie. Et à notre tour, nous lançons la dynamique, émulation, dégoût, quel masque arbore-t-on ? et ce, avec ou sans prétention.

Rien de totalement léché, rien de totalement beau ou parfait dans cette exposition. Mais le détour par le faux, par un double imaginaire nous renseigne sur le principe de réalité. Cela ne sera pas la première fois.

Hugues Jacquet
Toronto, avril 2004

Peter K.



"The strange case of Peter K. (1974-2004)" Peter Kingstone
du 10 au 25 avril 2004, les vendredi et Week end.
195. bellwoods Avenue, north of Dundas st. West.

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