Humilité et conscience du temps
Vision contemporaine des vanités
Confrontation avec le réel pour en dégager l'invisible
Omniprésence du processus
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Penone ne cherche pas le beau, il se met à son écoute. Il entre dans la trame de l'univers qui nous entoure, en cherche la source, l'observe, la fixe, et parfois en détourne les éléments de leur cycle naturel pour mieux en restituer la réalité.
Il franchit les étapes d'un voyage au cœur du dépouillement, de l'absence couleur, de la forme inspirée : Immaculée présence du blanc, non-couleur ou couleur absolue, reflet de tous les possibles.
Quête universelle de la lumière, de la pureté…
Couleur matière aussi, celle des arbres, des feuilles, du bronze…
Nous sommes face à une nature omniprésente, presque familière à nos mémoires et à nos regards habitués à emmagasiner mécaniquement notre environnement, mais elle est, ici, décryptée et dévoilée jusque dans sa partie intime et invisible.
La présence de l'homme est permanente ; Penone nous amène à découvrir sensoriellement les rapports de celui-ci avec la forêt, les arbres, et fixe le reflet de son emprise sur un monde qu'il cherche à façonner.
Giuseppe Penone, Peau de feuilles [Pelle di foglie], 2000
et Respirer l'ombre [Respirare l'ombra], 1999
cages métalliques, feuilles de laurier, bronze 330 x 180 x 130 cm
module de Respirer l'ombre : 78 x 117 x 7 cm
Collection Centre Pompidou-Musée national d'art moderne, Paris
Vue de l'installation au Centre Pompidou, distribution RMN
Photo : Philippe Migeat, 2000 © Adagp, 2004
Dans une empathie infinie, il se met à l'écoute du monde physique, en restitue la charge et la présence. Il nous amène à entrer dans le champs de l'invisible, à découvrir avec nos sens, à nous interroger sur les apparentes insignifiances et les évidences. Qu'il s'agisse des "arbres", du "souffle", des "empreintes", il nous amène de l'autre côté du réel et notre conscience se modifie face à ce regard du dedans.
Son travail sur la respiration évoque la notion du vide et du plein, chère à François Cheng, conscience du souffle, de son espace, de sa vitalité par la matérialisation de son volume. "Sans le vide, que serait le vase" dit le Tao…
"Les arbres" aux cœurs évidés nous montrent dans un raccourci saisissant les passages de la naissance à la mort, parrallèle troublant entre l'arbre et l'homme, vision proche de celle des artistes de la renaissance… allégorie de notre vie terrestre, représentation contemporaine des vanités.
On se coule dans l'univers apparemment si simple, presque répétitif, souvent gigantesque de Penone. On parcourt les salles de cette rétrospective dans le silence : émotion, éveil en finesse de nos sens, plaisir esthétique pur.
L'infiniment petit se démultiplie à en devenir infiniment grand, le microcosme rejoint le macrocosme… (les "feuilles d'acacia", et les "empreintes") monde brut fait de sensations parfois infimes, subtiles , évocations, empreintes magnifiées, répétées en caléïdoscope, murs immenses, comme une prière, vibrant de simplicité, et d'élégance.
Giuseppe Penone, Ombre de terre [Ombra di terra], 2000-2003
Terre cuite, bronze, 230 x 180 x 80 cm, coll. particulière
Photographie de Giuseppe Penone et Dina Carrara © Adagp, 2004
Dans le travail de Penone, le processus est fondamental, témoin de son rapport au temps, et la présentation de ses œuvres met sa démarche en valeur, en dégage la rigueur et la spiritualité qui président à sa démarche. La place laissée aux visiteurs est très vaste, et ses œuvres opèrent comme un écho de nos vanités, de nos rêves enfouis. Elles nous confrontent à notre propre conscience de la vie et de la mort, au pouvoir parfois illusoire ou au contraire, abusif que nous exerçons sur notre environnement.
Plus on en cherche le sens, plus il nous échappe, comme une fulgurance que l'on souhaiterait fixer : miroir de nous-mêmes et de nos peurs, soupçon de vérité qui nous effleure et se retracte. Penone n'impose rien, il suggère, et nous laisse rendre à chaque œuvre sa propre vie. Il éveille en chacun de nous ce qui est prêt à éclore, il s'adresse à nos cœurs, à notre ressenti, plutôt qu'à notre mental.
Ses titres sont en eux-mêmes des invitations à méditer, à nous ouvrir, à éveiller nos sens ("ëtre fleuve", "respirer l'ombre", "peaux de cèdre"). Ils sont olfactifs, ils sont visions, ils sont invocations. On les lit et ils amplifient la portée de ses œuvres, caisses de résonnance intimes et puissantes.
Arte Povera et Land Art sont deux univers que l'artiste réunit avec beauté et simplicité. Dialogue de l'homme avec sa partie universelle comme part du tout, humble et en résonnance avec son espace et son temps. Cette approche est à relier à celle d'Ann Gallacio, séléctionnée au Turner Price 2003 dans l'utilisation de la mémoire et du temps.
Edith Lassiat Paris, septembre 2004
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