Le Musée de la carte à jouer, un entretien avec Agnès Barbier son conservateur

Musée de la carte à jouer
Musée de la carte à jouer

      Michèle Debat :
Quelle est votre politique d'expositions ? Comment concevez vous votre rôle de conservatrice, votre formation d'historienne, dans ce lieu dédié à la carte à jouer ?


      Agnès Barbier :
Je me projette dans le Musée tel qu'il a été conçu avec un programme scientifique précis, mais avec un désir d'ouverture. En 1986, ce fut la première exposition sur la donation Chardonneret - ancien archiviste qui se retire à Issy, et qui fait donation de la collection initiale à la ville - Etant historienne de formation cette collection m'intéressait dès le départ car la carte à jouer qu'elle soit standard ou "de fantaisie" est témoin de son temps, de la révolution française par exemple. Grâce aux liens établis avec le monde des collectionneurs de cartes à jouer j'ai pu compléter mes connaissances. La galerie des cartes se développe en deux niveaux : un niveau mezzanine où l'on peut reconnaître une intervention artistique, de pure fantaisie, une intervention publicitaire, à but pédagogique, instructif, les jeux de famille…Au rez-de-jardin, le joueur , ses cartes et ses accessoires, En mezzanine nous souhaitions présenter aussi des réalisations d'artistes contemporains ainsi que le thème de la carte à jouer dans les arts décoratifs et les arts du spectacle. Dans une vitrine vous trouvez deux des quatre costumes créés par André Derain en 1919 pour les Ballets russes de Diaghilev. Le spectacle s'intitulait « la boutique fantasque », et se passait dans l'échoppe d'un marchand de jouets, parmi lesquels se déployaient quatre cartes à jouer. Derain est allé puiser son imagination dans des cartes à jouer du début du 19°siècle qu'il a magnifiquement représentées en pied… C'est une démarche d'artiste, qui s'est approprié la carte à jouer telle qu'elle pouvait l'intéresser dans sa création.

Voit-on la carte à jouer se transformer à une époque précise de changement politique par exemple ?

Sous le 1er Empire Napoléon 1° va imposer aux Français un seul modèle de jeu alors que précédemment, sous l'ancien régime on jouait avec des cartes différentes suivant les régions de France (portraits de Lyon, de Provence…). Le portrait de Paris, quant à lui, est l'ancêtre le plus anciennement connu de nos cartes actuelles avec la caractéristique de nous montrer des figures nommées César, Alexandre, Charles, David, les quatre rois mythiques de France déjà présents dans une légende de la fin du Moyen Age. Ce sont ces cartes, qui au delà de la parenthèse révolutionnaire vont réapparaître au début du XIX° siècle, avec des figures redessinées à double tête à partir des années 1830, Ce sont elles que l'on utilise encore aujourd'hui.

A partir de quand la carte à jouer est-elle devenue un objet muséographique où peut se lire l'influence esthétique des artistes ?

L'Allemagne est un pays pionnier dans ce domaine parce que la gravure étant un monde reconnu dès le 15° siècle, bien des artistes se sont intéressés à la carte à jouer très tôt. Dans la carte française début 19° siècle , avec la naissance du portrait officiel, Napoléon 1er fait appel à Gatteaux, un très grand graveur. Avant lui il avait eu recours à des gravures réalisées par David auquel l'empereur avait d'abord demandé de penser à ce portrait officiel. Mais ce jeu de 1810 n'a pas eu de succès. Gatteaux reprend les dessins de David gravés dans le métal.

Comment distingueriez vous le Musée de la carte à jouer avec un musée des arts et traditions populaires ?

On ne peut pas dire que l'on est un musée des arts et traditions populaires. Pour la fabrication on développe un aspect ATP mais on ne peut pas s'y cantonner. La carte à jouer est un objet qui peut être considéré aussi comme art populaire, mais on va plus loin puisqu'on inclut dans l'histoire de la carte à jouer, des cartes plus artistiques, l'histoire et le mobilier du joueur, la création dans les arts décoratifs, dans l'expression contemporaine.

Quels sont vos critères d'archivage, de classement ?

On utilise un logiciel présent dans tous les musées. Pour la carte à jouer on a du établir effectivement des critères spécifiques. Rentrer une fiche de carte ce n'est pas si simple, Chaque carte reçoit un numéro d'inventaire au dos quand on rentre cet ensemble comme n'importe quel ensemble en informatique. Mais il faut qu'on puisse éventuellement individualiser chaque carte.

Quelle est votre politique d'acquisition ? Avant une exposition, après ?

