les collections
privées
constituent une
alternative
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A une soixantaine de kilomètres de Milan, sur les collines de Varèse se situe la villa du Comte Giuseppe Panza, un des collectionneurs les plus fameux de l'art du XXe siècle.
Ce qui caractérise tout d'abord Giuseppe Panza, c'est son flair immanquable, certainement un don indispensable à tous les grands collectionneurs. Dès les années 1950, il achète des œuvres d'artistes encore inconnus pour la plupart qui se révèleront être les grands maîtres de l'art moderne, Robert Rauschenberg (Pop Art) et Jean Fautrier, Donald Judd (Minimalisme) et Lawrence Weiner (Art conceptuel).
De plus, le Comte Panza achète énormément. Non seulement le nombre d'artistes représentés dans sa collection est impressionnant, mais surtout, il acquiert toujours un grand nombre d'œuvres d'un même artiste à la fois. Ainsi, il achète quelque 29 Hanne Darboven et une quarantaine de Bruce Nauman. Vers 1975, la collection Panza comporte pas moins de 700 œuvres.
Face à une telle ampleur, se pose la possibilité de présentation d'une telle collection privée. Désireux de rendre accessible sa collection au plus grand nombre, Giuseppe Panza cède, par don et par achat, quelque 350 œuvres à la Fondation Solomon R. Guggenheim de New York, dont le très beau "Copper Square" (1973) de Carl Andre.
D'autres musées auront cette faveur, comme le MoCA de Los Angeles (150 œuvres) et plusieurs institutions italiennes, tel le Palazzo della Gran Guardia à Vérone où sont exposées un ensemble de toiles récentes de Phil Sims, Lawrence Caroll et David Simpson.
Ces prêts et ces achats d'institutions publiques permettent de mesurer la richesse, la qualité et surtout la renommée de la collection de Giuseppe Panza. Mais en même temps, c'est précisément l'éparpillement de la collection à travers le monde qui rend la visite de la Villa Panza à Varèse un peu décevante.
La Villa Panza, une vaste demeure du XVIIIe siècle, a une façade sur rue qui ne laisse pas imaginer ce qu'elle abrite. Une fois passé cette discrète muraille, on arrive dans un jardin luxuriant d'où l'on jouit d'une vue magnifique sur les alentours. La façade sur jardin, plus intime et réservée aux visiteurs, est typiquement italienne, bien qu'assez sobre.
La collection s'étale sur les deux premiers niveaux, le dernier abritant les appartements privés de la famille Panza. L'accrochage a été pensé de sorte à produire un tout harmonieux : un artiste par salle, avec si possible un nombre limité d'œuvres qui s'adéquatent parfaitement avec l'environnement dans lequel elles sont présentées.
L'Américain David Simpson est un des artistes les plus représentés. Il réalise de grands monochromes en utilisant des couleurs métalliques qui scintillent différemment selon la lumière qui les éclairent. Ainsi, le très beau triptyque de la salle à manger daté de 1992, est composé de dégradés délicats de gris : "Alchemical Origins", "Silver Pearl" et "Lockdown - Stainless Steel". L'association de ces peintures à du mobilier ancien et à des sculptures primitives de Guinée et de Sierra Léone, fait de cette pièce un ensemble étonnant.
Un autre artiste américain, Stuart Arends réalise de petits cubes exposés à hauteur des yeux. Il utilise pour les peindre une gamme de techniques variées, comme de la cire ou des couleurs à l'huile, ce qui permet d'obtenir des effets de texture et de couleur très différents. L'exposition autour d'une fenêtre d'un cube bleu ciel, "O.S. 18", et d'un autre vert clair, "O.S. 24" (1993), rappelle subtilement à l'intérieur l'environnement extérieur.
Toutes les œuvres exposées dans le bâtiment principal permettent de saisir une des caractéristiques de la collection Panza. Elle ne comprend pas d'art figuratif, mais quasiment que des œuvres abstraites d'une grande majorité d'artistes américains. A la différence d'une collection de musée, une collection privée n'est pas soumise à des obligations. Les choix sont personnels, l'esthétique subjective.
A côté de la villa s'étendent les écuries, aménagées spécialement pour abriter des installations de grande taille. L'artiste minimaliste Dan Flavin est ici à l'honneur. Une dizaine de pièces sont investies par ses environnements lumineux. Une installation, "Monument for those who have been killed in ambush (to PK who reminded me about death" (1966), est constituée de néons rouges dont le scintillement remplit entièrement la salle d'une atmosphère colorée d'un rouge profond.
Toutes les pièces donnent sur un même couloir, pour lequel Dan Flavin a spécialement crée le "Varese Corridor" (1976), avec des bandes de néon fluorescentes, vertes, jaunes et roses fixées juste sous le plafond. Lorsque l'installation est allumée, la lumière verte emplit le lieu ; la couleur froide l'emporte sur les couleurs chaudes.
Une des installations in situ les plus impressionnantes est une pièce carrée sans plafond, entièrement peinte en blanc, et dont la luminosité est accrue par des lumières blanches fixées au bas des murs. L'éclat lumineux est tellement éblouissant en plein été, qu'on arrive à peine à ouvrir les yeux dans ce "Sky Space I, Varese 1976" imaginé par James Turrell. Pour l'artiste, la relation avec l'espace extérieur est primordiale. L'ouverture sur le ciel qui domine la pièce, bleu durant la journée, se transforme le soir en carré noir illuminé par la nuit étoilée.
La Villa Panza à Varèse est l'occasion d'une visite agréable, qui permet de voir le cadre de vie d'un des plus grands collectionneurs européens d'art moderne. Mais les œuvres exposées constituent surtout les acquisitions les plus récentes de la collection.
Il est dommage qu'on ne voit quasiment pas d'œuvres d'artistes qui ont fait la renommé de la collection de Giuseppe Panza. On regrette les Rosenquist et les Lichtenstein, les Mark Rothko et les Bruce Nauman. Pour voir ces œuvres, il faudra se rendre à Los Angeles ou à New York.
L'éparpillement des œuvres ne permet pas d'avoir une vision globale de la collection et de comprendre son évolution. Cela sous-entend aussi la difficulté de transformer une collection privée en un usage public. Bien souvent, c'est justement leur caractère personnel qui donnent aux collections particulières tant de charme.
Parce qu'elles nous font entrer dans l'imaginaire d'une personne de goût et parce qu'elles nous montrent des œuvres choisies parce qu'elles répondent à une sensibilité et non pas à une logique d'acquisition publique et de représentation historique.
Le Comte Giuseppe Panza n'est pas le seul a avoir ouvert sa collection particulière au public. Peter Ludwig présenta sa collection à Cologne dans le musée du même nom dès 1976. A Londres, le collectionneur anglais Charles Saatchi vient d'inaugurer une nouvelle galerie.
Finalement, les collections privées constituent une alternative aux institutions publiques. En cela, leur visite est toujours une expérience intéressante.
Sophie Richard Varèse, septembre 2003
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