Cher Pascal Tarraire
J'adore vos photos.
Vous réussissez à faire du fantômatique un univers heureux, léger.
Aucun pathos dans vos photos, alors qu'elles pourraient être sentimentales,
au mauvais sens du terme. C'est exactement ce qui est dit, avec tant
d'humour (personne ne prend le risque d'une telle présentation !) dans la
phrase "Pascal Tarraire photographie depuis vingt ans dans un style mièvre".
C'est formidable, de dire ça. Vos photos sont sentimentales, mais au bon
sens du terme, et c'est très difficile, ça.
Je comprends que vous ayiez évoqué "Naissance des fantômes". Je voulais un livre sentimental au bon sens du terme.
Je pensais en regardant (j'ai failli écrire "en lisant") vos photos à un
texte que je viens de lire, de Herman Broch, sur l'art kitsch : "il ne s'agit
pas de faire du beau, mais de faire du bon".
En ce sens, la seule photo pour laquelle j'ai une réticence, c'est
"arborescente" (au rebours, "tête de feuille" est sublime). Je vois
"arborescente" comme je vois cette photo de Francesca Woodman : deux jeunes
femmes un peu années vingt, au bord de la mer, avec un miroir et un arum (je
n'aime pas les photos de FW où elle compare le sexe des femmes à un lys ou
un arum : c'est une telle évidence). Là, dans cette photo, elle tombe dans
le cliché. C'est une photo très belle esthétiquement, parfaite en un sens, mais où rien ne bouge. Je pourrais dire les mêmes mots de "arborescence"… et aussi de mon troisième roman, "Le Mal de mer". Là, "tous les trois", on a fait du beau, peut-être pas du bon. Ca me semble un défaut de jeunesse, d'ailleurs. Ensuite on devient peut-être plus "dur". Voilà, je vous ai fait la leçon du haut de ma grande expérience et de mes deux ans de plus que vous.
Je suis contente que vous me réclamiez "Naissance des fantômes". C'est mon
roman (de moi) préféré, affectivement, et parfois aussi littérairement (ça, ça dépend plus des jours). (Connaissez-vous la version Folio, avec une photo de FW, justement ?)
Une certaine amitié entre les sexes, peut-être… Cet air moqueur, calme, flottant, complice mais prêts à dire "ça suffit", qu'ont vos modèles, fille ou garçon… Flottant, mais pas perdus, pas exactement perdus. Ils ne sont jamais seuls, voilà. Au moins, ils sont avec vous. On sent toujours qu'ils vous regardent. Ca pourrait être accompagné d'une chanson de Françoise Hardy, mais pas "tous les garçons et les filles".
Vos photos me font penser fortement à quelque chose, mais à quoi… ? Cette qualité de regard, cette douceur, ce refus de la provocation, ce refus de brutaliser le modèle, cette approche… Vous êtes sur un fil du rasoir qui justement, pourait-être mièvre, mais ne l'est jamais. C'est étonnant.
"L'imminence d'une révélation qui ne vient pas" : le fait esthétique selon Borgès. (Pardon pour la pédanterie, j'ai entendu ça hier à la radio).
Voilà voilà.
Bonne continuation, comme on dit…
Marie Darrieussecq Paris, mars 2004
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