Patrice MériotTransformations
Apercevant, car on ne fait au premier coup d'œil qu'apercevoir une image, apercevant donc ce collage de Patrice Mériot, me vient à l'esprit l'idée du Yi King, comme si cette image était la vision d'un hexagramme provenant du plus vieux livre de sagesse chinoise : le livre des transformations…
Patrice Mériot, Evasion, ultrachrome, 2007
En bas, l'eau, le lac, les marécages peuplés de ces êtres étranges et amphibiens : les salamandres. Bêtes à la symbolique puissante dont la théorie Darwinienne dans la grande évolution du vivant nous dit quelles seraient de nos lointains ancêtres.
En haut, le ciel, le créateur, le lieu de la peinture. L'homme au centre, perdu entre ces deux espaces, l'un formé, l'autre informé, tente déchapper au reptiles et à la noyade qui le menace. Patrice Mériot, Le Complot, ultrachrome, 2006
Traverser les grandes eaux apportent la fortune, dirait le Yi King, ou bien la persévérance est avantageuse, ou encore vol hésitant au-dessus des profondeurs, pas de blâme.
L'homme s'accroche dans un paysage à demi formé entre le ciel, son père, et les eaux, sa mère, et il na de cesse que d'échapper à la seconde pour rejoindre le premier. Patrice Mériot, Hommage aux deux Max, ultrachrome, 2007
Dans ce collage, un élément de sublime importance donne toute sa dimension à limage : le verbe. L'homme saccroche à son verbe pour échapper aux tourments de son âme marécageuse. Il regarde avec terreur les bêtes qui le poursuivent, que dans un trait de crayon il à lui-même formées, et qui se sont matérialisées juste dessous, dans la gravure. Et son verbe, chose incroyable, apparaît autour de sa propre image découpée et retournée. Son verbe est ce que son corps n'est pas : il l'entoure, lui suggère sa forme, ses contours alors que l'homme n'existe pas encore ; il le sort des marécages, il lui donne vie.
Patrice Mériot, Le Sanglier, ultrachrome, 2007
Ce verbe dont nous n'apercevons que quelques bribes, balbutié comme dans un rêve, fait parti de l'énigme qu'il nous faut résoudre pour parvenir à l'éveil : à la lumière du ciel.
De cette image qui immédiatement nous parle, qui voudrait nous susurrer à l'oreille une évidence sur notre état, nos peurs, notre existence en ce monde ; on se rend compte que chaque geste effectué par l'artiste porte un sens profond : des silhouettes d'animaux tracés qui prennent forme plus bas en une gravure (c'est la marque du créateur dont l'idée prend forme dans le réel), aux contours détourés de l'homme qui saccroche à son langage en formation pour ne pas sombrer, jusqu'à ce ciel peint de blanc qui n'oublie pas de retourner à la terre comme pour la féconder.
Céline Tertre
Bruxelles, novembre 2007 |
Patrice Mériot, Galerie Acteon, rue de la Fourche 50, 1000 Bruxelles, jusqu'au 1er décembre 2007
tél : +32 2 218 52 98 ou +32 473 646 920 www.acteon-galerie.com contact@acteon-galerie.comNé à Nantes en 1961, Patrice Mériot réalise depuis 1982, des dessins à la pointe tubulaire et développe une technique personnelle de grattage du papier qui rappelle la gravure. Chaque dessin est le fruit de plusieurs centaines d'heures de travail révélant une incroyable abnégation : faisant apparaître le sujet par le blanc du papier, il se décline en plusieurs millier de têtes dans carnaval, de poissons dans l'aquarium, de mots dans l'inventaire.
En 1995, il change radicalement de technique. A partir de papiers anciens, il compose d'étranges saynètes qui révèlent la richesse de son univers intérieur. Dans certains tableaux, il met en scène des personnages dans des situations énigmatiques provocant leur effroi tout en ne révélant jamais la cause de leur bouleversement. Il nous laisse entrevoir dans les formes des papiers usés les apparitions qui offrent à notre imagination une multitude de point de départ, de causes et d'effets. Dans ses tableaux, l'attitude dramatique des personnages et la violence apparente des situations s'enlise, se désamorce dans un espace onirique, s'étire jusqu'à prendre son sens moral comme dans les fables.
Depuis, il explore toutes les possibilités sémantiques qu'offre le collage. C'est un travail à la fois plastique et littéraire : littéraire parce qu'une narration sans cesse contrariée tente d'émerger de ses œuvres ; plastique parce que c'est en puisant aux sources des transformations de la peinture qu'il trouve les chemins formels ouvrant des perspectives qui exaltent notre imagination.
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