Panamarenko, la rétrospective !
A Bruxelles, aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
 
 
Après les excellentes expositions consacrées à Delvaux, Ensor et Magritte, le musée bruxellois célèbre un des artistes contemporains les plus créatifs de sa génération.
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Panamarenko
 
© Panamarenko
 
 
Face aux folles créations de Panamarenko, on n'a qu'une envie, sauter dedans et décoller à toute vitesse ! Les sous-marins, montgolfières, soucoupes volantes et autres deltaplanes sont plus fantastiques les uns que les autres. Comme le "Donnariet" (2003), une espèce d'hélicoptère rondelet. Dans la "cabine", le pilote se trouve face à des pédales qui sont reliées à une tige qui actionne l'aileron à l'arrière. Celui-ci est constitué de très fines couches de triplex, ce qui doit lui permettre de fouetter comme des ailerons de flippers. En dessous du cockpit sont fixées des petites roues pour que l'ensemble puisse rouler. Voici comment l'artiste se remémore l'essai de faire avancer cette drôle de machine : "Le Donnariet fonctionnait très bien, à un détail près : il ne voulait pas avancer ! Cet aileron ne fonctionnait pas comme je l'aurais voulu, c'est-à-dire, il fonctionnait bien mais ce machin n'avançait pas ! Et moi de pédaler, et de pédaler, et je crie à Eveline [la femme de l'artiste] : 'Est-ce que par hasard tu serais en train de le retenir là, derrière ?'"

Les "machines poétiques" de Panamarenko proviennent toutes d'une même volonté de matérialiser le mythe du vol humain. Ainsi, "Brazil" (2004) est constitué de grandes ailes, de plus de 3 mètres chacune, actionnées par les bras de celui qui les porte sur son dos. Cette machine nécessite un vaste espace pour s'envoler. Pour se mouvoir en ville, mieux vaut décoller à la verticale avec le "Rugzakvlucht" (Vol en sac à dos, 1985). Il s'agit d'un sac à dos équipé d'un moteur assez puissant pour renverser un utilisateur non expérimenté.

Panamarenko s'attaque à tous les fantasmes du vol et du voyage, pour atteindre l'imaginaire et le rêve. La liberté de mouvement doit être possible sur terre, dans les airs et dans la mer. Ainsi, est-on entraîné dans l'univers des Mille et Unes Nuits par "Vliegend Tapijt" (Tapis volant, 2000), dans celui de Jules Verne avec le sous-marin "JIahama-Nova Zemblaya-Spitsbergen" (1996) ou encore dans un monde de science-fiction avec le bolide rouge flamboyant "Hinky Pinky Prova Car" (2004).

Derrière la séduction mécanique, ce qui fascine dans ces incroyables créations est leur beauté. Prenons le splendide "Papaver" (Pavot, 1984), un "vaisseau spatial aérodynamique", qui ressemble effectivement à une fleur de coquelicot, mais aussi à une multitude de cœurs rouges assemblées en un bouquet. Cette œuvre sculpturale en cellophane rouge est admirable pour ses qualités plastiques.
 
 
Panamarenko
 
 
Une des créations les plus démesurées de Panamarenko est certainement son célèbre "Aeromodeller" (1969-1971) exposée pour la première fois à la Documenta 5 de Kassel en 1972. C'est par ce dirigeable gigantesque que le visiteur est d'ailleurs accueilli dans l'exposition bruxelloise. La nacelle est assez grande pour transporter une dizaine de personnes. Sous le plafond flotte l'énorme ballon de 27 mètres de long et de 6 mètres de diamètre. Les matériaux utilisés - du rotang tressé pour la nacelle et du PVC pour le ballon - confèrent un aspect artisanal et fragile au dirigeable. Il n'est pas sûr que le tout puisse tenir en l'air !