Pendant la période faste allant de 1987 à 1997, il fallait créer cette galerie, on n'avait pas toutes les collections nécessaires, loin de là, aidés par les musées de France, le soutien du Fonds régional pour les Musées, et soutenus par la ville, on a pu acquérir des pièces extraordinaires et majeures. On peut citer une carte de tarot de la première moitié du 15° siècle, « le chariot », 7° atout, une véritable peinture, une enluminure italienne attribuée à l'Ecole de Ferrare. Parmi les autres pièces remarquables, on peut citer un ensemble comprenant le plat de reliure et 12 cartes de points et 3 de figures qui sont des cartes, standard lyonnais, de la fin du 15° siècle. On peut évoquer aussi une petite boîte en bouleau fabriquée à la main par un soldat allemand durant la première guerre mondiale avec 52 pièces en bois taillées comme des cartes et dessinées. Depuis l'ouverture, étant donné le coût de fonctionnement de ce musée, on a un budget moindre, donc les choix se font beaucoup plus restreints, et de ce fait il faut vraiment imposer des critères, par exemple, en 2002, on a acquis un certain nombre d'ensemble sous forme de jeu, de coffrets d'artistes contemporains. L'an dernier il y a eu un coffret de l'artiste Ramsa, et la Suite et fin d'un petit livre « Tarot » de Olga Luda dont on avait acheté l'année précédente un livre d'artiste sur le même jeu. On a acquis un coffret magnifique de cet artiste suisse, graveur, buriniste, Egbert Moehsnang que l'on présentera fin mai. En 2003, les budgets sont un peu modifiés et les coûts sont assez élevés. Nous voulons acquérir un tarot allemand du 18°, "la noce bavaroise" d'une réelle beauté avec des couleurs fraîches.

Avez-vous des contacts, des échanges avec les sept autres musées qui existent dans le monde alors que vous êtes le seul en France ?

Nous avons la chance d'avoir une infrastructure formidable et une volonté municipale d'animer ce musée par des expositions autour de ce thème, ou d'autres thèmes en cohérence avec la galerie de l'histoire de la ville. Pour les musées étrangers de la carte à jouer, il y a un musée au Japon, un musée en Belgique en rénovation, qui est un héritier de fabricants de carte à jouer, un autre en Allemagne à Stuttgart qui a des collections anciennes, superbes mais par contre peu de moyens. Un autre musée est situé dans un château en ex-Allemagne de l'est, un autre encore dans le pays basque espagnol où il y avait un très grand fabricant à Vittoria. Parmi ces musées on est le plus sophistiqué.

Quelles sont les formes d'intervention que peuvent avoir certains photographes invités à travailler avec vous ?

Pour ce qui est de Jean-Christophe Ballot qui est un très grand photographe l'idée que l'on avait au musée, était d'exposer ses photographies faites dans la ville. Mais pour ne pas en rester là, le projet était aboutir à l'édition d'un jeu de cartes. On était parti sur l'idée d'un jeu traditionnel de 32 cartes. Il a préféré travailler sur le thème du Tarot. Il a créé des cartes codées, ne comprenant que des atouts et, avec Olivier Kaeppelin, l'auteur du texte, ils ont inventé une règle du jeu. Ces cartes reproduisent des photographies de lieux de la ville en lien avec l'histoire locale, des lieux du patrimoine historique. En 2002, lors de son exposition, le jeu a été diffusé.

Y'aura-t-il un jeu édité pour l'exposition "Décodons le futur" ?

Il existe dorénavant un jeu avec au dos, non pas une figure, mais une pensée de Matisse. On fait les liens: Matisse attaché à la ville, et la carte à jouer reliée avec le code. La production est un jeu "Gencod EAN France" payé par l'entreprise, et édité à son initiative. La ville a donné l'autorisation de reproduire un jeu du musée. Mais ce jeu ne sera pas vendu. Il n'y a pas d'argent au delà de la générosité de l'entreprise qui génère l'édition de ce jeu.



Propos recueillis par Michèle Debat
Paris, mars 2003

Musée de la carte à jouer
Musée de la carte à jouer

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tél : 00 33 1 41 23 83 60, fax : 00 33 1 41 23 83 66  
musee@ville-issy.fr   www.issy.com/musée 

Opération "Décodons le Futur", du mercredi 26 février au dimanche 27 avril,
organisée par la ville d'Issy-les-Moulineaux  www.issy.com , renseignements au 33 1 41 23 83 60, associée à
Gencod EAN France www.eannet-france.org à travers des expositions, des conférences, des ateliers et des publications
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