Le musée Jose Luis Cuevas se trouve dans le quartier historique de Mexico, à deux pas du Zocalo. C'est là, au premier étage, que j'ai visité une exposition très singulière qui a été baptisée Leçons de ténèbres.
une couleur aussi problématique que le noir a pu échanger ses symboles et ses attributions… |
Robert Groborne 1999, technique mixte.
Elle a été imaginée par Gérard-Georges Lemaire et a été produite par l'Ambassade de France au Mexique. C'est Marc Sagaert, son attaché culturel, qui s'est occupé de la section latino-américaine. En quoi consiste donc cette manifestation au titre si mystérieux ? Composée pour l'essentiel d'œuvres sur papier, elle met en scène la relation particulière de la couleur noire avec des artistes majeurs de la seconde moitié du XXe siècle.
Dans une première salle, j'ai pu découvrir un beau triptyque de Gianni Buratonni d'inspiration néoclassique, trois collages d'Arthur Aeschbacher réalisés à partir d'affiches anciennes, des compositions figuratives, de Jose Luis Cuevas reposant sur le contraste entre blanc et noir, des encres abstraites de Bernard Rancillac, exécutées en noir sur noir, des variations de Robert Groborne, des visions stellaires de Vladimir Skoda, quatre armes blanches sur fond noir de Daniel Dezeuze, deux superbes extrapolations noires de l'artiste colombien David Mansour et une composition spatiale de Lucio Fontana. Olivier de Champris, Arbor MM noir n°100105, 2005, acrylique et papier sur papier.
La seconde salle est consacrée à l'art d'aujourd'hui. J'ai commencé par les paysages au lavis noir gris et blanc d'Olivier de Champris, puis je me suis arrêtée devant les fusains nerveux de Marc Aurelle et les séries de pochoirs d'Ivan Messac. Et me voilà devant des œuvres monochromes de Massimo Arrighi et de Giampiero Podestà qui présentent à leur surface des dessins géométriques pour le premier, une ondulation sensuelle pour le second. Entre ces deux Italiens, se trouvent deux fragments de mur en brique intitulés Boîte noire par Etcheverry, un jeune créateur colombien. Au fond, Michel Gérard, un sculpteur français vivant à New York, a imprimé des décors industriels hallucinants dans un espace charbonneux. Des paysages improbables de Marc Aurelle, au jeu de décomposition de la forme d'un crâne de Robert Blanc, aux expressions vernaculaires utilisant le mot noir représentées par Nathalie du Pasquier (comme "broyer du noir", "être noir", etc…) et au parapluie couverts de figures siamoises de Marisa Lara & Arturo Guerrero, deux artistes mexicains qui ne travaillent que sur ce thème de la gémellité, j'ai pu me faire une certaine idée de la manière d'utiliser le noir pour engendrer des situations plastiques radicales ou ludiques qui dépassent presque toujours les termes du langage plastique de notre temps.
Les dessins qui m'ont le plus frappée sont sans hésitation possible les deux compositions du Mexicain Ruben Maya, qui allient avec force un imaginaire sombre, saturé de rêves angoissants et un sens vertigineux de l'expression dramatique. J'ai ensuite pénétré dans une plus petite salle où ont été accrochées une toile abstraite d'Armando Morales et un saisissant tableau de Beatriz Zamora : il s'agit d'une prodigieuse accumulation de différents matériaux calcinés. En face de cette création si prégnante, une impressionnante série de dessins abstraits de Luce Delhove, un treillis de lignes noires et grises sur un fond blanc qui décline le jeu de la lumière au sein de cette trame dominée par le noir. Nathalie Du Pasquier, Leçons de ténèbres, 2007, encre de chine sur papier.
Me voici dans la dernière salle : ici les six artistes présents ont travaillé à partir de la fiction de Patrizia Runfola, Leçons de ténèbres (Editions de la Différence, 2002). De cet ouvrage mélancolique et placé à l'enseigne de la maladie et de la mort, six artistes ont donné leur interprétation plastique : Solange Galazzo a produit une série de lavis en noir et blanc qui mettent l'accent sur l'esprit baroque qui règne dans les pages de l'écrivain ; Sergio Birga, lui aussi, a concentré son attention sur ce même étât d'esprit sur Prague et sur la sensation d'étouffement naissant de la relation entre les deux sœurs ; Claude Jeanmart a utilisé les ressources de l'ordinateur pour exprimer sept passages du livre ; Anne Gorouben a entrepris un récit onirique au crayon noir des scènes qui l'ont le plus impressionnée. Pour sa part, Catherine Lopès-Curval s'est ingéniée à figurer l'écrivain, assise, nue, dans un grand fauteuil alors que dans le lointain se découpent des scènes de désastres. Enfin, Nathalie du Pasquier a raconté à sa manière cette œuvre romanesque dans une tonalité qui rappelle les dessins de Lewis Carroll pour son Alice au pays des merveilles.
Passionnante et enrichissante, cette exposition a puisé sa substance dans le livre de Gérard-Georges Lemaire, Le Noir (Hazan, 2006). Elle m'a fait comprendre qu'une couleur aussi problématique que le noir a pu échanger ses symboles et ses attributions traditionnelles contre de nouvelles et paradoxales fonctions au sein de l'art moderne et contemporain, encore plus à l'heure d'aujourd'hui.
Arthur Aeschacher, Circus d'ardoise, 2007, papier d'affiches sur carton.
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