On se demande, si "l'expérience de l'art" nous a vraiment menés "toujours un peu plus loin" ? |
Francesco Vezzoli, installations, extrait de la bande-annonce de "Caligula"
Après une 50e édition hétéroclite et chaotique, signée Francesco Bonami, l'édition 2005 de la Biennale de Venise de Maria de Corral et de Rosa Martinez semble plus rigoureuse et dépouillée, mais certainement aussi moins riche en propositions expérimentales. On se demande, en paraphrasant les titres choisis par ces deux commissaires espagnoles, si "l'expérience de l'art" nous a vraiment menés "toujours un peu plus loin" ?
A part quelques combinaisons heureuses et contributions intéressantes d'artistes encore jeunes comme Francesco Vezzoli et son installation sulfureuse, ou très connus comme Thomas Ruff dont les paysages urbains pixilisés issus d'internet posent dans la suite de ses "Nus" le problème de la mise en oeuvre de la représentation, la sélection reste presque moins convaincante que certaines propositions issues des pavillons nationaux. Artur Zmijewski, répétition, vidéo
Malgré la mise en question par le milieu artistique de ce concept désuet de la présentation nationale, cette édition enregistre cependant la plus grande participation de pays depuis que la biennale existe, avec cette année la présence de 70 pays (dont 30 pavillons dans les Giardini).
Beaucoup de contributions de qualité du côté des Giardini, comme celle du pavillon français qui a obtenu le lion d'Or avec les installations ludiques d'Annette Messager. Aussi des redécouvertes comme celle d'Ed Ruscha au pavillon redevenu sobre et dépouillé des Etats-Unis ou d' Antonio Muntadas avec une oeuvre intelligente et actuelle au pavillon espagnol et des confirmations de talents comme celle de l'artiste polonais Artur Zmijewski et son film sur la question du rôle et du pouvoir ou du jeune Hans Schabus qui a magistralement détourné le pavillon autrichien de Joseph Hoffmann en "montagne" de lagune.
Une redécouverte aussi au pavillon néerlandais où le couple d'artistes De Rijke/De Rooij ont présenté une installation cinématographique spécialement conçue pour la biennale. En travaillant en studio sur la fiction et la théâtralité, leur film devient un outil d'investigation des relations humaines et un questionnement sur la réception d'images construites à travers des références formelles esthétiques. L'espace d'exposition devient chez eux un lieu intermédiaire qui s'approprie les éléments de la salle de projection et de la salle d'exposition. On parle plutôt chez eux d'installation que de projection, car l'endroit compte autant que les rituels liés à la salle obscure. Après Su Mei Tse qui avait obtenu le Lion d'Or pour le meilleur pavillon en 2003, la sélection luxembourgeoise, cette année, a opté aussi pour une contribution cinématographique qui, contrairement au concept néerlandais devait se passer de pavillon par la projection uniquement dans une salle de cinéma d'art et d'essai. A. Prum, ministre, photos prises par Paul di Felice lors du vernissage
Le couple "artiste-curateur", Antoine Prum / Boris Kremer, qui avait trouvé une voie intelligente et caustique pour parler d'art contemporain, de Venise et de Luxembourg, avait souhaité en effet laisser le pavillon vide. Leur façon de dire clairement qu'ils avaient choisi le camp du cinéma aurait permis, par l'utilisation de la salle de cinéma, un regard plus "décalé" que celui des projections au pavillon, décidées en dernière minute, sur insistance de l'institution. (Le film a été projeté le jour du vernissage au cinéma d'art et d'essai Giorgione)
Le point de départ du film "Mondo Veneziano.High Noon in the sinking city" a été provoqué par l'annonce de la démolition du studio temporaire des coulisses de Venise du XVIe siècle que la société de production Delux avait fait construire avec de véritables canaux et rues de la ville sur des friches industrielles d'Esch/Alzette .(Ce décor a été utilisé depuis par d'autres productions comme "The Merchant of Venise" avec Al Pacino). L'histoire elle-même du film d'Antoine Prum est née de la situation suivante : un artiste, un curateur, les coulisses de Venise et une invitation pour représenter le Luxembourg à la Biennale de Venise.
Comme un effet de miroir, nous retrouvons les mêmes éléments dans le film. Un curateur, un peintre, un théoricien de l'art et un artiste convivial adepte de l'esthétique relationnelle se rencontrent dans une Venise déserte où ils commencent à réciter leur rôle ou plutôt à l'apprendre en lisant leur texte à haute voix. Cette association de personnages, qui reflète en quelque sorte aussi le couple Prum/Kremer, représente caricaturalement les versants théoriques et pratiques de l'art contemporain. T. Ruff, photos prises par Paul di Felice lors du vernissage
En procédant par collage dans un esprit de "sampling" cinématographique qui permet de créer les monologues/dialogues à partir de textes théoriques, de citations d'artistes, et de critiques issues de magazines et de médias spécialisés, ils systématisent la citation qui remplace le vrai dialogue dans une relation son et image qui nous laisse dans le doute perpétuel entre réalité et décor. On y pense notamment quand au début du film les vrais bruits de vaporetto accompagnent les acteurs qui pénètrent le décor de Venise à Esch/Alzette.
En utilisant le médium cinématographique de façon professionnelle, non pas comme certains artistes qui négligent volontairement cet aspect, Antoine Prum réussit à en faire un vrai film de fiction qui a comme coulisse le monde de l'art contemporain avec ses enjeux et ses envers. Au cinéma, tout devient possible. Les genres se mélangent et les références cinématographiques et esthétiques s'accumulent. Des images choc, façon "chien andalou postmoderne" jouent sur le voyeurisme et l'aveuglement comme métaphore du pouvoir des images. "In the total image, everything is image" dit l'artiste relationnel. Mais malgré les avertissements violents de part et d'autre de ne pas surévaluer le processus, le doute des limites entre vie et art persiste. C'est finalement au peintre, qui, tout au long du film répète la phrase emblématique de Neo Rauch "die Leinwand ist geduldig" ( la toile est patiente ) que revient le dernier mot et qui, en prophète crucifié, conclut : "The picture we are painting here, then, is not black – it is empty." Le film comme métaphore de la situation artistique actuelle nous rappelle ce que Jacques Rancière développe dans son livre "Le malaise dans l'esthétique" : "Le ludique et l'humoristique sont un peu partout à l'honneur pour caractériser un art qui aurait absorbé les contraires : la gratuité du divertissement et la distance critique, l'entertainment populaire et la dérive situationniste." Avec cette contribution, les Luxembourgeois ont fait preuve de beaucoup d'humour en nous offrant une vision "décalée" de l'expérience de l'art tout en optant pour un médium qui permet de poser, de façon divertissante, les questions essentielles de l'art d'aujourd'hui.
Marianne Greber, actrice du film Mondo Veneziano, photos prises par Paul di Felice lors du vernissage
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La Biennale di Venezia, jusqu'au 6 novembre 2005, Giardini, Arsenale et autres endroits dans Venise, www.labiennale.org
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