Opalka : l'œuvre photographique au CCC de Tours
 

Matérialiser le temps qui s'écoule au cours de la vie d'un homme en ayant recours à la peinture.

 
Roman Opalka
Il creuse
la notion de
mémoire
…au-delà du
dépérissement
physique

Tel est le choix qu'a fait Roman Opalka au milieu des années 1960, dans une démarche artistique aussi radicale dans sa procédure que féconde dans les potentialités qu'elle offre à la sensibilité du spectateur.

De cet artiste d'origine polonaise né dans la Somme en 1931, on connait bien le parcours qu'il s'est défini pour lui-même. Rappelons-le brièvement. A partir de 1965, Opalka décide de peindre sur des toiles noires la suite des nombres de un à l'infini en blanc. A partir de 1972, il ajoute à chaque fond d'une nouvelle toile 1% de blanc, si bien que les nombres se fondent progressivement dans le support sur lequel elles sont inscrites. Il enregistre quotidiennement le son de sa voix prononçant les nombres qu'il est en train de peindre. Enfin, il termine chaque séance de travail en réalisant son autoportrait photographique.

Ce dernier répond à une méthode codifiée ; Opalka, placé devant un de ses tableaux, fait face à l'objectif dans une chemise blanche, son regard fixant l'appareil chargé d'un film noir et blanc. Les autoportraits ont un caractère objectif, impartial indéniable. Mais ils donnent au temps son rôle central, perceptible dans le blanchiment des cheveux, le creusement progressif des rides du visage, l'évolution à peine sensible du regard… Après une quinzaine d'années de travail, l'artiste commence à présenter ces images aux côtés des Détails peints.

L'exposition du CCC à Tours présente un intérêt particulier sur deux points ; elle s'attache au volet photographique de l'œuvre d'Opalka en rassemblant pas moins d'une centaine d'autoportraits. Une centaine parmi les milliers réalisés, instantanés qui mis ensemble rétablissent la durée dans laquelle s'inscrit l'œuvre.

L'exposition fonctionne comme une "coupe" dans le temps long du travail et permet de prendre conscience, de manière presque physique, du cheminement personnel que l'artiste nous invite à parcourir. Car l'œuvre porte en lui sa fin matérielle. La partition est écrite. Son élaboration s'interrompra avec la mort ou l'impossibilité physique ou mentale de la poursuivre. Puisque cela est porté à la connaissance de tous depuis longtemps, l'intérêt n'est pas ici.

Roman Opalka


Il réside dans cette rectitude, suggestion de l'absurdité ressentie devant ce paradoxe insoluble ; la vie comporte intrinsèquement la mort qu'elle trimbale tout du long. Reprenant un des thèmes majeurs de la philosophie, Opalka interroge la lente fluidité du temps qui jamais ne s'arrête, sablier où chaque grain est ici matérialisé par les photographies et les nombres peints. Il pointe la tension entre l'étendue d'une vie - l'opiniâtreté du peintre - et sa fulgurance à l'échelle de l'univers, semblable à la célérité de l'obturateur.

Dans l'exposition d'une blancheur immaculée, deux toiles isolées indiquent la permanence des choses. De cette suite infinie de nombres ont été extraits deux Détails, le passage du premier et du cinquième million (dernier en date), qui renforcent la continuité de la logique implacable du temps. Au côté de cette salle s'étend l'exposition dans un espace complètement "ouvert" pour l'occasion. La brèche creusée dans les volumes ménage des perspectives de la première à la dernière salle. Les photographies, présentées par groupe, rassemblées souvent aux coins des murs, se font face d'une cimaise à l'autre. En dépit de leur espacement, elles reviennent systématiquement au regard ici en une ligne, là en un angle.

Opalka y creuse la notion de mémoire, ce qui fait trace au-delà du dépérissement physique. Manière de dire qu'on existe, qu'on est au monde en dépit de cet empirisme désarmé. Pour autant, il réfute l'idée d'un enfermement qui le conduirait à une impasse. "On m'a souvent cru prisonnier d'une idée, au lieu de percevoir cette libération totale que je vis de la recherche constante de l'illusoire nouveauté aussi bien que du toujours mieux. Moi je préfère approfondir une seule chose, une œuvre. "La constance de l'homme est bien là, malgré les signes du vieillissement qui s'affirme, les événements de la vie que l'on ne sait pas. Ils se rapportent à notre parcours que nous questionnons depuis ces images qui observent. Opalka nous regarde, il nous porte à la méditation. Comment en serait-il autrement avec un programme aussi puissamment conceptuel" ? Je voulais manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature, mais d'une manière propre à l'homme, sujet conscient de présence définie par la mort : émotion de la vie dans la durée irréversible".

Greg Larsson
Paris, juillet 2004

Roman Opalka

Centre de Création Contemporaine de Tours, CCC, 53-55, rue Marcel-Tribut, 37000 Tours
Opalka 1965, l'infini, l'œuvre photographique, jusqu'au 7 novembre 20004
tél : 00 33 (0)2 47 66 50 00,  
http://perso.wanadoo.fr/roman.opalka/ et  http://perso.wanadoo.fr/ccc-tours/

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