Bien que Panamarenko travaille depuis 40 ans à l'élaboration de ces fabuleuses machines, il a commencé par créer des objets, non pas moins fous, mais en tout cas moins démesurés. L'artiste est né en 1940 à Anvers dans une famille d'ouvriers. Il étudie à l'Académie des Beaux-Arts et très vite organise avec Hugo Heyrman des happenings sauvages dans la rue. En 1966, il participe à l'exposition inaugurale du Wide White Space, animé par Anny de Decker et l'artiste allemand Bernd Lohaus. Il y expose notamment "Botten met Sneeuw" (Bottes couvertes de neige, 1966), une installation qui sera également montrée en 1969 lors de l'exposition à la réputation scandaleuse organisée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne, "When Attitudes Become Form". Dès la fin des années 1960, l'artiste se place dans un circuit d'artistes et d'événements qui remettent en cause les formes artistiques établies.

Panamarenko est tout d'abord attiré par une sorte de pastiche des années 60. Il roule en Cadillac (servant notamment de chauffeur au collectionneur Isi Fiszman), s'habille avec un uniforme d'aviateur en référence à Howard Hughes et porte une casquette de gradé militaire à dix étoiles. C'est l'époque où voient le jour des œuvres, comme "Molly Peters" (1966), une poupée en styropor recouverte de feutre représentant la masseuse de James Bond.

Aux premières machines comme le délicat "Das Flugzeug" (L'Avion, 1967) et le massif "Prova Car" (1967), suivent des constructions dans lesquelles l'artiste entend comprendre et recréer le vol des insectes. "Meikever" (Hanneton, 1972) est une drôle de petite coccinelle métallique dotée d'un moteur électrique et d'hélices. L'insecte est relié par un fil électrique à un couvercle de machine à écrire sur lequel figure un mystérieux sage asiatique. Panamarenko poursuit ce travail dans des œuvres comme "Rug Umbilly IV" (1984) un modèle d'avion à quatre ailes, dont la frêle structure rappelle une libellule. L'artiste ira jusqu'à vouloir expérimenter lui-même la manière dont un animal se meut. Ainsi met-il au point des pattes mécaniques de volatile de deux mètres de haut surmontés par un siège, "Knikkebeen" (Jambes fléchies, 1994).
 
 
Panamarenko
 
 
Panamarenko a contribué à une nouvelle manière de concevoir les œuvres d'art en y introduisant les domaines de la mécanique et de la physique. Toutefois, les matériaux artisanaux utilisés, les finitions maladroites et une application naïve confèrent une certaine "poésie du bricolage" à des inventions. Pour l'artiste, l'art, la vie et la nature sont indissociables : "Les artistes sont quand même des personnes qui peuvent s'enthousiasmer et prendre au sérieux les manifestations de la Nature. Ils doivent pouvoir en jouer et l'expliquer de manière plastique. Ce ne sont peut-être que des utopies, mais il vaut mieux qu'elles soient, ne fusse qu'une fois, proposées aux gens."

Outre ces folles machines, Panamarenko se distingue par la qualité de ses dessins. Bon nombre d'inventions sont accompagnés de dessins comme "Klein vliegend Tapijt" (Petit tapis volant) ou "Magnetic Spaceship" (1977). Certains dessins sont de véritables croquis de projets accompagnés de calculs mathématiques et de formules physiques ("Snijboon Helikopter", Hélicoptère mange-tout). Pour l'artiste, le dessin a avant tout une fonction de notation. "La plupart des dessins sont si abstraits qu'ils sont à vrai dire complètement conceptuels", affirme-t-il.

Panamarenko, l'artiste au pseudonyme mystérieux, nous convie à un voyage dans l'imaginaire, à un moment esthétique, à une expérience poétique. Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ont réussi, une fois de plus, à monter une exposition remarquable d'un artiste belge exceptionnel. Notons que Panamarenko, qui affirma au sens premier comme au sens figuré que "si on comprend le fonctionnement de l'univers, on parvient à s'élever de terre", fut considéré par le grand Marcel Broodthaers comme le plus important artiste belge de sa génération.
Sophie Richard
Bruxelles, janvier 2006
 
Panamarenko

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, 3, place Royale, 1000 Bruxelles, du 30 septembre au 29 janvier 2006 www.fine-arts-museum.be

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